A Syrte, « on avait une position de capitale, maintenant c’est une ville mise à l’écart »

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Au Nord de la Libye, les habi­tants de cette ville, jugée proche du régime, vivent désor­mais au milieu des ruines, et subis­sent le ralen­tisse­ment économique de plein fou­et.

Un groupe d’hommes est assis sur un grand tapis rouge pour rompre le jeûne. Au loin, on voit la mer. Autour d’eux, des bâti­ments gris com­plète­ment en ruine. Ce jour là à Syrte, les habi­tants parta­gent l’iftar à cet endroit pour envoy­er un mes­sage aux autorités locales et nationales : il reste des dépouilles sous les ruines, et les bâti­ments détru­its entre 2011 et 2015 n’ont tou­jours pas été déblayés.

Ancien fief de Mouam­mar Kad­hafi, la ville de Syrte sur la côte Nord, à 500 kilo­mètres à l’Est de Tripoli, a con­nu deux prin­ci­paux con­flits depuis le début de la crise libyenne. D’abord en 2011, les bom­barde­ments de la coali­tion de l’OTAN. Puis à l’été 2016, les forces de Mis­ra­ta, soutenues par le gou­verne­ment de Tripoli, lan­cent une offen­sive de huit mois con­tre l’organisation de l’Etat islamique qui s’était emparée de la ville.

« Ce qui est frap­pant ? La ville est très som­bre, l’éclairage pub­lic a été détru­it » explique M’hamed, un étu­di­ant de 22 ans qui souligne aus­si l’étendue des dégâts matériels. Selon plusieurs habi­tants, plus de 2 000 familles de la ville sont désor­mais sans-abris. En 2013, les autorités ont bien dédom­magé celles dont les maisons avaient été détru­ites par les frappes aéri­ennes. Cela a redonné du souf­fle à l’économie de la ville, mais ça n’a pas suf­fit.

« Autre­fois, Syrte avait une posi­tion de cap­i­tale et main­tenant c’est une ville mise à l’écart », estime un fonc­tion­naire de 34 ans. « On pou­vait gér­er tous nos dossiers admin­is­trat­ifs ici, désor­mais tout est extrême­ment cen­tral­isé. Pour dépos­er une demande de passe­port, j’ai dû faire 400 kilo­mètres avec ma famille ». Les habi­tants vivent mal le déclasse­ment de leur région, mais aus­si les reproches d’autres Libyens qui les con­sid­èrent comme respon­s­ables, car proches du régime. « J’avais l’habitude de voy­ager quand je voulais, sans réfléchir. Désor­mais, il faut que je véri­fie que la route n’est pas blo­quée, qu’il n’y a pas de com­bat. Le plus grave, c’est la peur d’être arrêté, parce qu’il est écrit sur ma carte d’identité que j’habite à Syrte », racon­te M’hamed.

Aya, fille d’un mil­i­taire, a vu l’arrivée de l’organisation de l’Etat islamique à Syrte. « On nous a imposé ce qu’ils appelaient des « vête­ments islamiques ». Ils ont séparé les femmes des hommes dans les écoles et au tra­vail. Les femmes devaient avoir un accom­pa­g­na­teur pour sor­tir. Je préférais rester à la mai­son plutôt que sor­tir et faire une erreur sans le savoir, parce que s’ils n’aimaient pas ça, ils pou­vaient nous arrêter. C’était vrai­ment effrayant ». La jeune femme part s’installer en Égypte et ne revient que lorsque l’opération mil­i­taire des forces de Mis­ra­ta est ter­minée. « J’ai fini mes études il y a trois ans, et je n’ai pas trou­vé de tra­vail », explique-t-elle. « Le plus grand change­ment pour nous, c’est qu’on est plus en sécu­rité. Il y a des gens armés, on peut être attaqués ».

Les ban­ques en manque de liq­uid­ité

« Après la libéra­tion de la ville de Daesh, les gens ont une forte envie de vivre mal­gré le fait qu’il n’y a pas de cash dans les ban­ques », racon­te un père de famille qui demande à rester anonyme. En 2017, les familles de Syrte n’ont pu faire que six ou sept retraits ban­caires. La somme était pla­fon­née à 700 dinars libyens (env­i­ron 440 euros), par­fois moins. « Il faut imag­in­er les dif­fi­cultés pour les familles dont les maisons ont été détru­ites et qui doivent pay­er un loy­er ».

Des asso­ci­a­tions et des col­lec­tifs ten­tent de s’organiser. Pour amélior­er l’aspect de la ville, des bénév­oles réha­bili­tent le sys­tème de dis­tri­b­u­tion d’eau des jardins publics. Pour l’hôpital, un médecin a récolté des dons pour le ser­vice de dial­yse. Pour les plus dému­nis, plusieurs organ­i­sa­tions de jeunes ont organ­isé la dis­tri­b­u­tion des paniers de pro­vi­sions pour le Ramadan. « C’est un change­ment sig­ni­fi­catif. Avant 2011, la société civile était peu vis­i­ble car tout le monde dépendait de l’État. Main­tenant, il n’y a plus d’État », explique un ingénieur qui a depuis quit­té la ville.

Les habi­tants suiv­ent-ils pour autant les négo­ci­a­tions poli­tiques à Tripoli ? « Notre ville est très mal représen­tée au Par­lement », soupire le fonc­tion­naire. « Quant à la com­mu­nauté inter­na­tionale, j’imagine que notre sort ne l’intéresse pas puisque c’est elle qui a provo­qué la sit­u­a­tion dans laque­lle nous sommes aujourd’hui ».

Reportage : Leïla Beratto et Abdo Shanan

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