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Onze mètres car­rés de pro­duits locaux, naturels et sans plas­tique. Au pina­cle de la crise des déchets, Joslin Kehdy a fondé Recy­cle Lebanon, décidée à fédér­er les por­teurs de solu­tions durables au pays du Cèdre. L’EcoSouk accueille leurs créa­tions. Avec l’Atelier des Jeunes Citoyens et Citoyennes de la Méditer­ranée (AJCM), décou­vrez des jeunes engagés pour le développe­ment durable en Méditer­ranée.

C’est un rire qui a fait bas­culer la vie de Joslin Kehdy. Le rire jaune d’une famille bey­routhine qui filme un tor­rent d’ordures inon­dant leur rue pen­dant la crise des déchets qui a frap­pé la cap­i­tale libanaise à par­tir de l’été 2015. « Rire était tout ce qui restait à faire dans cette sit­u­a­tion d’urgence où les gens descendaient en masse dans la rue pour deman­der un change­ment de sys­tème, mais où rien ne se pas­sait. Ce fut ma ligne rouge. J’ai quit­té mon tra­vail à Lon­dres et je suis rev­enue au Liban pour me con­cen­tr­er sur cette crise aux racines si pro­fondes. »

Un lieu pour expéri­menter le change­ment
Lunettes à mon­ture aux yeux, « mis­wak » (bout de bois tra­di­tion­nelle­ment util­isé pour l’hygiène den­taire, ndlr) aux lèvres, Joslin ressasse ce sou­venir déclencheur depuis l’EcoSouk Hub, une bou­tique de 11 mètres car­rés sise dans le quarti­er bey­routhin de Ham­ra. Dans ce marché éco­lo à taille réduite, tout est sans plas­tique, local, naturel ou recy­clé, du sol en dalles tra­di­tion­nelles aux étagères en bois recy­clé. L’aboutissement de qua­tre années d’engagement à fonds per­dus pour l’activiste de 33 ans, fon­da­trice de l’ONG Recy­cle Lebanon. Adepte du pro­jet, Nari­man Ham­dan a accep­té de trans­former sa bou­tique de vête­ments de fond en comble pour héberg­er pêle-mêle sacs en papi­er recy­clé, bouteilles recy­clées en verre styl­isé et savons bio. « Désor­mais, il est plus facile d’inciter les gens à chang­er leur mode de vie et à sor­tir du sys­tème quand il existe un lieu qui réu­nit toutes sortes de solu­tions pra­tiques », souligne Joslin. Ramzi, pro­duc­teur des savons naturels « Saboun Bal­a­di » ven­dus dans l’EcoSouk, arrive pour faire ses comptes avec Nari­man. « Tiens, par exem­ple, on peut désor­mais acheter du savon liq­uide naturel en rem­plis­sant sa bouteille plutôt que d’utiliser des savons indus­triels importés », dit-elle en mon­trant d’énormes jar­res en verre rem­plies de savon à l’huile d’olive ou au miel.

En face, sur une petite étagère en bois, repose une roche d’aspect vol­canique : « Trem­pée deux jours dans l’eau, cette pierre orig­i­naire d’Alep fait un mer­veilleux sham­po­ing », assure-t-elle. A côté, des mis­wak importés de Syrie et du char­bon pour l’hygiène den­taire. Si l’EcoSouk se veut la pre­mière plate­forme « zéro déchets » du Liban, le Moyen-Ori­ent sem­ble au dia­pa­son de ce nou­veau con­cept qui recy­cle d’anciennes pra­tiques : « C’est un peu une blague d’entendre que Berlin a inven­té la pre­mière bou­tique de pro­duits en vrac et sans plas­tique. Au Liban, tu en trou­ves à chaque coin de rue ! Ici, nous n’avons pas per­du le savoir-faire arti­sanal, con­traire­ment aux pays occi­den­taux. Il est donc plus facile de met­tre en place les objec­tifs d’économie cir­cu­laire néces­saires pour répon­dre au défi du change­ment cli­ma­tique », assure-t-elle, devant une étagère de « fakhar », des écuelles tra­di­tion­nelles faites de terre et d’argile.

Les solu­tions locales exis­tent
L’EcoSouk est l’un des qua­tre piliers de l’ONG Recy­cle Lebanon, dont le but est de par­venir à chang­er les men­tal­ités libanais­es face à la société du tout jetable, en pro­posant des solu­tions pra­tiques et durables. « Le pre­mier pro­gramme, “Dive into action”, a con­sisté à net­toy­er les forêts, les plages, à pro­pos­er aux gens de planter des arbres, toutes sortes d’actions con­crètes pour mobilis­er les citoyens en pleine crise des déchets. Ensuite, “Roots Acad­e­mia” pro­pose des ate­liers sur la per­ma­cul­ture et les manières con­crètes de réduire nos déchets. Nous allons bien­tôt réalis­er des “Roots Acad­e­mia tour” en ren­dant vis­ite aux pro­duc­teurs d’EcoSouk, pour s’inspirer de leurs par­cours. A terme, j’aimerais l’étendre à toute la région méditer­ranéenne, pour décou­vrir les pro­duits “bal­a­di” (locaux, ndlr) des pays voisins et leurs pro­mo­teurs. »

Le marché éco­lo de Ham­ra est le troisième pili­er. Il va bien­tôt s’agrandir d’une bou­tique ori­en­tée sur l’alimentaire où les Bey­routhins pour­ront planter des pro­duits organiques et les cuisin­er. Le dernier pro­gramme, « Regénér­er le Liban », pro­posera une car­togra­phie numérique de l’ensemble des ini­tia­tives durables au Liban, que ce soit dans le domaine de l’eau, des déchets, du design, de l’agroécologie ou de l’éducation.

Qua­tre ans après, la crise des déchets ne cesse de resur­gir. Après le rejet de tonnes de déchets dans la mer en 2017, c’est la con­struc­tion annon­cée d’incinérateurs, une tech­nique délais­sée par les pays dévelop­pés, qui défraie aujourd’hui la chronique. Rai­son de plus pour agir, insiste la mil­i­tante écol­o­giste : « Je préfère être opti­miste. Des solu­tions locales exis­tent déjà. Il suf­fit de les redé­cou­vrir pour réduire nos déchets, et nous n’aurons pas besoin d’incinérateurs. »

Reportage : Emmanuel Haddad

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