920 0

Après un par­cours migra­toire tumultueux entre la Syrie, la Turquie et la France — où ils ont vécu dans un cen­tre pour deman­deurs d’asile (CADA) avec des con­di­tions de vie dif­fi­ciles — Abed et Yara (27 ans) ont pu s’in­staller en France et pour­suiv­re des études. Ils nous livrent une par­tie de leur épopée amoureuse qui fut un temps clan­des­tine.

Hélène : Où vous êtes-vous ren­con­trés ?

Abed : On s’est ren­con­trés dans un petit vil­lage vers Mas­sayaf (Cen­tre-Ouest de la Syrie, région de Homs) à une soirée chez des amis en 2013, mais nous n’avons pas échangé nos numéros de télé­phone donc il fal­lait atten­dre que ce même groupe d’amis refasse une soirée et nous avons donc atten­du un mois avant de pou­voir nous revoir.

Yara : Moi j’étais pressée de le revoir, je dis­ais aux autres, il faut essay­er d’organiser une deux­ième soirée avec les mêmes per­son­nes qu’il y avait la dernière fois, ils étaient vrai­ment super sym­pas, alors j’insistais.

Abed : Pareil pour moi j’insistais auprès de nos amis pour organ­is­er une autre ren­con­tre avec les mêmes per­son­nes afin de pou­voir la revoir. On avait des amis en com­mun donc on a pu organ­is­er une deux­ième ren­con­tre. On était attirés l’un par l’autre.

Yara : Moi j’ai vu beau­coup de gen­til­lesse en lui. Après un mois donc, on a revu le même groupe dans le cadre d’un dîn­er, il m’a demandé si j’avais un télé­phone portable, je lui ai dit non pas avec moi, il est resté chez moi dans mon vil­lage mais je m’en sers peu car il ne capte pas très bien, on a très peu de réseau et très peu d’électricité aus­si pour le recharg­er. Donc il m’a dit qu’il allait m’envoyer un mes­sage avec inscrit 100 et que je le recevrai quand j’aurai du réseau et de l’électricité. Je suis donc ren­trée chez moi, un petit vil­lage, et j’ai atten­du 4 jours et enfin, l’électricité est rev­enue et j’ai vu que j’avais un mes­sage, et j’ai vu le chiffre 100 donc j’étais folle de joie, c’était bien un mes­sage de Abed.

Mais nous étions dans une sit­u­a­tion com­pliquée car Abed est d’une autre con­fes­sion que moi et c’est dan­gereux pour une fille de sor­tir avec quelqu’un d’une autre con­fes­sion. Donc notre rela­tion était très très très secrète. Tout pre­nait beau­coup de temps, il fal­lait de la patience à cause de ce secret, per­son­ne ne savait, sauf ma famille.

Abed : Oui heureuse­ment la famille de Yara est très ouverte d’esprit, con­traire­ment aux per­son­nes du vil­lage où elle habite. Là-bas ils sont tous alaouites, et nous à Mas­sayaf on est ismaéliens.
Donc on s’est cachés pen­dant un an.

Moi j’avais envie de quit­ter la Syrie déjà avant de ren­con­tr­er Yara car la sit­u­a­tion deve­nait dan­gereuse. Mais avec cette rela­tion, je me suis dit que je pou­vais rester ici encore quelques mois pour mieux la con­naître, on s’est vus plusieurs fois et on s’est dit que peut-être on quit­terait la Syrie ensem­ble, donc j’ai fait une propo­si­tion à la famille de Yara. J’allais être appelé pour le ser­vice mil­i­taire dans un ou deux mois donc il fal­lait que je parte en Turquie. Je leur ai dit que si j’arrivais à tra­vailler, à trou­ver un apparte­ment, peut-être que Yara pour­rait me rejoin­dre et on pour­rait com­mencer notre vie ensem­ble. Et les par­ents de Yara ont accep­té ! C’était une vraie sur­prise pour moi car je me dis­ais que si j’étais le papa de Yara, je n’accepterais pas facile­ment.
Mais en même temps ils ont vu que j’étais quelqu’un de bien et que j’avais un plan solide et clair.

Je suis par­ti de la Syrie en févri­er 2015, après 5 mois en Turquie, j’avais un tra­vail et un apparte­ment. Et j’avais même un peu d’argent à envoy­er en Syrie pour aus­si faire venir Yara en Turquie, donc sa famille a accep­té qu’elle vienne.

Yara : Pour moi cela a été très dif­fi­cile de rejoin­dre Abed en Turquie. On ne s’était pas vus depuis des mois, et pour ma pro­pre future sit­u­a­tion rien n’était clair. J’allais vers l’inconnu total. Peut-être que Abed a ressen­ti ça ou non, mais moi j’avais peur. Et n’ayant pas inter­net chez moi, il fal­lait tou­jours que j’aille trou­ver une con­nex­ion chez quelqu’un dis­crète­ment. Donc ces con­di­tions n’étaient pas idéales mais le temps est passé, et puis est venu le temps des for­mal­ités admin­is­tra­tives. On a rem­pli des for­mu­laires et on s’est mar­iés à dis­tance, avec la procu­ra­tion de Abed faite à son père afin qu’il signe les papiers du mariage.

Abed : Yara et mon père on fait tous les papiers et Yara a pu rejoin­dre la Turquie en juil­let 2015, 5 mois après mon arrivée.

Yara : Après tout ce temps, j’étais très con­tente d’aller le retrou­ver. Et toutes les peurs venant de nos com­mu­nautés et reli­gions dif­férentes se sont estom­pées, et aus­si les ques­tions sécu­ri­taires liées à la sit­u­a­tion en Syrie et le pas­sage à la fron­tière. En retrou­vant Abed, tout ça s’est un peu envolé.

Abed : Durant ces 5 mois éloignés l’un de l’autre, cela a été vrai­ment dif­fi­cile, surtout en Syrie où il ne fal­lait rien mon­tr­er et que per­son­ne ne sache sinon cela aurait engen­dré des prob­lèmes pour nos deux familles. Donc Yara a annon­cé à l’entourage au dernier moment, qu’elle avait trou­vé quelqu’un avec qui se mari­er. Donc tout s’est fait en une semaine et elle s’était pré­parée à par­tir rapi­de­ment et elle a quit­té la Syrie. Les gens ont donc su une semaine avant le départ de Yara qu’elle se mari­ait alors que cela fai­sait un an et demi que nous avions com­mencé notre rela­tion.
Car chez nous il faut absol­u­ment se mari­er pour entamer une rela­tion amoureuse sinon cela pose prob­lème surtout pour la fille, cer­tains passent out­re et entre­ti­en­nent des rela­tions hors mariage, mais ils doivent se cacher.

Yara : Pour que tout le monde sache que nous étions bel et bien mar­iés, nos par­ents ont organ­isé un mariage avec nos deux familles rassem­blées.

Abed : En Turquie cela a été dif­fi­cile mais cela a été pour notre cou­ple une superbe expéri­ence car on devait tra­vailler pour vivre, mais sans papiers en Turquie en principe ce n’est pas per­mis mais si on ne tra­vail­lait pas on se serait retrou­vés à la rue. Donc on a écrit un mail à l’ambassade de France à Ankara pour expli­quer notre sit­u­a­tion, car nous étions un peu en dan­ger, car nous sommes issus de familles musul­manes alaouites et ismaéli­ennes mais nous ne sommes pas du tout pra­ti­quants, ni religieux du tout et Yara ne por­tait pas le voile, cela posait prob­lème même avec les Syriens réfugiés avec qui nous tra­vail­lions.

Hélène : Si on reve­nait à votre his­toire d’amour… Quand vous vous êtes retrou­vés après 5 mois en Turquie, com­ment cela s’est-il passé ?

Yara : Après tout ce que nous avions tra­ver­sé, la pres­sion était retombée, un mois plus tard donc je me réveil­lais et je le voy­ais à coté de moi et je me dis­ais wahou ! Cela est vrai­ment réel, ce dont je rêvais avec lui s’est réal­isé ! Tout ce que j’imaginais : peut-être que je dormi­rai avec Abed, peut-être que je mangerai tous les soirs avez Abed, et là cela se réal­i­sait enfin !!! C’était très bizarre et beau !

Abed : Oui c’était un moment inou­bli­able, surtout le moment des retrou­vailles car Yara a eu un prob­lème quand elle est venue en Turquie, elle a pris la route pour le Liban, puis l’avion jusqu’à Adana en Turquie puis elle devait pren­dre un bus pour rejoin­dre Gazien­tep mais le chauf­feur a dit qu’elle n’avait pas réservé sa place donc elle ne pou­vait pas mon­ter dans le bus. Et là j’ai pro­posé de venir jusque là mais elle m’a dit non je me débrouillerai.

Yara : C’était très dur pour moi car je ne par­lais pas turc et pas d’autres langues et je n’avais pas inter­net, ni de télé­phone, mais c’est l’amour qui me guidait et me don­nait espoir afin de trou­ver une solu­tion. Et pour nous c’était en plus une pre­mière fois, une pre­mière expéri­ence à l’étranger en dehors de la Syrie ! Je ne savais pas com­ment utilis­er l’argent, com­ment me débrouiller, j’ai donc pris le bus quand même, j’ai repéré une Syri­enne à qui j’ai demandé son télé­phone pour appel­er Abed et lui dire que j’arrivais dans une heure.

Abed : Le moment où l’on s’est retrou­vé à Gazien­tep à sa descente du bus est très dif­fi­cile à décrire, car tous les sen­ti­ments et toutes les émo­tions sont arrivés en même temps.

L’interview en son arabe et français

Interview : Hélène Bourgon

In this article