Théâtre syrien, une nouvelle identité créative dans l’exil

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Simon Dubois est doc­tor­ant en soci­olo­gie au sein de l’IRE­MAM (CNRS-AMU). Dans le cadre de sa thèse, il mène des recherch­es sur l’exil d’une généra­tion de diplômés de l’In­sti­tut Supérieur d’Art Dra­ma­tique de Damas en Syrie ; d’abord à Bey­routh au Liban puis à Berlin en Alle­magne.

Il ressort de ses recherch­es une trans­for­ma­tion des proces­sus créat­ifs liée au déplace­ment, au nou­veau statut de l’artiste, à tout ce qui fait l’exil. Dans sa com­plex­ité et mal­gré ses dif­fi­cultés, l’exil peut alors être généra­teur d’opportunités pro­fes­sion­nelles. Il redes­sine l’espace artis­tique. Dans ce déplace­ment, cer­tains trou­vent une place sur la scène artis­tique berli­noise qui inter­roge depuis des années l’immigration dans l’art. D’autres souhait­ent s’éloigner de la fig­ure de l’artiste en exil pour ne pas être défi­nis que par cela.

Entretien

Quel a été le par­cours de l’exil suivi par la plu­part des artistes que vous avez ren­con­trés dans le cadre de vos recherch­es ?
On peut décrire ce déplace­ment géo­graphique en deux temps. D’abord Bey­routh à la fin 2012. La cap­i­tale libanaise est alors un cen­tre de pro­duc­tion artis­tique syrien. Les artistes s’y retrou­vent car l’atmosphère dans la cap­i­tale syri­enne est lourde. Ils vien­nent par­fois pour présen­ter une créa­tion, retrou­ver leurs amis ou leurs familles. Cer­tains artistes activistes fuient aus­si la répres­sion. D’autres enfin refusent le ser­vice mil­i­taire qui peut les tenir éloigné de la vie civile pen­dant plusieurs années. Bey­routh, un temps paraît plus viv­able. La cap­i­tale libanaise n’est pas trop loin. Elle per­met de garder en tête l’idée de retourn­er en Syrie.

En 2014, le con­flit syrien s’installe dans la durée. Après les attaques chim­iques de 2013 et l’absence de réac­tion inter­na­tionale, une par­tie de la pop­u­la­tion perd espoir d’une réso­lu­tion rapi­de du con­flit. De plus, le Liban durcit les con­di­tions de séjour pour les Syriens. Berlin devient alors une des­ti­na­tion priv­ilégiée pour une grande par­tie des diplômés de l’Institut des arts dra­ma­tiques de Damas au début des années 2000.

Pourquoi cette généra­tion diplômée au début des années 2000 se retrou­ve-t-elle à Berlin ?

On peut effec­tive­ment se deman­der pourquoi pas Paris, ville lumière, cap­i­tale des let­tres. Plusieurs expli­ca­tions à cela. Tout d’abord, peu d’artistes sont présents à Berlin alors qu’à Paris le milieu syrien est instal­lé depuis les années 1980. Cer­tains sont arrivés juste avant la révo­lu­tion et sont ensuite restés. Ces jeunes artistes ne souhait­ent pas for­cé­ment se met­tre sous la tutelle de leurs aînés.

Paris est aus­si le lieu de l’opposition poli­tique. Il existe une con­nex­ion entre milieux artis­tiques et poli­tiques. L’engagement n’est pas for­cé­ment la mar­que de fab­rique de la généra­tion que j’ai suiv­ie ou alors elle n’est plus dans une dynamique de poli­ti­sa­tion après 2013.

Paris est une ville fran­coph­o­ne qui ne favorise pas l’anglais. Le niveau de vie est élevé. Berlin au con­traire est anglo­phone. Elle a l’aura d’un Hub de la cul­ture européenne. Il existe égale­ment d’importants pro­grammes de sou­tien aux artistes. Le milieu du théâtre est dans une dynamique d’ouverture des planch­es à des pop­u­la­tions non ger­manophones. Depuis les années 1990 les espaces d’art s’ouvrent. Les artistes ont accès à des salles renom­mées.

En Alle­magne, la procé­dure admin­is­tra­tive est facil­itée et il est pos­si­ble d’obtenir des papiers en six mois. Le pays accueille aujourd’hui env­i­ron 400 000 Syriens ce qui représente la sec­onde pop­u­la­tion étrangère après les Turcs. Enfin, la cap­i­tale alle­mande est syn­onyme de vie fes­tive, sim­i­laire à Bey­routh.

La place don­née aux artistes syriens arrivés à Berlin s’inscrit, selon vos recherch­es, dans une tra­di­tion alle­mande liée à la prise en compte de l’exil dans l’art ?
Depuis les années 1980, une par­tie du milieu cul­turel s’interroge sur la place des pop­u­la­tions immi­grées et de descen­dants d’immigrés par­mi les acteurs de la cul­ture et dans le pub­lic. Ce « théâtre de l’exil » facilite l’accès aux planch­es pour le théâtre syrien.

Le Max­im Gor­ki The­atre est l’une des cinq scènes berli­nois­es publiques de référence. En 2016, ils créent une troupe d’acteurs appelée « The exil ensem­ble ». Par­mi les sept acteurs, qua­tre sont Syriens.

L’exil tient aujourd’hui une place par­ti­c­ulière dans la créa­tion scénique alle­mande. La scène artis­tique s’interroge sur une société cos­mopo­lite. Cela peut don­ner accès aux planch­es à des artistes syriens. L’art est aus­si une réponse sociale et poli­tique face à l’arrivée des réfugiés.

Le par­cours de ces diplômés de théâtre jusqu’à Berlin est-il représen­tatif de l’exil des artistes syriens en général ?
La for­ma­tion pro­posée par le con­ser­va­toire n’est pas rat­tachée directe­ment au min­istère de l’éducation mais à celui de la cul­ture. C’est une for­ma­tion éli­tiste qui forme 15 à 20 per­son­nes par pro­mo­tion, con­tre 4 000 étu­di­ants en pre­mière année de let­tres à l’université par exem­ple. Le phénomène est donc mas­sif à l’échelle de l’Institut mais pas dans la glob­al­ité des for­ma­tions syri­ennes.

Les élèves issus de l’Institut sont capa­bles de com­pren­dre le fonc­tion­nement de la scène artis­tique inter­na­tionale. Une scène qui fonc­tionne glob­ale­ment sur le finance­ment privé, par pro­jet. L’expérience que ces jeunes artistes acquièrent dans les années 2000 en Syrie leur servi­ra dans l’exil. Quand ils arrivent au Liban, ils sont capa­bles de com­pren­dre com­ment le fonc­tion­nement de la scène artis­tique et ils peu­vent con­tin­uer à créer. Ils trou­vent une recon­nais­sance dans ce hub cul­turel au-delà du monde arabe.

En ce sens, Bey­routh et Berlin sont deux villes dynamiques et créa­tives, ouvertes sur l’international.

Au fil de l’exil, vous expliquez qu’une révo­lu­tion artis­tique appa­raît, quelle est-elle ?

La révo­lu­tion syri­enne est une révo­lu­tion pour son art. Elle provoque un moment de poli­ti­sa­tion intense, on change, on éclate les struc­tures habituelles de créa­tion. L’exil ajoute une deux­ième couche dans la remod­éli­sa­tion de la scène. Les artistes instal­lés à Berlin pro­posent d’autres manières de créer, un théâtre doc­u­men­taire. Ils ques­tion­nent, s’engagent sans être par­ti­sans, inter­ro­gent leur quo­ti­di­en, l’exil, la fab­rique de l’image.

De plus, la pra­tique s’adapte au con­texte de récep­tion du pub­lic. Par exem­ple, ce n’est pas la même manière d’écrire quand on sait que l’on va être traduit. On ne prend pas for­cé­ment les mêmes exem­ples qui par­leront dans une société don­née mais pas dans une autre. Enfin, les pièces sont sur­titrées, une dimen­sion à pren­dre en compte dans la scéno­gra­phie.

Cer­tains des artistes ren­con­trés refusent le terme d’artistes réfugiés, pourquoi ?
Comme l’explique Yana Meer­zon*, c’est un exer­ci­ce d’équilibriste pour les artistes : d’un côté ils rejet­tent l’intégration com­plète mais aus­si le fait de devenir les chroniqueurs de l’exil. L’un des acteurs que j’ai ren­con­tré préfère le terme de nou­v­el arrivant plutôt que de réfugié.

Cer­tains artistes dis­ent qu’ils sont dans une bohème artis­tique, et non en exil, dans une logique d’art sans fron­tières. La ter­mi­nolo­gie util­isée per­met la dif­féren­ci­a­tion sociale par rap­port au reste de la pop­u­la­tion. On se détache de la masse. C’est aus­si un refus que le statut admin­is­tratif devi­enne iden­tité. D’autant que cer­tains arrivent sans être con­traints. Ils voy­a­gent grâce à des visas sans être for­cés de pren­dre la mer ou de tra­vers­er des fron­tières à pieds.
Cer­tains sont venus en rési­dence, d’autres par­tent en tournée pour présen­ter leur pièce. Ils ont acquis une dimen­sion inter­na­tionale avant la révo­lu­tion, avant toute demande de visa.

L’exil berli­nois pro­longe ain­si la dynamique née au Liban et les inscrit dans un espace artis­tique mon­di­al­isé qui n’est pas lié à l’origine ou au statut d’exilé.

*enseignante au départe­ment théâtre de l’Université d’Ottawa au Cana­da. “The­atre in Exile: Defin­ing the Field as Per­form­ing Odyssey” [Online],critical Stages/Scènes Cri­tiques, Vol. 5, Decem­ber 2011, http://www.critical-stages.org/5/theatre-in-exile-defining-the-field-as-performing-odyssey/.

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