Réunis à Tunis, nous étions environ 1 000 journalistes franco-arabes à participer aux Assises internationales du journalisme et à réfléchir à l’intitulé « Un journalisme utile aux citoyens ? » en interrogeant notre rôle et la façon de traiter l’information dans nos contextes respectifs.
Requestionner notre métier, nos pratiques, nos modèles économiques, nos coopérations entre journalistes des différentes rives de la Méditerranée : ces questions représentaient l’enjeu de cette rencontre et des panels animés par des journalistes de la vieille école mais aussi de la nouvelle école, celle du terrain, de l’indépendance, de la démerde, celle qui a fait le choix d’être proche de la jeunesse.
Expérience yéménite
Dès la première journée, j’ai été attirée par l’atelier intitulé : « Un journalisme de paix en temps de guerre, l’exemple du Yémen », intriguée de voir des confrères qui ont risqué leurs vies pour venir nous rencontrer et partager leurs pratiques journalistiques. « Sortir du Yémen est un film d’horreur, on ne sait jamais si on va survivre au trajet qui nous mène hors du pays », confie d’entrée de jeu Ali Al-Moshki, directeur de la radio associative Yémen Times qui compte 24 animateurs depuis 2012 et propose de nombreux programmes tournés vers l’humain, l’alphabétisation, les droits des femmes, et la paix entre Yéménites. « Nous avons un programme pour que les enfants du sud du pays et du nord communiquent et n’entrent pas dans la scission et la division que subit notre pays et qui sont engendrées par les différentes parties au conflit. Le pire serait la division des cœurs, on cherche à redonner de l’amour, de l’espoir », précise-t-il. Puis c’est au tour de Rania, jeune femme journaliste pour la radio Lana de prendre la parole : « Nous essayons de suivre la voix des citoyens, notre société étant conservatrice, nous consacrons des sujets réservés aux femmes en milieu rural qui n’ont pas la place dans les sujets traités en général, mais aussi concernant la santé et les questions sanitaires qui touchent le pays (cas de choléra et de famine). Tout cela en luttant parfois pour atteindre notre local radio sous les bombardements ». Les questions sécuritaires sont au cœur des préoccupations de ces journalistes au courage sans borne, qui chaque jour franchissent des obstacles pour informer et tenir les citoyens en éveil face à l’atrocité de cette guerre alimentée par les Saoudiens. « Notre rôle est également d’éclairer la société, de l’ouvrir à la culture même en temps de guerre, car parfois Al-Qaïda prend le pouvoir sur les ondes et le risque est le repli sur soi. Notre rôle est alors de penser à l’avenir de notre nation en prônant des messages de paix et d’ouverture dans tout le pays », témoigne un journaliste yéménite, en rappelant que la radio est un fabuleux outil pour l’espoir au Yémen face aux nombreux facteurs de haine qui ont divisé les gens du nord et du sud ces dernières années. Ils ont aujourd’hui besoin de partager leurs vies sur les ondes pour à nouveau se comprendre. Les jeunes se seraient ainsi emparés de la neutralité politique grâce à cette vision insufflée par les médias naissants.
Les journalistes libyens et irakiens présents dans la salle ont également fait remarquer l’importance de relayer les informations sur l’état général du pays en plus des messages de paix, mais aussi des difficultés de ne pas tomber dans l’auto-censure au risque de se faire enlever ou persécuter comme c’est le cas dans leurs pays. Loin de ces contextes, ils nous donnent à nous Français, Libanais, Tunisiens, Belges présents ce jour-là, des leçons de journalisme. Car même dans la guerre ils tentent de ne négliger personne dans le traitement de l’information.
La déontologie en question
« Éthique, déontologie, quelles propositions pour une information de qualité ? » telle était l’une des nombreuses questions posées. « Nous avons accumulé d’énormes lacunes et des abus en tout genre dans les pratiques journalistiques depuis la révolution de 2011 », lance Nouri Lajmi, président de la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle en Tunisie. « Nous avons besoin d’ouvrir des espaces démocratiques et de donner à chacun une opportunité de s’exprimer mais avec une auto-régulation qui doit être faite par les journalistes », propose ce jeune tunisien. Aller à la rencontre des publics, de tous les publics et de la société semble incontournable dans ce débat. La journaliste et animatrice pour la télévision publique tunisienne, Samira Mehdaoui, propose depuis peu un programme où les journalistes sillonnent la Tunisie et interrogent les jeunes sur des questions sociétales et sur leurs réalités de vie. Ce journalisme de proximité leur permet de parler des exclus de la société, des oubliés, des mal-considérés mais aussi des sous-représentés, un gage de qualité et de professionnalisme pour certains journalistes.
Les journalistes débatteurs belges présents lors de cette thématique exposaient quant à eux leur système de « conseil de déontologie des journalistes » qui fixe des règles déontologiques érigées par les journalistes et des textes de référence pour se protéger collectivement. La présence d’un médiateur constitue en effet jusqu’à ce jour pour certains médias une solution de régulation face aux critiques du public contre le travail de journaliste, la modération des commentaires et des plaintes des lecteurs est un autre procédé dont le média peut s’emparer ainsi que des outils de décodage de l’information. Mais ces méthodes sont-elles efficaces et suffisantes ? Face à la baisse de qualité des programmes d’information des médias mainstream dénoncés par de nombreux publics en France par exemple, que peut-on faire ? Avons nous un poids en tant que citoyens et journalistes pour des médias indépendants ? Quelles sont nos marges de manœuvre et à quel point sommes-nous entendus par les grandes rédactions ?
Après réflexion en groupe lors de ce débat, nous avons conclu que si les médias ne représentent pas la société dans laquelle ils vivent, ils ne remplissent pas leur tâche. La diversité devrait donc être au cœur de nos métiers. Nous sommes responsables dans nos pratiques journalistiques d’informer dans la globalité, de diversifier les angles et d’aller plus loin que l’info brute, même si les traditions socio-culturelles dans certains pays ont un poids et un impact sur la déontologie.
L’éducation, rempart à la désinformation
Lors de ces Assises, plusieurs débats ont été dédiés au rôle de l’éducation à l’information et aux médias dans laquelle s’inscrivent de plus en plus de rédactions, et notamment les médias indépendants. Douce prise de conscience que leur travail sera de moins en moins consulté, et que l’on va vers une grave faillite de la presse si les générations futures ne savent pas s’informer et continuent de se perdre dans les flots d’informations déversées dans leur vie quotidienne via les alertes infos sur leurs téléphones, les réseaux sociaux et les chaînes d’information en continu. Dans ces conditions, le risque de la désinformation est élevé et il est alimenté par le fait que le journaliste lui-même est contraint aujourd’hui dans son travail par des formats courts qui l’empêchent de creuser l’information et de donner une lecture plus profonde des événements.
Aller à l’encontre de ces schémas implique non seulement d’aller à la rencontre du public, de réinstaurer une confiance entre les journalistes et les citoyens et de se rapprocher de la jeunesse en lui donnant la possibilité de rencontrer la profession. Des journalistes venus de Gaza ont exposé leur projet éducatif qui inclut 10 écoles, où ils proposent des ateliers pour lutter contre les fake news et des initiations au journalisme. Ils incluent les familles des élèves afin de toucher l’ensemble de la population. « Cela permet aussi aux jeunes de prendre confiance en eux, nous faisons des exercices d’expression orale en pleine nature » confie Hadil Taher, formatrice et coordinatrice de projets pour l’association Pyalara à Gaza. Mouna Trabelsi présidente de l’Association tunisienne des médias alternatifs a présenté, elle, les ateliers de décryptage de l’information menés par des journalistes dans les écoles, ainsi que la création de webradio dans le pays. Leurs expériences ont permis de créer des liens entre des rédactions des différentes rives de la Méditerranée. Des projets d’éducation aux médias inter-méditerranéens devraient donc naître, notamment entre notre rédaction 15–38 à Marseille et la Tunisie, la Palestine et le Liban pour un projet d’émission web destinée aux jeunes et impulsé par Labneh and Facts.