Après le confinement, la peur de l’enseignement à distance dans le supérieur

Le con­fine­ment a boulever­sé l’organisation de l’enseignement supérieur, en France, comme ailleurs en Méditer­ranée. Si les craintes de recom­mencer une année uni­ver­si­taire à dis­tance s’éloignent pour le moment,...

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Le con­fine­ment a boulever­sé l’organisation de l’enseignement supérieur, en France, comme ailleurs en Méditer­ranée. Si les craintes de recom­mencer une année uni­ver­si­taire à dis­tance s’éloignent pour le moment, envis­ager de renou­vel­er les études en télé­tra­vail rime pour cer­tains pro­fes­sion­nels avec iné­gal­ités d’accès à l’enseignement.

Quand le con­fine­ment est annon­cé le 16 mars, les enseignants de l’université de Saint-Denis vien­nent tout juste d’être prévenus qu’ils devront assur­er leurs cours à dis­tance pour une péri­ode indéter­minée. Julie*, Maîtresse de con­férence est « prise de court ». Sa pre­mière pen­sée est de savoir si cha­cun de ses étu­di­ants pour­ra avoir accès à une con­nex­ion suff­isante. Les 15 pre­miers jours sont con­sacrés à savoir où se trou­ve chaque étu­di­ant (cer­tains sont par­tis pour des stages à l’étranger) et de quels moyens ils dis­posent : « A Saint-Denis, le taux d’étudiants pré­caires est plus élevé que dans d’autres uni­ver­sités français­es ; absence de con­nex­ion, d’ordinateur, cham­bre insalu­bre, ce sont d’abord les con­di­tions matérielles qui nous ont inquiétés ».

Sur la rive est de la Méditer­ranée, la nou­velle est tombée trois jours plus tôt, du jour au lende­main égale­ment. Y com­pris pour Mar­tin*, infor­mati­cien d’un étab­lisse­ment d’enseignement supérieur au Proche-Ori­ent qui va pour­tant devoir trou­ver en urgence des solu­tions pour que le tra­vail à dis­tance puisse se met­tre en place rapi­de­ment.

En France comme au Liban, l’enjeu est le même : fournir un accès à une con­nex­ion suff­isante pour assur­er le télé­tra­vail, et l’équipement infor­ma­tique du per­son­nel, comme des étu­di­ants. Mar­tin réag­it immé­di­ate­ment et met en place un accès par VPN pour sécuris­er les don­nées le temps de peaufin­er un serveur spé­cial afin de s’affranchir de ce réseau virtuel privé qui ralen­tit la nav­i­ga­tion.

Adap­té son enseigne­ment à dis­tance, un temps de tra­vail con­séquent

Pen­dant ce temps, enseignants et étu­di­ants se famil­iarisent avec les cours à dis­tance, l’enregistrement de vidéo ou de pod­cast. Autant de con­tenus et de sup­ports qui deman­dent un temps de pré­pa­ra­tion sup­plé­men­taire et qui mod­i­fient les échanges.

En France, à Saint-Denis, Julie fait le même con­stat. La dif­férence est de taille entre des cours mag­is­traux de trois heures en présen­tiel et des for­mats à dis­tance où la con­cen­tra­tion n’est par exem­ple pas la même. « J’assurais mes cours sans garantie que tous les étu­di­ants pour­raient se con­necter au même moment. J’ai donc retran­scrit l’intégralité de mes cours par écrit pour que cha­cun puisse les rat­trap­er ». Un temps de tra­vail sup­plé­men­taire con­séquent face à ce qu’elle con­sid­ère, comme d’autres enseignants et pro­fesseurs, comme une injonc­tion à la « con­ti­nu­ité péd­a­gogique » de la part de son min­istère de tutelle : « le sous-enten­du der­rière cette for­mule c’est que les enseignants n’allaient rien faire pen­dant cette péri­ode de con­fine­ment et qu’il fal­lait leur don­ner du tra­vail. Mais nous n’avons pas atten­dus pour être con­scien­cieux », proteste-t-elle.

« Aujourd’hui, les iné­gal­ités sont ter­ri­bles »

Pour faire face à l’enjeu de l’enseignement à dis­tance, des cen­tres de recherche français sor­tent des car­tons des out­ils pas encore général­isés pour faciliter com­mu­ni­ca­tion et visio-con­férence. C’est l’un des aspects posi­tifs de cette péri­ode selon Mar­tin. « Les out­ils sont à présent en place et pour­ront être améliorés grâce aux retours util­isa­teurs ». Pour lui, la général­i­sa­tion du télé­tra­vail n’est plus impos­si­ble tech­nique­ment, ce qui ne l’empêche pas de se ques­tion­ner d’un point de vue per­son­nel : « c’est dif­fi­cile de sépar­er vie per­so et pro. Pen­dant le con­fine­ment, je me réveil­lais, pre­nais mon café et je me met­tais au tra­vail par­fois dès 7 heures du matin, jusqu’au soir quand je répondais à un mail tardif ». L’informaticien exprime un sen­ti­ment de cul­pa­bil­ité qui le pousse à mon­tr­er qu’il tra­vaille et à faire plus que d’accoutumée. D’autant que les sol­lic­i­ta­tions aug­mentent notam­ment via les réseaux soci­aux et les appli­ca­tions de mes­sagerie instan­ta­née. « Je rece­vais par­fois des mes­sages au milieu de la nuit. Tout devient abstrait. J’ai fini par chang­er de numéro de télé­phone pour ne plus être con­tac­té », explique Mar­tin.

A Saint-Denis, à l’issue du con­fine­ment la Prési­dence de l’université demande aux enseignants de sig­naler les cours qui pour­raient se pour­suiv­re en dis­tan­ciel. Pour Julie, la ques­tion est aus­si poli­tique. Selon elle, aucun cours n’est pos­si­ble à dis­tance en l’état actuel des moyens humains et matériels de l’université (temps néces­saire pour suiv­re chaque étu­di­ant indi­vidu­elle­ment, accès à un équipement sta­ble pour tous) : « aujourd’hui, les iné­gal­ités sont ter­ri­bles », ajoute-t-elle. L’enjeu de la nota­tion et des exa­m­ens est égale­ment impor­tant : « en France, nous devons respecter l’égalité entre les can­di­dats qui se présen­tent à un exa­m­en, mais com­ment faire dans la péri­ode actuelle ? ». Pour le moment, le monde uni­ver­si­taire se pré­pare à repren­dre les cours en présen­tiel. Ce qui n’est pas sans pos­er prob­lème pour Julie : « faire cours avec un masque, ça veut dire pos­si­ble extinc­tion de voix au bout de 3 semaines, et quid des étu­di­ants qui ne sont pas par­faite­ment fran­coph­o­nes ou valides ? Que dire aus­si de la dis­tan­ci­a­tion dans une fac aux salles sur­chargées ». Mais l’enseignante s’arrête et recon­naît : « je suis quand même soulagée de ne pas repren­dre à dis­tance… mais jusqu’à quand ? ». L’enseignement en mode télé­tra­vail ques­tionne un monde uni­ver­si­taire par­fois déjà refroidis par le pro­jet de loi de pro­gram­ma­tion pluri­an­nuelle de la recherche et les pro­pos du prési­dent de la République qui face au mou­ve­ment de mobil­i­sa­tion con­tre le racisme en France, accuse le monde uni­ver­si­taire de “cass­er la république en deux” en ouvrant le débat sur la coloni­sa­tion : « faire à dis­tance, cela veut dire lim­iter les échanges et les débats d’idée et cloi­son­ner une insti­tu­tion présen­tée comme sub­ver­sive », avance Julie.

*les prénoms ont été mod­i­fiés

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