Au Parlement européen, des voix s’opposent à la poursuite du fossile

Si l’Union européenne a signé des accords de réduc­tion d’utilisation des éner­gies fos­siles, elle reste l’un des prin­ci­paux financeurs du pro­jet East Med. Les élus écol­o­gistes peinent à...

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Si l’Union européenne a signé des accords de réduc­tion d’utilisation des éner­gies fos­siles, elle reste l’un des prin­ci­paux financeurs du pro­jet East Med. Les élus écol­o­gistes peinent à faire chang­er les règles

Le 12 févri­er 2020, le Par­lement européen votait majori­taire­ment en faveur de la 4ème liste de Pro­jets énergé­tiques con­sid­érés comme d’in­térêt com­mun(PIC). Elle com­por­tait un mix de pro­jets renou­ve­lables et le finance­ment d’une trentaine d’in­fra­struc­tures gaz­ières géantes comme celui de EastMed, le pro­jet de gazo­duc qui va d’Israël au sud de l’Europe en pas­sant par la Grèce et Chypre. Dans l’en­ceinte par­lemen­taire, le fos­sé se creuse entre les défenseurs d’une inter­dic­tion du finance­ment des pro­jets fos­siles et ceux qui ne veu­lent pas y renon­cer.

Seuls 169 députés européens, dont Europe Écolo­gie les Verts (EELV), se sont opposés au vote de la liste con­tre 443. A l’in­térieur de l’UE, la Com­mis­sion Européenne reste le poids lourd, face au Par­lement qui doit se con­tenter de se pronon­cer pour ou con­tre une liste pré-établie et déter­mi­nante pour l’avenir énergé­tique de l’Eu­rope. Un proces­sus déci­sion­nel « obsolète » pour le cab­i­net de Marie Tou­s­saint, députée française de la for­ma­tion poli­tique Europe écolo­gie les Verts qui déplore la pour­suite du sou­tien aux pro­jets cli­mati­cides, mal­gré le vote le 4 mars 2020 de la Loi cli­mat qui rend la neu­tral­ité car­bone oblig­a­toire à 2050 pour les États européens.

« Deux grandes forces s’op­posent au Par­lement entre d’un côté ceux qui veu­lent une révi­sion des direc­tives con­cer­nant les déci­sions énergé­tiques, et de l’autre des textes com­plète­ment obsolètes dans lesquels se fau­fi­lent des pro­jets tel que celui d’EastMed. Ces pro­jets sont financés par le Con­nect­ing Europe Facil­i­ties (CEF), un fonds pub­lic européen. Il est prévu par le texte de loi Trans euro­pean net­works ener­gy qui date de 2013, bien avant les Accords de Paris et les mesures envi­ron­nemen­tales adop­tées par l’UE », déclare Char­lotte Izart, assis­tante de Marie Tou­s­saint. « L’intérêt com­mu­nau­taire dont ces textes sont assor­tis leur per­met de béné­fici­er de finance­ments publics. Notre objec­tif est donc de revoir ces textes afin que ces pro­jets ne soient plus financés par les fonds publics européens ».

Depuis 2014, le CEF a fourni 270 mil­lions d’eu­ros par an, en moyenne, pour financer des pro­jets gaziers et prin­ci­pale­ment des pipelines, selon le rap­port Glob­al Ener­gy Mon­i­tor. Alors même que l’ex­trac­tion de gaz et son trans­port génèrent de fortes émis­sions de méthane qui aug­mentent le réchauf­fe­ment cli­ma­tique de façon égale voir plus impor­tante que le CO² à long terme.

Ce vote européen du 12 févri­er n’est donc pas sans con­séquences pour la poli­tique envi­ron­nemen­tale européenne. Il a été approu­vé alors que la Banque européenne d’in­vestisse­ment (BEI) annonçait en octo­bre 2019 la fin du finance­ment de tous les pro­jets de com­bustibles fos­siles d’i­ci la fin 2021. D’autres pro­jets cli­mati­cides pour­ront donc être approu­vés jusqu’à cette échéance et ensuite être financés. Le pro­jet EastMed a déjà reçu deux sommes impor­tantes de la part de l’U­nion Européenne : 1,927 mil­lion d’eu­ros en 2015 pour les études et 34,5 mil­lions d’eu­ros en 2017 pour les études de demande de fais­abil­ité. Le pro­jet recevra au final 5,8 mil­liards d’euros des dif­férents financeurs publics et privés impliqués d’i­ci 2025. Pour­tant, la demande en gaz décroit sur le con­ti­nent européen. L’ap­pro­vi­sion­nement et les infra­struc­tures exis­tants sont suff­isants même en cas de crise (voir l’étude Artelys ) et ce pro­jet n’est pas en phase avec les objec­tifs envi­ron­nemen­taux fixés par l’U­nion Européenne, dont la baisse d’émis­sions exigée par l’ac­cord de Paris. (Voir étude client earth)

Le green deal check

Au Par­lement, ce sys­tème de liste con­tenant du fos­sile et du renou­ve­lable pousse cer­tains députés à vot­er favor­able­ment parce qu’une liste con­tient des pro­jets renou­ve­lables pour leur région ou ter­ri­toire. « Nous avons demandé avec d’autres par­tis de dif­férents bor­ds (une for­ma­tion transpar­ti­sane née de la vague verte suite aux dernières élec­tions européennes de 2019), une révi­sion de ce sys­tème de liste, en exclu­ant les éner­gies fos­siles à l’in­térieur de ces listes, et en inclu­ant plus de démoc­ra­tie : que le Par­lement européen soit plus con­sulté et durant de plus longues péri­odes. Ce n’est pas le cas aujour­d’hui. On demande un ‘green deal check’ (con­trôle vert) du con­tenu des listes PCI, pour pou­voir en exclure les pro­jets fos­siles», pour­suit Char­lotte Izart.

Ce green deal check est à l’or­dre du jour de la Com­mis­sion européenne. Il con­tient égale­ment la révi­sion de textes et direc­tives énergé­tiques suite à l’adop­tion de la Loi cli­mat, afin de se met­tre en accord avec les objec­tifs envi­ron­nemen­taux européens dont l’Ac­cord de Paris et en exclu­ant les fos­siles dont fait par­tie East Med. L’en­jeu est de pou­voir faire annuler les finance­ments des­tinés aux éner­gies fos­siles avant le vote de la prochaine liste PIC, début 2021. Une liste dans laque­lle le pro­jet de gazo­duc pour­rait fig­ur­er de nou­veau, s’il a encore besoin de finance­ments européen. L’ar­rêt du finance­ment pub­lic, majori­taire, pour­rait décourager les investis­seurs privés, ras­surés par le co-finance­ment pub­lic dans ce genre de « pro­jet risqué ». Les recours judi­ci­aires d’ONG, des pop­u­la­tions impactées et les mobil­i­sa­tions con­tre ces pro­jets pour­raient aus­si peser dans l’ar­rêt des travaux des infra­struc­tures en con­struc­tion. Ce fut par exem­ple le cas pour le pro­jet Midcat/step, pro­jet de gazo­duc entre la France et l’Espagne, grâce à la mobil­i­sa­tion citoyenne et asso­cia­tive.

Les espoirs Verts pour­raient néan­moins être mis à mal au sein du Con­seil européen par les pays qui sont majori­taire­ment dépen­dants des éner­gies fos­siles et par le gros tra­vail des lob­bys auprès des députés européens : « Ils arrivent à con­va­in­cre les députés et groupes par­lemen­taires avec l’ar­gu­ment de la créa­tion d’emploi, de l’indépen­dance énergé­tique alors que c’est l’én­ergie renou­ve­lable qui engen­dr­era une réelle indépen­dance énergé­tique et non une ressource qui vient de puits israéliens ou algériens », pour­suit Char­lotte Izard. « Leur deux­ième argu­ment est que les infra­struc­tures en cours pour­ront tout à fait servir à trans­porter du renou­ve­lable comme le biogaz ou l’hy­drogène par la suite ».

Cepen­dant, les infra­struc­tures prévues pour le fos­sile ne seraient pas util­is­ables pour le renou­ve­lable. Dans son rap­port, le Glob­al Ener­gy Mon­i­tor pré­cise : « Les pipelines de trans­port de gaz exis­tants ne peu­vent manip­uler un petit pour­cent­age d’hy­drogène ou ils risquent une cor­ro­sion et d’autres dom­mages; l’u­til­i­sa­tion général­isée de l’hydrogène aurait besoin de nou­veaux pipelines de trans­mis­sion ou des amélio­ra­tions impor­tantes aux pipelines exis­tants (IEA 2019). L’hy­drogène pour­rait plutôt être pro­duit locale­ment, et dans ce cas, il ne néces­sit­erait pas de trans­mis­sion longue dis­tance prévue par les pipelines (AIE 2019). »

Des alter­na­tives au fos­sile

Face à la con­ti­nu­ité du finance­ment de pro­jets cli­mati­cides adop­tés par l’U­nion Européenne ces cinq dernières années, des groupes de chercheurs comme le Glob­al Ener­gy Mon­i­tor, des agences gou­verne­men­tales et des ONG inter­na­tionales comme les Amis de la terre et Friends of Earth pro­posent des alter­na­tives au fos­sile : « On essaie de met­tre en avant les alter­na­tives dans le proces­sus de déci­sion tout en ques­tion­nant l’ef­fi­cac­ité des pro­jets : a t‑on vrai­ment besoin de tous ces gazo­ducs pour l’avenir ou ne vaudrait-il pas mieux favoris­er l’iso­la­tion dans les bâti­ments pour réduire les besoins en gaz ? », inter­roge Tara Con­nol­ly, en charge des cam­pagnes con­cer­nant le gaz pour Friends of Earth Europe. « Le taux de réno­va­tion des bâti­ments est de 1% aujourd’hui. On estime qu’il faut aller vers 3% par an pour attein­dre les objec­tifs cli­ma­tiques et réduire en grande quan­tité la con­som­ma­tion en gaz et en chauffage élec­trique. L’in­stal­la­tion de pom­pes à chaleur dans les nou­veaux bâti­ments et nou­velles maisons peut con­stituer une solu­tion. » Le pro­gramme « Ren­o­va­tion wave » pro­posé par la Com­mis­sion européenne en févri­er 2020 prend cette direc­tion et encour­age les États à soutenir les col­lec­tiv­ités, les par­ti­c­uliers et les entre­pris­es à rénover leurs biens.

« Les dif­férentes crises poli­tiques, comme lors du con­flit entre la Russie et la Crimée, nous font crain­dre la pénurie de gaz. Il est impor­tant d’as­sur­er la sécu­rité énergé­tique et de réduire les coûts envi­ron­nemen­taux et financiers liés à son impor­ta­tion », pré­cise Tara Con­nol­ly.

Aujourd’hui, les impor­ta­tions de gaz de l’Europe provi­en­nent prin­ci­pale­ment de Russie (38,7%), Norvège (25,3%) et Algérie (10,6%) et n’ont fait que croître ces 10 dernières années. Le gaz naturel liqué­fié (GNL) est l’une des ressources les plus con­som­mées par les pays européens (voir pho­to camem­berts) avec le pét­role notam­ment pour pro­duire de l’élec­tric­ité. La pro­duc­tion en plus grande quan­tité du renou­ve­lable seraient donc la solu­tion selon l’or­gan­i­sa­tion Friends of Earth, les éoli­ennes plus avancées en matière tech­nologique et les pan­neaux solaires eux moins coû­teux pour­raient donc sub­stituer le gaz pour pro­duire de l’électricité. « Il faudrait toute une gamme de tech­nolo­gies nou­velles qui puis­sent per­me­t­tre la mise en place d’un sys­tème qui peut inté­gr­er de grands vol­umes d’én­er­gies renou­ve­lables, c’est à dire rem­plac­er les infra­struc­tures actuelles qui achem­i­nent le gaz, le char­bon ou l’élec­tric­ité c’est très com­plexe et néces­site beau­coup de travaux », analyse Tara Con­nol­ly. Cepen­dant, ces alter­na­tives néces­si­tent une remise en ques­tion de toute la poli­tique énergé­tique européenne et des investisse­ments colos­saux que les entre­pris­es four­nisseurs d’én­ergie en gaz ou en pét­role ne sont pas prêtes à met­tre en place.

Le renou­ve­lable de moins en moins coû­teux

Une récente étude de l’a­gence inter­na­tionale de l’én­ergie mon­tre que indépen­dam­ment de la pandémie du coro­n­avirus, la demande en gaz de façon générale a une ten­dance à la baisse, du fait de l’évo­lu­tion des tem­péra­tures dans l’hémis­phère nord : la con­som­ma­tion a bais­sé de 2,6% en Europe et de 4,5% aux États-Unis entre 2019 et 2020. De plus, l’é­cart entre les coûts de la pro­duc­tion et le stock­age d’én­er­gies renou­ve­lables et ceux d’én­er­gies fos­siles se resserre. Le renou­ve­lable étant de plus en plus rentable, cet écart pour­rait encore se creuser si les coûts du renou­ve­lable con­tin­u­ent à déclin­er.

Aux États-Unis, l’analyse pro­jet par pro­jet du Rock Mon­tain Insti­tut a con­clu que les porte­feuilles d’én­er­gies pro­pres (PEC) – une com­bi­nai­son opti­misée entre la ges­tion de la demande et la pro­duc­tion de l’én­ergie éoli­enne, solaire, et les tech­nolo­gies de stock­age — étaient moins chers que 90% des cen­trales élec­triques au gaz pro­posées. Avec des coûts de gaz net­te­ment plus élevés dans l’UE qu’aux États-Unis, il est prob­a­ble que le rem­place­ment de pro­jets de gazo­duc par des éner­gies pro­pres per­me­t­trait de faire des économies et d’at­tein­dre les objec­tifs envi­ron­nemen­taux européens.

Rem­plac­er le gaz par du gaz « vert » comme l’hy­drogène, le bio­méthane ou car­bu­rant syn­thé­tique serait très coû­teux et inef­fi­cace selon plusieurs ONG européennes. Elles sou­ti­en­nent l’idée que pour être effi­cace, l’hy­drogène doit être pro­duit locale­ment, en cir­cuit court et non trans­porté. Le méthane provenant de sources pro­pres pour­rait quand à lui être brûlé pour pro­duire de l’élec­tric­ité. Mais ce car­bu­rant est très coû­teux et ne sera util­isé que dans cer­tains secteurs comme l’in­dus­trie, les trans­ports, et le bâti­ment qui n’u­tilisent pas beau­coup de gaz. « Il serait vrai­ment temps d’être plus flex­i­ble dans la con­cep­tion du renou­ve­lable, pour pro­duire de l’élec­tric­ité en Europe, afin d’en­cour­ager les par­ti­c­uliers, les col­lec­tiv­ités et les entre­pris­es. C’est avant tout aux décideurs, donc aux États de chang­er les choses et de pren­dre des déci­sions en sou­tenant le renou­ve­lable », con­clut Tara Con­nol­ly. « Les pays de l’UE comme l’I­tal­ie et la Grèce, la Croat­ie ou l’Irlande, qui veu­lent devenir des noy­aux de dis­tri­b­u­tion du gaz, doivent com­pren­dre qu’on n’en a pas besoin et que l’indépen­dance énergé­tique vien­dra bel et bien de la capac­ité de pro­duc­tion d’én­er­gies renou­ve­lables de chaque pays. »

* En France, les scé­nar­ios de tran­si­tion énergé­tique pour un objec­tif de 100% renou­ve­lable en 2050 pub­lié par l’a­gence gou­verne­men­tale de l’ADEME

* L’as­so­ci­a­tion mil­i­tante NEGAWATT pub­lie une série de mesures prévoy­ant la neu­tral­ité car­bone en France fixé par l’UE à 2050

* Les pro­jets util­isant un procédé de cap­ture et de stock­age du car­bone (CSC) et ceux inscrits dans la 4ème liste classés PCI (pro­jet d’in­térêt com­mun), comme c’est le cas pour East Med, pour­ront tou­jours béné­fici­er de prêts préféren­tiels de la BEI : rap­port inti­t­ulé « Le gaz à la croisée des chemins » pub­lié par Glob­al ener­gy mon­i­tor en févri­er 2020

* Des juristes mil­i­tants accusent le con­seil d’ad­min­is­tra­tion de la BEI de vio­la­tion de la loi européenne

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