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En France ou en Espagne, des coopéra­tives bâtent le pavé pour informer autour des nou­velles voies pos­si­bles de pro­duc­tion d’énergies citoyennes. Des sys­tèmes basés sur les éner­gies renou­ve­lables, où pro­duc­teurs et con­som­ma­teurs devi­en­nent socié­taires.

Regroupés autour des stands et des assem­blées de la six­ième Foire des économies sol­idaires qui a eu lieu au Matadero de Madrid fin sep­tem­bre, les représen­tants de toutes les coopéra­tives con­cor­dent sur le fait que le mod­èle de l’autoconsommation peut être aisé­ment élar­gi à toute l’Espagne. « Le change­ment ne se fera pas du jour au lende­main. La tech­nolo­gie a beau­coup avancé, mais il fau­dra encore du temps avant de dévelop­per un réseau élec­trique issu 100 % des éner­gies renou­ve­lables. On aura sans doute besoin d’une péri­ode de tran­si­tion, une fois déman­telées les cen­trales à char­bon et les cen­trales nucléaires encore actives dans le pays, il fau­dra penser toute une série de sources d’énergie annex­es, pour combler les péri­odes de baisse de pro­duc­tion dues aux fac­teurs naturels. En Espagne, une bonne solu­tion pour­rait être l’installation de bar­rages hydroélec­triques sur les nom­breux marais du pays », explique Car­los Ortiz, de la coopéra­tive madrilène La Cor­ri­ente. Par réac­tion au bloc for­mé par l’élite poli­tique et économique, plusieurs coopéra­tives de vente et com­mer­cial­i­sa­tion ont vu le jour un peu partout en Espagne. Elles sont désor­mais présentes dans presque tous les départe­ments espag­nols avec Nosa Enerx­ia en Gal­ice, Som Ener­gia en Cat­a­logne, Goiener au Pays Basque, EnerEti­ca en Castille et Léon Solabria en Cantabrie. Elles comptent aujourd’hui des mil­liers d’associées, cer­taines d’entre elles envis­agent déjà de pro­duire leur pro­pre énergie élec­trique à tra­vers l’achat ou la con­struc­tion de nou­veaux champs solaires.

« Si l’on regarde du point de vue stricte­ment économique, le mod­èle de développe­ment espag­nol est basé sur l’essor d’une indus­trie touris­tique de très mau­vaise qual­ité : qua­si­ment toutes les entrées du tourisme sont ensuite dépen­sées dans l’importation d’énergies fos­siles. Comme mod­èle de développe­ment, c’est un véri­ta­ble désas­tre ! », lance, indignée Cote Romero. Engagée dans la vie citoyenne de Madrid, elle est la nou­velle coor­di­na­trice de Ecooo Rev­olu­ción Solar, une société de ser­vices qui tra­vaille pour la tran­si­tion énergé­tique de l’Espagne vers les éner­gies renou­ve­lables et qui regroupe les prin­ci­paux acteurs du secteur. Sur la ter­rasse ensoleil­lée du bureau de Ecooo Rev­olu­ción Solar, avec vue sur les immeubles de Madrid, Cote m’explique le gouf­fre du sys­tème énergé­tique espag­nol : « La tran­si­tion énergé­tique a été bru­tale­ment arrêtée à cause des intérêts de qua­tre grands groupes indus­triels. Au-delà du coté écologique, l’Espagne est un pays qui a de graves prob­lèmes d’emploi et les éner­gies renou­ve­lables pour­raient créer de nom­breux postes de tra­vail ».

Carte de l’ir­ra­di­a­tion solaire annuelle en Europe — Solargis.info

L’In­sti­tut pour la diver­si­fi­ca­tion et les économies d’énergie (IDAE) avait prévu pour la péri­ode 2012–2020 la créa­tion de presque un mil­lion de postes de tra­vail : 300 000 liés à la con­struc­tion du nou­veau réseau et 700 000 pour sa ges­tion et son entre­tien. En 2008, l’Espagne était le pre­mier pro­duc­teur mon­di­al d’énergie solaire et éoli­enne, ce qu’on avait appelé à l’époque le « boom du solaire ». Qua­tre ans plus tard, avec le retour au pou­voir du Par­tido Pop­u­lar (Par­ti Pop­u­laire, cen­tre droit) et sous la pres­sion de grands four­nisseurs d’énergie élec­trique espag­nols, une loi est votée pour empêch­er que le développe­ment des éner­gies renou­ve­lables puisse être une véri­ta­ble con­cur­rence aux four­nisseurs his­toriques. « Per­son­ne n’a véri­fié les déc­la­ra­tions des prestataires, qui deman­dent un rem­bourse­ment pour les pertes d’activité liées à l’introduction de l’énergie solaire dans le réseau. La note pèse encore aujourd’hui sur la fac­ture élec­trique des familles espag­noles. Tout cela, dans un pays où les plus dému­nis ont du mal à pay­er leur chauffage hiver­nal », retrace avec amer­tume Cristi­na Rois, activiste de la Platafor­ma por un nue­vo mod­e­lo ener­geti­co, la Plate­forme pour un nou­veau mod­èle énergé­tique. Cette plate­forme citoyenne regroupe autour de con­férences et de tables ron­des, des écol­o­gistes, des alter­mon­di­al­istes et des citoyens favor­ables à la tran­si­tion énergé­tique de l’Espagne. « Depuis la “taxe sur le soleil” de 2012, surnom don­né au décret du Par­tido Pop­u­lar, l’autoconsommation joue un rôle majeur dans la tran­si­tion énergé­tique. L’enjeu est de retir­er le mono­pole de l’énergie aux gros acteurs du secteur pour la restituer aux citoyens », con­clut Cristi­na.

A terme, ils envis­agent un réseau énergé­tique nation­al basé dans son inté­gral­ité sur des éner­gies renou­ve­lables. D’autant que l’Espagne jouit du plus haut taux d’irradiation solaire annuelle d’Europe. Un poten­tiel qui ne représente aujourd’hui que 5 % du mix énergé­tique nation­al. En atten­dant la fer­me­ture des cen­trales à char­bon et des cen­trales nucléaires, les coopéra­tives du solaire pro­posent régulière­ment des ate­liers pour appren­dre à mieux gér­er sa con­som­ma­tion et ses dépens­es en énergie et pour expli­quer une lég­is­la­tion pas tout à fait claire : « C’est inad­mis­si­ble que dans un État de droit, un gou­verne­ment s’octroie le droit d’activer des sanc­tions rétroac­tives comme celles adop­tées en 2012, sanc­tion­nant les investisse­ments des privés dans le secteur des éner­gies renou­ve­lables. C’est une bar­barie. Cela génère de la défi­ance et per­son­ne n’investit, par crainte que tout puisse bas­culer avec le change­ment de couleur poli­tique du gou­verne­ment cen­tral », ter­mine, crispée, Cote.

En France, les énergies citoyennes progressent à petits pas

Lors du pas­sage du tour Alter­nat­i­ba à Mar­seille, ils sont nom­breux à par­ticiper à l’atelier de pro­duc­tion d’énergie citoyenne organ­isé notam­ment par Ener­coop. « Je voudrais installer des pan­neaux solaires, com­ment je fais ? », demande tout sim­ple­ment l’une des par­tic­i­pantes. Pro­duire son énergie soi-même, c’est pos­si­ble en France depuis 2007 et l’ouverture du marché de l’énergie. La fin du mono­pole d’EDF signe l’arrivée de nou­veaux four­nisseurs d’électricité. Ener­coop se lance dans l’aventure avec une volon­té : pro­mou­voir les coopéra­tives de pro­duc­teurs d’énergies renou­ve­lables en les aidant à créer leurs pro­jets ou à les financer. Pour devenir pro­duc­teur, la coopéra­tive étudie d’abord le poten­tiel de pro­duc­tion : la sur­face de toit disponible pour des pan­neaux, le ter­rain pour l’installation d’éoliennes, etc. Tout dossier passe aus­si par des con­traintes envi­ron­nemen­tales, des autori­sa­tions admin­is­tra­tives et un finance­ment pour inve­stir dans les équipements. « Nous pro­mou­vons un cir­cuit court de l’énergie au niveau local, pour met­tre en rela­tion pro­duc­teurs et con­som­ma­teurs dans des pro­jets com­muns et vis­er l’autoconsommation à l’échelle d’un quarti­er ou d’un vil­lage », explique Cyril Jarny, directeur d’Enercoop PACA.

Les intéressés sont sou­vent des col­lec­tiv­ités locales ou des groupes de citoyens béné­fi­ciant d’un site poten­tiel. Au total, 70 instal­la­tions sont aujourd’hui en exploita­tion en France, et 90 en cours de développe­ment soit env­i­ron 78 Mégawatts de puis­sance instal­lée… sur les 130 000 MW de la total­ité du parc élec­trique français : « C’est faible, certes, mais le poten­tiel est réel et le rythme s’accélère », insiste Cyril Jarny. Des volon­tés écologiques et éthiques s’ajoutent aux retombées économiques locales de tels pro­jets, mais il reste encore dif­fi­cile de con­va­in­cre les con­som­ma­teurs de chang­er de four­nisseur : « Les par­ti­c­uliers sont peu infor­més de l’ouverture du marché de l’énergie et 80 % des clients con­tin­u­ent de se fournir auprès de l’opérateur his­torique ». D’autant que le prix de l’électricité pro­duite par ces coopéra­tives citoyennes reste plus élevé qu’une énergie issue du nucléaire : « La ques­tion du prix cache d’autres enjeux que la sim­ple fac­ture d’électricité : quels sont les emplois induits sur le ter­ri­toire ? Quels sont les coûts cachés, comme le retraite­ment des déchets du nucléaire ? ». La loi sur la tran­si­tion énergé­tique qui date de 2015 prévoit que l’État mette en place des mécan­ismes de facil­i­ta­tion pour les pro­jets citoyens, mais la régle­men­ta­tion peine à évoluer.

Texte : Samuel Bregolin en Espagne et Coline Charbonnier en France
Photo de Une : 6ème Foire des énergies citoyennes à Madrid, Crédit photo @Samuel Bregolin

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