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Autour de la Méditer­ranée, les États font face à un défi com­mun alors que des com­bat­tants par­tis en Syrie et en Irak revi­en­nent dans leurs pays. Si les méth­odes et les solu­tions choisies dif­fèrent, un con­sen­sus appa­raît : il faut dis­cuter avec ses voisins.

Com­bat­tant à la fron­tière libano-syri­enne — Crédit pho­to Anaïs Renevi­er

On les appelle les revenants, les repen­tis, les retour­nants ou les com­bat­tants étrangers. Mar­di 4 décem­bre, à Wash­ing­ton, El Haouès Riache, ambas­sadeur con­seiller sur les ques­tions de sécu­rité inter­na­tionale au min­istère des Affaires étrangères algérien est caté­gorique : «C’est la men­ace du futur». L’Algérie est inquiète du retour dans leurs régions d’origine des étrangers par­tis com­bat­tre dans les rangs de l’or­gan­i­sa­tion Etat islamique en Syrie, en Irak et en Libye. «Ce sont des per­son­nes qui ont de fortes con­vic­tions, qui sont entraînées mil­i­taire­ment, qui savent com­ment utilis­er inter­net et les réseaux soci­aux. Cha­cun d’entre eux est une bombe», explique-t-il, invité par le Cen­tre pour les études stratégiques et inter­na­tionales lors d’une journée d’étude sur la Sécu­rité au Maghreb.

Pour l’Algérie, le retour des dji­hadistes n’est pas unique­ment une men­ace locale, ils représen­tent un dan­ger pour leur pays d’origine, mais aus­si pour toute la région. Lors de cette journée, Kim Cra­gin, chercheure à l’Université Nationale de Défense améri­caine, résume les «plus grandes inquié­tudes» : «Que va-t-il se pass­er quand ceux qui sont en prison aujourd’hui vont en sor­tir?». Pour elle, les Etats doivent anticiper un déplace­ment de ces com­bat­tants vers la Libye et le Sinaï égyp­tien, surtout pour ceux dont les pays d’origine ont provo­qué une déchéance de nation­al­ité. «Même s’il s’agit de petit nom­bre, c’est un chal­lenge unique. L’Histoire nous a enseigné qu’aucun pays ne peut y faire face seul».

Un pays comme la Tunisie qui est en étroite col­lab­o­ra­tion avec l’Al­gérie dans le domaine sécu­ri­taire, n’a tou­jours pas trou­vé de solu­tions pour ses revenants”

Cette con­cer­ta­tion est en cours entre les pays européens selon Anne Giu­di­cel­li, fon­da­trice du cab­i­net de con­seil Terr(o)risc et auteure de la bande-dess­inée 13/11, Recon­sti­tu­tion d’un atten­tat (édi­tions Del­court). Le dia­logue est égale­ment engagé avec les pays méditer­ranéens, notam­ment du pays des dou­bles nation­al­ités. « A l’époque de Guan­tanamo, des pays musul­mans ont été soumis aux con­di­tions des Améri­cains pour libér­er cer­tains pris­on­niers. Il fal­lait met­tre en place des struc­tures de réin­ser­tion. En Ara­bie Saou­dite, en Egypte, ou en Jor­danie, ces struc­tures exis­tent depuis plusieurs années ». Les ten­ta­tives de coopéra­tion entre les dif­férents pays, ne se traduisent pour­tant pas néces­saire­ment dans les faits. «Un pays comme la Tunisie qui est en étroite col­lab­o­ra­tion avec l’Al­gérie dans le domaine sécu­ri­taire, n’a tou­jours pas trou­vé de solu­tions pour ses revenants», explique Dalia Ghanem Yazbeck du Cen­tre Carnegie Mid­dle East. «C’est encore un tabou mal­gré quelques timides ten­ta­tives. Mais il y a de plus en plus de col­lo­ques et de délé­ga­tions qui se ren­con­trent et ten­tent d’ap­pren­dre des expéri­ences de leurs voisins».

En France, le jour­nal­iste David Thomp­son pub­lie en décem­bre 2016 son deux­ième livre sur les dji­hadistes français. “Les Revenants” racon­te les his­toires de ceux qui, par­tis en Syrie et en Irak, veu­lent revenir en France, «dégoûtés de la vio­lence», «déçus mais pas repen­tis». Dans l’introduction, le jour­nal­iste écrit que le retour de ces com­bat­tants est «une men­ace inédite que les autorités sub­mergées par les flux ne savent pas gér­er».

« Il y a eu plusieurs ten­ta­tives des autorités français­es, qui n’ont pas abouties. D’autres sont en cours d’expérimentation, explique Anne Giu­di­cel­li. Il faut com­pren­dre la com­plex­ité des pro­fils : quelle était la moti­va­tion du départ, celle du retour ? S’agit-il de per­son­nes isolées ou de familles entières ? Sont-ils empris­on­nés en Syrie ou réfugiés dans des camps ? Du point de vue de la jus­tice inter­na­tionale, doit-on con­sid­ér­er que ce sont des com­bat­tants? Ont-ils fait la guerre à un pays ? A plusieurs ? Autant de diver­sité qui néces­site sou­vent une approche au cas par cas.» Selon les pro­pos du min­istre des affaires étrangères français, Jean-Yves Le Dri­an, des accords exis­tent. Ain­si, les Français pris­on­niers en Irak sont jugés par les autorités iraki­ennes. La séna­trice française Nathalie Goulet qui suit le tra­vail par­lemen­taire sur la ques­tion se dit pes­simiste :«Il y a trop de col­lo­ques, pas assez d’action. Les moyens sont dis­per­sés et nous devons gér­er des querelles d’égo».

Le débat français se focalise aujourd’hui sur la ques­tion des femmes et des enfants. « Doit-on les con­sid­ér­er comme com­plices ou vic­times ?, résume Anne Giu­di­cel­li. Pour les enfants, il y a un con­sen­sus. On con­sid­ère que la France doit s’occuper d’eux. La dif­fi­culté est aus­si de déter­min­er s’ils sont bien de nation­al­ité française. S’ils ont une dou­ble nation­al­ité, la ques­tion peut se pos­er : quel pays va les pren­dre en charge ? Il y a des arbi­trages avec d’autres pays. Avec le Maroc par exem­ple, le dia­logue est réguli­er ».

Sur le mod­èle de l’Algérie qui a fondé sa pre­mière mourchi­da en 1993, ces « guides » aident les pris­on­niers à avoir une meilleure com­préhen­sion de l’Islam

Depuis 2012, les départs de Maro­cains ont été plus nom­breux, même si au total leur nom­bre est moins impor­tant que pour la Tunisie. En Syrie, un groupe de com­bat­tants maro­cains a même été fondé, d’après les infor­ma­tions col­lec­tées par le chercheur Romain Cail­let. Un regroupe­ment qui per­met de retrac­er plus facile­ment le par­cours des nou­velles recrues. Mais aus­si, et c’est la crainte du roy­aume maro­cain, de pré­par­er des actions ter­ror­istes pour leur retour en ter­res maro­caines. Pour lim­iter le risque d‘attaque, depuis 2014, le roy­aume empris­onne toute per­son­ne par­tie com­bat­tre et qui ten­terait de revenir au Maroc. « Le 15 jan­vi­er 2017, la loi antiter­ror­iste a été amendée pour crim­i­nalis­er l’ap­par­te­nance à des groupes armés basés en dehors du Roy­aume du Maroc », explique le poli­to­logue maro­cain Abdel­lah Rami.

Au-delà de ce sys­tème répres­sif le Maroc a mis en place un sys­tème des mourchi­dates et des mourchi­dounes qui sont des éru­dits en reli­gion” détaille Dalia Ghanem Yazbeck. Sur le mod­èle de l’Algérie qui a fondé sa pre­mière mourchi­da en 1993, ces « guides » aident les pris­on­niers à avoir une meilleure com­préhen­sion de l’Islam et à appren­dre la ter­mi­nolo­gie (dji­had, Oum­ma, fin­ta, Jizya, Khilafa….etc). La Ligue Moham­ma­dia des Oulé­mas a elle aus­si pub­lié des livrets afin de mieux com­pren­dre la reli­gion.

Cette poli­tique s’inspire directe­ment des mesures mis­es en place en l’Algérie après la décen­nie noire. Dans le con­texte actuel, le pays n’a d’ailleurs pas con­nu beau­coup de départ de com­bat­tants dji­hadistes en Irak ou en Syrie. « Près d’une cen­taine seule­ment », explique Dalia Ghanem Yazbeck, alors même que le voisin maro­cain a exporté quelques 3000 per­son­nes, la Tunisie quelques 6000 per­son­nes avec près de 700 femmes. « Le top 5 des expor­ta­teurs de dji­hadistes sont la Tunisie (6000), la Russie (5000), l’Arabie Saou­dite (2500), la Turquie (2100), la Jor­danie (2000). Le Liban a envoyé près de 900 per­son­nes. », détaille la chercheuse citant une étude de 2016. Selon elle, cela s’explique par le passé douloureux du pays, et la décen­nie noire des années 1990. A une pop­u­la­tion « trau­ma­tisée et déçue », s’ajoute un dis­cours poli­tique qui cap­i­talise sur le sen­ti­ment de trau­ma­tisme et l’entretient, notam­ment depuis 2011 et le début des révo­lu­tions arabes : « Aujourd’hui le gou­verne­ment se pose en seule alter­na­tive face à la men­ace ter­ror­iste », résume Dalia Ghanem Yazbeck.

« Il n’y pas de solu­tion mir­a­cle ni de solu­tion à jux­ta­pos­er, mais il faut penser à la ques­tion, aux spé­ci­ficités du pays et avoir le courage d’établir une stratégie au plus vite »

A cet enjeu poli­tique s’ajoute la mon­tée du courant Dawa Salafiya. Un courant religieux quiétiste très présent sur les réseaux soci­aux, qui offrent une alter­na­tive au dji­hadisme et aux hommes poli­tiques. Ces guides offrent un sou­tien télé­phone ou via leur radio pour expli­quer com­ment vot­er, manger, prier ou encore se mari­er. « Il n’y pas de solu­tion mir­a­cle, tem­père Dalia Ghanem Yazbeck, ni de solu­tion d’ailleurs à jux­ta­pos­er ici et là, mais il faut penser à la ques­tion, aux spé­ci­ficités du pays et avoir le courage d’établir une stratégie au plus vite ».

Pour Rami Abdel­lah, l’accent devrait être mis sur l’intégration sociale. En effet, si cer­tains des plus de 1600 com­bat­tants par­tis l’ont fait pour des raisons religieuses, d’autres fac­teurs doivent être pris en compte explique le poli­to­logue : « Le dji­had en Syrie a offert des oppor­tu­nités aux jeunes , le mariage, un loge­ment, de l’ar­gent, un statut ou le sen­ti­ment d’être fier de porter des armes». Offrir des pos­si­bil­ités d’emploi à ceux qui expri­ment leurs remords et se retirent de la pen­sée vio­lente pour­rait être une piste de réin­té­gra­tion. C’est d’ailleurs en par­tie ce qui a été mis en place à la fin de la décen­nie noire en Algérie, quand plus de 15 000 com­bat­tants ont déposé les armes. Cer­tains ont pu inté­gr­er des pro­grammes de retour à l’emploi dans des entre­pris­es du pays. « L’une des leçons de cette péri­ode en Algérie, com­plète Dalia Ghanem Yazbeck, c’est que la réponse mil­i­taire ne suf­fit pas. Le dji­hadisme est aus­si un phénomène social qui, s’il n’est pas pris en compte comme tel, revien­dra. »

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