Droit de séjour des détenus : l’inertie des préfectures et des pouvoirs publics

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En France, deman­der ou renou­vel­er un titre de séjour en déten­tion relève du par­cours du com­bat­tant. Pour­tant, une cir­cu­laire du min­istère de l’Intérieur de 2013 fixe la procé­dure à suiv­re. Rares sont les pré­fec­tures qui en tien­nent compte. Pour celles qui l’appliquent, les lim­ites restent nom­breuses. Un titre de séjour valide est pour­tant essen­tiel pour pré­par­er la réin­ser­tion des pris­on­niers et éviter leur expul­sion ou leur place­ment en réten­tion.

Une fois par semaine, Jacques Blanc se rend au cen­tre péni­ten­ti­aire de Mar­seille. Depuis 5 ans, il emprunte la ligne du bus 22 qui sil­lonne le Sud de la ville jusqu’à l’entrée du parc nation­al des Calan­ques où cohab­itent la tris­te­ment célèbre prison des Baumettes et la nou­velle prison, appelée Baumettes II. Mem­bre de la Cimade, asso­ci­a­tion venant en aide aux migrants, il dis­pose d’un statut d’intervenant qui lui facilite l’accès aux pris­on­niers, prévenus et con­damnés. « Pen­dant un temps, on avait des dif­fi­cultés pour accéder aux détenus parce qu’il n’y avait pas de con­ven­tion entre le cen­tre péni­ten­ti­aire et notre asso­ci­a­tion. Il nous est arrivé de patien­ter une journée sans pou­voir en ren­con­tr­er un seul » explique le bénév­ole, attablé à l’étage du local asso­ci­atif situé dans le cen­tre-ville phocéen. Ce mar­di, la per­ma­nence juridique du rez-de-chaussée est pleine à cra­quer, un clas­sique. Il enchaîne : « L’accompagnement que l’on mène, c’est de faire con­naître leurs droits aux détenus. Ensuite, engager des démarch­es admin­is­tra­tives. Ça peut être par exem­ple un renou­velle­ment de titre de séjour qui arrive à expi­ra­tion pen­dant la déten­tion ».

Comme lui, ils sont 130 bénév­oles à inter­venir dans 74 pris­ons à tra­vers l’Hexagone. Depuis 2007, un pro­to­cole signé entre la Cimade et l’administration péni­ten­ti­aire encadre ces inter­ven­tions. Marc Duran­ton, respon­s­able prison de la Cimade, déclarait en févri­er dernier une dégra­da­tion des rela­tions avec l’administration péni­ten­ti­aire. « Il arrive que sur le ter­rain, notre tra­vail ne soit pas tou­jours appré­cié », con­firme Jacques Blanc.

Aux côtés des inter­venants asso­ci­at­ifs, des juristes sont présents dans des points d’accès aux droits (PAD) et des con­seillers péni­ten­ti­aires d’insertion et de pro­ba­tion (CPIP) accom­pa­g­nent les détenus. Ils jouent un rôle pré­cieux pour les étrangers, pour qui la langue con­stitue une bar­rière quo­ti­di­enne.

Engager une démarche admin­is­tra­tive depuis la prison relève du com­bat. La pre­mière dif­fi­culté étant de réu­nir l’ensemble des doc­u­ments néces­saires pour con­stituer un dossier. « Ici, le temps n’est pas le même. La machine admin­is­tra­tive est extrême­ment lente et com­plexe », glisse une inter­venante à ce sujet.

« Aucun étranger ayant droit à un titre de séjour ne devrait perdre sa qualité de personne en situation régulière du fait de sa détention »

Un titre de séjour valide est une con­di­tion pour accéder aux mesures de réin­ser­tion. Privés de lib­erté, les détenus ne peu­vent se ren­dre en pré­fec­ture pour faire une demande ou renou­vel­er leur titre de séjour. Afin de pal­li­er ce prob­lème, le min­istère de la Jus­tice et de l’Intérieur fixe une procé­dure uni­forme à tra­vers la cir­cu­laire du 25 mars 2013. L’objectif : met­tre en place un pro­to­cole et une cor­re­spon­dance postale entre le cen­tre péni­ten­ti­aire et la pré­fec­ture com­pé­tente pour faciliter les deman­des de régu­lar­i­sa­tion.

Aujourd’hui, il est impos­si­ble de mesur­er l’application de cette cir­cu­laire. Elle varie en fonc­tion des départe­ments. « Beau­coup d’établissements péni­ten­ti­aires n’ont pas signé de con­ven­tion avec les pré­fec­tures. Si vous êtes incar­céré dans le Var ou dans l’Hérault, il est pos­si­ble de renou­vel­er son titre de séjour. A Mar­seille, le bureau des étrangers de la pré­fec­ture refuse de sign­er la con­ven­tion », déplore San­drine Euzenat, direc­trice de l’Association de poli­tique crim­inelle appliquée et de réin­ser­tion sociale (APCARS) à Mar­seille. « C’est un gros prob­lème car lorsque la sit­u­a­tion du détenu n’est pas régulière, l’aménagement de peine est incon­cev­able, on ne peut pas le posi­tion­ner sur du loge­ment ou sur Pôle Emploi », con­clut-elle.

Dans un rap­port de 2014, la Con­trôleuse générale des lieux de pri­va­tion de lib­erté (CGLPL), autorité admin­is­tra­tive indépen­dante, relève plusieurs irrégu­lar­ités rel­a­tives à l’obtention et au renou­velle­ment des titres de séjour pour les détenus étrangers. Elle indique qu’ « aucun étranger ayant droit à un titre de séjour ne devrait per­dre sa qual­ité de per­son­ne en sit­u­a­tion régulière du fait de sa déten­tion », ajoutant que l’absence de titre de séjour « prive les étrangers de la pos­si­bil­ité de rechercher un con­trat de tra­vail et une for­ma­tion ou de béné­fici­er de presta­tions sociales ». Des con­di­tions qui per­me­t­tent l’accès au place­ment en semi-lib­erté ou en libéra­tion con­di­tion­nelle. Ain­si, les étrangers ont des prob­a­bil­ités de purg­er des peines plus longues que les Français.

« Malheureusement, le droit des étrangers n’est pas leur priorité en matière d’accueil du public et d’accès aux droits »

Inter­rogées sur l’application de la cir­cu­laire de 2013, l’administration péni­ten­ti­aire et cer­taines pré­fec­tures inter­pel­lées n’ont pas don­né suite à nos deman­des. « Il n’y a aucun cadre ni aucune con­trainte réelle qui pèsent sur les pré­fec­tures. Au-delà des cir­cu­laires qui don­nent des lignes direc­tri­ces, les pré­fec­tures dis­posent de marges de manœu­vre pour organ­is­er leur ser­vice comme elles l’entendent », analyse Math­ieu Quin­quis, avo­cat et admin­is­tra­teur à l’Observatoire inter­na­tion­al des pris­ons (OIP). « Mal­heureuse­ment, le droit des étrangers n’est pas leur pri­or­ité en matière d’accueil du pub­lic et d’accès aux droits, alors en plus, si vous y ajoutez la qual­ité de per­son­ne détenue, on a un com­bo impos­si­ble à résoudre », souligne-t-il prag­ma­tique­ment.

A la mai­son d’arrêt de Fresnes, dans laque­lle env­i­ron 40 % des détenus sont de nation­al­ité étrangère, un pro­to­cole a été mis en place en 2018. Julien Fis­chmeis­ter, juriste au PAD de la mai­son d’arrêt, reste dubi­tatif sur son fonc­tion­nement. « Ça fonc­tionne oui, mais avec énor­mé­ment de lim­ites. Seules les per­son­nes domi­cil­iées dans le Val-de-Marne peu­vent enreg­istr­er une demande », indique-t-il, expli­quant que très régulière­ment, la pré­fec­ture met en avant la « men­ace à l’ordre pub­lic » du détenu pour débouter sa demande. Un terme qui n’est juridique­ment défi­ni nulle part. « La ques­tion de l’accès au séjour reste large­ment et volon­taire­ment ignorée par les pou­voirs publics, qui prof­i­tent de l’aubaine que con­stitue la sanc­tion pénale pour rejeter les deman­des », syn­thé­tise l’intervenant.

Lorsque la demande est rejetée, l’étranger peut se voir noti­fi­er une « oblig­a­tion de quit­ter le ter­ri­toire français » (OQTF). Dès lors, il risque l’expulsion ou le place­ment en cen­tre de réten­tion admin­is­tra­tive (CRA) à sa lev­ée d’écrou. Le jour­nal Libéra­tion relatait en mai 2019 l’histoire d’un Tunisien placé en CRA suite à l’expiration de son titre de séjour lors de sa déten­tion.

Dans son rap­port d’observation de 2014, la Cimade estime qu’un « décret doit être signé » pour l’accès aux procé­dures de deman­des ou de renou­velle­ment de titre de séjour, et pro­pose « d’admettre au séjour les per­son­nes qui ne peu­vent pas être éloignées du ter­ri­toire français ». Enfin, le Con­trôleur général des lieux de pri­va­tion de lib­erté recom­mande pour ceux n’ayant pas droit au séjour, que soit « envis­agé un pro­jet de pro­ba­tion dans le pays d’origine ». Des solu­tions pour met­tre fin aux pra­tiques hétérogènes rel­a­tives au séjour des détenus étrangers.

Demande d’asile en détention : l’exception qui confirme la règle

Le Con­trôleur général des lieux de pri­va­tion de lib­erté déclarait dans son rap­port de 2014 que « la pos­si­bil­ité de deman­der l’asile est un droit fon­da­men­tal qui subit deux lim­ites en déten­tion. De fait, il est très dif­fi­cile de dépos­er une demande : défaut d’information, encour­age­ment par les points d’accès aux droits (PAD) au report de la demande à la sor­tie, absence d’interprète. En out­re, de nom­breuses pré­fec­tures refusent sys­té­ma­tique­ment l’admission pro­vi­soire au séjour au motif d’une men­ace grave à l’ordre pub­lic. S’ensuit un place­ment en procé­dure « pri­or­i­taire » qui ne garan­tit pas un exa­m­en suff­isam­ment sérieux des deman­des d’asile ».

Le 13 mars 2019, le tri­bunal admin­is­tratif a pour­tant enjoint au préfet du Val-de-Marne d’enregistrer les deman­des d’asile for­mulées par sept per­son­nes incar­cérées à Fresnes, rap­pelant que « le préfet a porté à cette lib­erté fon­da­men­tale une atteinte grave et man­i­feste­ment illé­gale ».

Une pre­mière en France. Cette déci­sion ne s’applique cepen­dant qu’aux sept requérants, qui sans l’accompagnement d’associations n’auraient jamais pu enreg­istr­er leur demande. Julien Fis­chmeis­ter, juriste dans le PAD de la mai­son d’arrêt de Fresnes, rap­pelle qu’ « une action con­tentieuse prend énor­mé­ment de temps et d’énergie. Les pré­fec­tures mis­ent sur le décourage­ment des per­son­nes qui tra­vail­lent en déten­tion ».

Texte : Matteo Tiberghien
Photo de Une : Entrée du centre pénitentiaire des Baumettes à Marseille @Matteo Tiberghien

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