Lesbos, porte de l’Europe : entre attente et rêve perdu

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En 2015, la plu­part des Européens décou­vrent l’île de Les­bos en Grèce. Des mil­liers de réfugiés passés par la Turquie arrivent sur l’île dans des embar­ca­tions de for­tune. Sor­tie des écrans radars, l’île accueille pour­tant encore des mil­liers de per­son­nes en tran­sit. La pho­tographe et activiste Selene Mag­no­lia s’y est ren­due à plusieurs repris­es. Elle livre à 15–38 son regard plein d’humanité sur la sit­u­a­tion de l’île, en images et en mots.

« Une fron­tière n’est rien d’autre qu’une ligne imag­i­naire, une chaîne de mon­tagnes, un fleuve ou la mer. La fron­tière est réelle quand elle devient la représen­ta­tion physique des struc­tures de pou­voir et lorsque les gens déci­dent de la met­tre en pra­tique. Les poli­tiques migra­toires actuelles ont trans­for­mé la mer Égée en une sépa­ra­tion imag­i­naire entre l’ouest et l’est, et donc en une fron­tière à pro­téger », racon­te Selene Mag­no­lia.

La sit­u­a­tion à Les­bos pour­rait illus­tr­er plus large­ment celle de l’Europe actuelle. Ses poli­tiques axées sur la per­for­mance des fron­tières ont trans­for­mé cette terre de pas­sage en un lieu de déten­tion. De plus en plus de migrants restent blo­qués sur l’île et les habi­tants de Les­bos se retrou­vent sou­vent seuls pour y faire face. Chaque jour, ce sont encore des cen­taines de per­son­nes qui ten­tent de tra­vers­er l’étroite bande de mer (5,5 kilo­mètres) qui sépare la Turquie de l’île sur des bateaux insta­bles et mor­tels.

La joie des per­son­nes qui accos­tent est fugace mais intense : « I made it ! Je l’ai fait ! » Très vite, elles réalisent que le rêve est loin d’être idyllique. Cer­tains restent blo­qués pen­dant des mois en atten­dant la réponse à leur demande d’asile. Les con­di­tions de vie dans l’attente sont alors ter­ri­bles, comme le racon­te Selene : « Moria est le plus grand camp de réfugiés sur l’île. Il est bâti sur une anci­enne base mil­i­taire et pou­vait orig­inelle­ment accueil­lir 2 400 per­son­nes. Ils seraient aujourd’hui plus de 8 000. Tentes en ruine, boue, chaleur, froid, ali­ments con­t­a­m­inés, con­di­tions hygiéniques dan­gereuses, files d’at­tente inter­minables pour pren­dre un repas, ne sont que quelques-unes des frus­tra­tions quo­ti­di­ennes de ceux qui sont blo­qués dans le camp », racon­te la pho­tographe et activiste qui a passé plusieurs séjours sur l’île.

La vie à Moria est faite d’une suc­ces­sion d’attente : « Tout ce dont vous pou­vez avoir besoin à l’intérieur du camp inter­vient après une longue file d’attente, sou­vent de plusieurs heures. Plusieurs heures dans le froid, plusieurs heures dans la chaleur, plusieurs heures la nuit, plusieurs heures lorsque vous êtes malade, ou lorsque vous avez faim. La dis­tri­b­u­tion ali­men­taire, les ser­vices médi­caux, les toi­lettes, l’obtention de papiers et de l’aide des bureaux juridiques, tout à Moria se résume en une longue file d’at­tente. Une attente à laque­lle les autorités ont répon­du en con­stru­isant un mécan­isme de rangées con­sti­tuées de couloirs en cage où les gens font la queue. Plus glob­ale­ment, les migrants blo­qués dans le camp atten­dent con­stam­ment leurs papiers, la réponse à leur demande d’asile, une vie con­ven­able, leurs rêves pour le bon­heur, pour la lib­erté. »

Le camp de Moria est telle­ment surpe­u­plé que trou­ver son pro­pre espace, en ter­mes de tentes, de lits, d’espaces sûrs ou d’espace intime, est une lutte quo­ti­di­enne. En rai­son de la sur­pop­u­la­tion, des mesures ont été pris­es récem­ment par les autorités. « Le camp informel attenant bap­tisé Olive Grove, a été agran­di et com­prend main­tenant env­i­ron 2 000 tentes, même si les migrants qui souhait­ent vivre une vie digne ne sont pas ent­hou­si­astes à l’idée d’aug­menter le nom­bre de tentes. En out­re, les autorités ont fait un effort pour accélér­er le proces­sus d’a­vance­ment des per­son­nes en pos­ses­sion de papiers, qui le per­me­t­tent, avec de nom­breux départs organ­isés. Cepen­dant, il s’est avéré que cela n’était pas une solu­tion puisque le nom­bre d’ar­rivées est égal ou supérieur au nom­bre de départs organ­isés. »

Aujourd’hui, la pop­u­la­tion sur l’île se divise en trois caté­gories : les rési­dents, les migrants et les activistes et human­i­taires présents pour des durées vari­ables. « Même si le phénomène de tourisme bénév­ole com­mence à touch­er l’île de manière inquié­tante et qu’il existe un risque que les ONG trans­for­ment la crise des réfugiés en une activ­ité lucra­tive accom­pa­g­née de volon­taires peu pré­parés, les groupes d’ac­tivistes, les ONG et leurs inter­ven­tions sur le ter­rain sont actuelle­ment les plus à même d’aider les réfugiés à sup­port­er la vie à Les­bos, et sou­vent le seul moyen d’obtenir une aide adéquate. »

C’est l’histoire de cette île et de ses habi­tants que racon­te la série pho­tographique de Selene. Hors les murs de Moria, inac­ces­si­ble aux caméras, elle donne à voir l’exil, l’attente, l’espoir qui s’éloigne et des poches de sol­i­dar­ité. Le réc­it d’une île, isolée, oubliée, comme sor­tie des radars de l’Europe.

Pour décou­vrir le tra­vail de Selene Mag­no­lia, c’est par .

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