Rostane Mehdi est professeur de droit et directeur de Sciences Po Aix. Il est également le Président honoraire du Conseil scientifique de l’École doctorale des juristes méditerranéens.
« En effet, que sont les empires sans la justice, sinon de grandes réunions de brigands ? Aussi bien, une réunion de brigands est-elle autre chose qu’un petit empire, puisqu’elle forme une espèce de société gouvernée par un chef, liée par un contrat, et où le partage du butin se fait suivant certaines règles convenues ? Que cette troupe malfaisante vienne à augmenter en se recrutant d’hommes perdus, qu’elle s’empare de places pour y fixer sa domination, qu’elle prenne des villes, qu’elle subjugue des peuples, la voilà qui reçoit le nom de royaume, non parce qu’elle a dépouillé sa cupidité, mais parce qu’elle a su accroître son impunité. » Saint Augustin. La Cité de Dieu. Livre IV. §IV.
Entretien
Décryptage du nouveau contexte activé par le Général Salah :
La première question qui me vient à l’esprit devant le professeur Rostane Mehdi, c’est d’évoquer cette nouvelle division dans le régime Bouteflika à l’instar de l’activation soudaine de l’article 102 par le général Salah. Le régime se fissure en direct sous nos yeux. Comment analyse-t-il cette bascule ?
Pourquoi l’armée intervient-elle et a‑t-elle le droit de le faire ?
L’armée dans la conscience collective des Algériens est le véritable pouvoir dans le pays, ou du moins c’est par son prisme que le système a fabriqué les contours d’un pouvoir autoritaire jadis opaque, aujourd’hui poussiéreux et en bout de course. Si le symbole militaire a pu neutraliser les rébellions contre le système, est-il pour autant constitutionnellement en droit de demander le départ de Bouteflika ? Si non, pourquoi le fait-il ?
Quid de l’instance de transition ?
En l’état, comment livrer la population à ces chambres parlementaires très peu dignes de confiance tant elles sont issues de la pâte d’un système dans un état de décrépitude avancé. Dans ce contexte, comment la population qui manifeste dans les rues d’Alger ou de Marseille pourrait-elle aller voter avec les mêmes méthodes de bourrage d’urnes, de contrôle des bureaux de vote assiégés de corrupteurs en tout genre ?
Ne sommes-nous pas dans une reprise du congrès de la Soummam ?
Extrait du congrès de la Soumamm 20 août 1956 :
« L’essor impétueux de la révolution algérienne. L’Algérie, depuis deux ans, combat avec héroïsme pour l’indépendance nationale. La révolution patriotique et anticolonialiste est en marche. Elle force l’admiration de l’opinion mondiale. »
Voici les premiers mots couchés sur la restitution de cette plateforme de la Soummam qui devait structurer méthodologiquement l’avènement constituant de la démocratie algérienne post guerre coloniale. Voici ce que les trois B — Ben Bella, Boumédiène et Bouteflika — ont voulu effacer de l’histoire algérienne. Mais au regard du soulèvement massif pacifique qui est à l’œuvre en Algérie, ne sommes-nous pas dans une reprise du congrès de la Soummam ?
Le pacifisme est-il suffisant pour une révolution ?
L’admiration n’est plus à discuter au sujet de l’aspect pacifique des manifestations et du civisme dont font preuve les manifestants mettant en lumière leur indéniable maturité politique. Mais est-ce suffisant pour garantir la révolution que toute une nation appelle massivement de ses vœux ? Comment peut-elle politiquement devenir actrice de sa dynamique constituante ?