Parmi les milliers de réfugiés qui se sont installés au Liban depuis le début de la guerre en 2011, se trouvent des centaines d’artistes. Ils ont dû composer avec une nouvelle société et s’adapter à de nouveaux enjeux.
« En venant de Syrie, tu es habitué à recevoir régulièrement une bonne dose d’adrénaline ! » Mohannad Nasser, originaire de Soueida, au sud de la Syrie, balaye avec humour la possibilité d’avoir déjà eu peur lors des deux années qu’il a passées au Liban. « L’illégalité ne m’a jamais effrayé, ni la possibilité de voir débarquer les services de renseignement en plein concert », raconte ce joueur de oud, désormais basé à Berlin. Pourtant, son insertion dans la société libanaise n’a pas toujours été facile.
Arrivé au Liban en septembre 2015, Mohannad aurait dû demander un visa d’artiste valable trois mois et renouvelable, à condition de payer chaque fois plus de 900 euros. Faute de moyens, il s’est débrouillé. « Sur le papier, j’étais fermier ! Car c’est un des seuls métiers que les Syriens étaient autorisés à faire », poursuit le compositeur. « Grâce à un contact personnel, j’ai pu trouver un sponsor afin d’avoir un visa. J’ai déboursé entre 180 et 270 euros pour le papier, plus des centaines d’euros pour les intermédiaires ». Son visa ne permettant pas d’organiser des concerts, les dizaines que Mohannad a donnés étaient illégaux. Les premiers temps, il s’est rétribué à travers ces concerts et en donnant des cours de musique. « Le problème avec le fait que Beyrouth est une petite ville est qu’il n’y a pas beaucoup d’options en terme de production musicale et les prix sont élevés. Les gens ne font pas forcément leur travail correctement mais ils savent que tu reviendras vers eux dans tous les cas ».
Mohannad a ensuite reçu une aide de 4 550 euros pour la production de son premier projet personnel « L’Oud Whispers ». Cette aide a été fournie par « Ettijahat — Culture indépendante », une organisation basée à Beyrouth mais créée en 2011 à Damas. L’organisation travaille dans quatre domaines, dont celui du soutien à l’art en exil. « Nous avons ce programme nommé SANAD, à travers lequel nous tentons de voir comment chaque artiste en exil, qu’importe où il soit dans le monde, doit posséder certaines connaissances au sujet des règles qui encadrent sa situation », explique Sandra Kastoun, en charge de la communication à Ettijahat. « Et comment ces connaissances sur les droits des artistes vont rendre leur vie, mais surtout la production de leur art, plus faciles ». L’aide juridique apportée par Ettijahat se fait notamment en collaboration avec l’organisation Legal Agenda, qui met des avocats au service des artistes.
Outre les aspects juridique et financier, l’absence de lieu pour créer pose souvent problème. A travers le programme AMAKEN, Ettijahat pourvoit ainsi les artistes d’un espace, en partenariat avec le théâtre beyrouthin Tournesol, le lieu Fabrika et le Studio Koon. De son côté, la compagnie de théâtre Zoukak fournit également un lieu, mais pas que. « Nous aidons des artistes émergents à développer leur propre projet en leur donnant une petite bourse, ainsi que des soutiens administratif, logistique, et la communication », décrit Omar Abi Azar, un des fondateurs de Zoukak. « On fait aussi un suivi artistique, on visite leurs répétitions régulièrement et il y a une discussion qui est engagée avec l’artiste ».
Bon nombre d’artistes syriens basés au Liban considèrent Beyrouth comme un hub créatif prenant, se réjouissent de la communauté de soutien qui y existe, et de la facilité avec laquelle ils peuvent exercer leur art, comparé à la Syrie où la censure et les autorisations nécessaires entravent la création. « J’ai réalisé une performance de rue en plein Beyrouth, ce qui aurait été inconcevable lorsque j’étais à Damas ! », remarque Anas Younes, professionnel du théâtre. « Le régime syrien s’est investi dans la culture pour blanchir son image. Il a fait une ouverture aux artistes mais avec des limites puisque ces derniers étaient observés », note Sana Yazigi, fondatrice de Mémoire Créative, une plateforme lancée en mai 2013 qui documente 10 000 œuvres depuis le début de la révolution syrienne en 2011.
Mais depuis des mois, la pression mise sur les Syriens au Liban pour les pousser au retour, couplée à un discours raciste ancré, encourage de nombreux artistes à migrer vers l’Europe. « En 2012, lorsque les artistes syriens sont arrivés, les Libanais étaient intéressés de savoir qui ils étaient », se souvient Maysa Harwil, marchand d’art à Beyrouth, qui soutient des dizaines de jeunes artistes syriens. « Désormais, ce n’est plus le cas. Je continue à les encourager en leur rappelant que dans la vie, il n’y a pas d’ascenseur, il faut prendre les escaliers. Ils finiront par s’en sortir mais ça prendra du temps, et il faut continuer à travailler ».