Parole de journalistes en Méditerranée, et ailleurs…

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Paroles, paroles, des paroles, les jour­nal­istes réu­nis aux Assis­es inter­na­tionales du jour­nal­isme à Tunis en ont eu, au cœur desquelles ils nous livrent leurs mécon­tente­ments, leurs peurs, leurs luttes, leurs lim­ites, leurs cri­tiques, leurs ressen­tis et leurs pas­sions.

Abdoo est orig­i­naire du sud de la Libye, dans la région de Sabaa où l’au­to-cen­sure est quo­ti­di­enne.
Entre­tien sonore en arabe et en français.

Extrait : « Nous avons une sit­u­a­tion poli­tique insta­ble et très com­plexe en Libye donc ce n’est pas sim­ple, surtout dans le sud où la sit­u­a­tion est dan­gereuse, on par­le de sujets de société qui touchent le citoyen, mais con­cer­nant les sujets poli­tiques, c’est plus com­pliqué pour nous les jour­nal­istes. Il n’y a pas de lois qui pro­tè­gent les jour­nal­istes. Je con­tacte unique­ment des sources que je con­nais per­son­nelle­ment pour entr­er en rela­tion avec des chefs de par­tis, des représen­tants de groupes et de mil­ices. Vu qu’il n’y a pas de lib­erté et sécu­rité en Libye, on tra­vaille selon nos pro­pres règles, on ne peut pas dire toute la réal­ité que l’on voit, mais qu’une par­tie car per­son­ne ne nous pro­tège.
Le nom­bre de réfugiés sub­sa­hariens qui tran­si­tent du sud de la Libye au nord est très impor­tant, ils vivent dans des con­di­tions très dif­fi­ciles. La presse étrangère caté­gorise les Libyens comme étant des per­son­nes dan­gereuses, vu le traite­ment inhu­main que cer­tains infli­gent aux migrants sub­sa­hariens. Mais nous en tant que Libyens, nous souf­frons égale­ment de cette insécu­rité et des men­aces de cer­tains groupes et mil­ices, en tant que jour­nal­iste je ne suis pas libre. Mais la dif­férence c’est que je suis pro­tégé par ma tribu. »

« Un jour­nal­isme proche du pub­lic et sur des ques­tions sen­si­bles » Rawla est une jour­nal­iste tunisi­enne indépen­dante et tra­vaille régulière­ment pour un heb­do­madaire d’enquête.

« Les bom­barde­ments saou­di­ens dans ma ville natale de Sanaa m’ont poussé à devenir jour­nal­iste et à porter les voix des gens » Hus­sein Nass­er, jour­nal­iste yéménite.

Extrait : « J’ai choisi ce méti­er de jour­nal­iste par pas­sion de trans­met­tre toutes les voix des gens, des per­son­nes qui souf­frent de la guerre, des bom­barde­ments aériens des Saou­di­ens et par la coali­tion et cette sit­u­a­tion m’a poussée à tra­vailler comme jour­nal­iste. La sit­u­a­tion a changé la vie des tous les yéménites et per­son­nelle­ment, cela a changé ma vie dans mes études, sous beau­coup d’aspects, par exem­ple je ne peux plus voy­ager à l’intérieur de mon pays et même depuis d’une ville à l’autre à cause de la guerre mais aus­si à cause des dis­cours de haine déver­sés durant cette guerre entre dif­férents ter­ri­toires, c’est ce qu’a pro­duit la guerre au Yémen.
A cause de la guerre et dans cette guerre, les Saou­di­ens et les Emi­ratis jouent un sale jeu, ils encour­a­gent des par­tis yéménites à entretenir des dis­cours de haine pour qu’on se tue entre nous, surtout dans le sud afin que l’on déteste les gens du nord. Mais cela ne ressem­ble pas à notre pays et à la cul­ture yéménite. C’est com­plète­ment nou­veau et ils entre­ti­en­nent cette sit­u­a­tion pour main­tenir leur occu­pa­tion et leur influ­ence, leur con­trôle partout là où ils peu­vent.
Je viens de Sanaa la cap­i­tale au nord, et c’était une ville mag­nifique, elle n’était pas mod­erne ni par­faite, mais belle et la guerre l’a ren­due vrai­ment triste. Les bom­barde­ments aériens sont inces­sants à Sanaa, la sit­u­a­tion human­i­taire est déplorable et la pau­vreté domine désor­mais.
Mon tra­vail de jour­nal­iste au milieu de cela est com­pliqué car la sit­u­a­tion dif­fère d’une ville à l’autre donc il faut faire avec dif­férentes autorités, par­fois pas de routes et il faut des autori­sa­tions pour pass­er partout et aus­si pour les jour­nal­istes étrangers.
Au début j’ai trou­vé un petit pont, un moyen de devenir jour­nal­iste, j’ai fait de petites vidéos, et j’interviewais les gens, car pour moi ce sont les civils, les citoyens qui racon­tent le mieux ce que vit le pays. Ils sont très affec­tés par la guerre, ils ont sup­primé leurs salaires, ils peinent à trou­ver de l’eau, leurs enfants ne dor­ment plus à cause du bruit des bombes, ils ne peu­vent pas sub­venir à leurs besoins en nour­ri­t­ure comme par le passé et la liste est longue… »

« La famine au Yémen a été provo­quée par l’homme, ce n’est pas accept­able dans ce monde » Ahmad Bey­dar, coor­di­na­teur de pro­jets à CFI (Agence française pour le développe­ment des médias) au Yémen, jour­nal­iste et fixeur.

Pourquoi avez-vous choisi de tra­vailler avec les jour­nal­istes ?
Quand j’ai choisi le jour­nal­isme en 2011, j’ai observé la grande dif­fi­culté des jour­nal­istes étrangers à obtenir des autori­sa­tions auprès de nos dif­férentes autorités pour obtenir un droit de venir sur notre ter­ri­toire pour cou­vrir le con­flit. Ils voulaient tous venir mais ne pou­vaient pas à cause du refus des autorités, et ceux qui y par­ve­naient, ren­con­traient sur le ter­rain beau­coup de dif­fi­cultés. Donc j’ai essayé d’aider, et notam­ment de faciliter le coté admin­is­tratif et faire en sorte que tout se passe pour le mieux sur le ter­rain pour ceux qui ont pu venir.
C’est très impor­tant d’avoir les voix des jour­nal­istes aujourd’hui au Yémen afin qu’ils parta­gent les his­toires des Yéménites au monde et les gens devraient vrai­ment être atten­tifs à ce qu’il se passe ici. Dire com­bi­en les gens ici souf­frent, meurent de faim, on a une grande famine et ce n’est pas une famine naturelle !!! C’est une famine qui est provo­quée par des hommes. Et les dif­férentes par­ties du con­flit ne veu­lent pas la présence des jour­nal­istes dans le pays car ils mon­tr­eraient les cat­a­stro­phes et ce qu’ils provo­quent et engen­drent eux-mêmes de mal. Et grâce à la présence des jour­nal­istes, la com­mu­nauté inter­na­tionale peut au moins se faire une idée sur qui fait du mal dans ce con­flit. Mais c’est devenu de plus en plus dif­fi­cile d’accueillir des jour­nal­istes étrangers mal­heureuse­ment, et aujourd’hui on entend dire que le Yémen est une guerre oubliée, car per­son­ne n’en par­le et peut suiv­re ce qu’il s’y passe. A l’étranger ils par­lent de la Syrie, de la Libye où les jour­nal­istes peu­vent se ren­dre, mais pas du Yémen. Il y a des arrange­ments pos­si­bles pour venir, mais il faut négoci­er avec les dif­férentes autorités pour avoir une per­mis­sion et en même temps il faut pou­voir venir sur place pour négoci­er et c’est impos­si­ble sans per­mis­sion, nous faisons de notre mieux pour aider.
Que pensez-vous du rôle des jour­nal­istes yéménites ? Il est très impor­tant celui des pho­tographes, des pro­duc­teurs, pour partager les réal­ités, et surtout celles qui se passent dans les provinces et lieux com­plète­ment reculés et oubliés. Notre rôle est aujourd’hui pri­mor­dial.
Et les jour­nal­istes ici on besoin de plus de for­ma­tions, d’être entraînés, c’est pourquoi nous sommes ici pour prof­iter des temps d’ateliers de for­ma­tion à dif­férentes tech­niques jour­nal­is­tiques mis en place durant ces Assis­es et de partager nos expéri­ences avec d’autres jour­nal­istes.
D’où venez-vous ? Je suis de Sanaa mais je suis vrai­ment très mobile et me déplace partout dans le pays pour for­mer des jour­nal­istes.
Com­ment faites-vous pour vous déplac­er ? Main­tenant je passe beau­coup de temps au Caire où je tra­vaille aus­si, et je prends régulière­ment des vols pour Aden au sud du Yémen et ensuite je remonte sur la côte ouest où il y a des batailles et aus­si dans dif­férents gou­ver­norats pour soutenir les médias. Mais en tant que jour­nal­istes et fixeurs au Yémen, nous avons un des plus dan­gereux tra­vail au monde, car nous ren­con­trons sur nos routes de nom­breuses mil­ices. Mais les papiers en règle et con­venus en amont avec des respon­s­ables nous per­me­t­tent de cir­culer et puis nous avons cette croy­ance que les gens, les citoyens, ont besoin de partager leurs souf­frances avec le monde. Et je le redis, cette crise human­i­taire, l’une des plus graves au monde, est mal­heureuse­ment provo­quée par l’humain. La France pour­rait nous aider, la com­mu­nauté inter­na­tionale pour­rait stop­per cette sit­u­a­tion. Les Yéménites sont des gens biens. Ils devraient se décider réelle­ment et pren­dre con­science de qui est dans son droit et qui ne l’est pas dans ce con­flit.

Donc nous appelons depuis ici, toute la com­mu­nauté inter­na­tionale, et surtout les mem­bres du Con­seil de sécu­rité de l’ONU, la France, l’Angleterre, la Russie, la Chine, ils doivent pren­dre une déci­sion car tout ça n’a pas de sens !!! Des Yéménites aujourd’hui se com­bat­tent entre eux, instru­men­tal­isés par l’ex­térieur et ce sont les civils qui paient le prix fort ! Donc on espère que cela va se calmer et qu’ils vont arrêter les livraisons d’armes à des­ti­na­tion de notre pays, et revenir à un dia­logue de paix. Nous avons vrai­ment besoin de dia­logue paci­fique. La pop­u­la­tion yéménite a besoin de paix, nous avons besoin d’amour, nous sommes des gens joyeux, nous voulons une vie meilleure, je ne pense pas que nous méri­tions ce que nous sommes en train de vivre.
Avez-vous un mes­sage pour les citoyens européens ? Oui j’en ai un. S’ils savaient ce que nous vivons, ils seraient vrai­ment en colère con­tre l’i­n­ac­tion de leurs gou­verne­ments, surtout main­tenant qu’ils peu­vent savoir ce qu’il s’y passe. Vous devez main­tenant faire bouger les choses en vous forgeant une opin­ion publique, en partageant les his­toires du Yémen qui tra­verse la famine, la guerre, et j’espère que nos dirigeants vont se mon­tr­er plus respon­s­ables et essaieront de met­tre un terme à cette énorme crise, une des plus grandes de ce monde.

Cet article, comme tous les articles publiés dans les dossiers de 15–38, est issu du travail de journalistes de terrain que nous rémunérons.

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