Il y avait une vie en Libye avant le 17 février 2011. Il y en a une aujourd’hui. Invisibilisés par les informations sécuritaires, les bagarres politiques, les réunions internationales de conciliation, les accusations d’esclavage de migrants, les Libyens tentent aujourd’hui d’organiser leur vie quotidienne dans un pays profondément bouleversé et divisé.
Dans la ville de Syrte, de nombreux habitants qui travaillaient pour le régime ont perdu leur emploi. Pour répondre à la paupérisation de leurs concitoyens, des associations se sont organisées pour distribuer des couffins de Ramadhan. Alors que les combats — contre les groupes armés de Misrata opposés au régime en 2011, puis contre l’Etat Islamique ensuite — ont détruit des infrastructures, des habitants se mobilisent aujourd’hui pour rénover le système de distribution d’eau des jardins de la ville.
Le système politique, en crise, maintient les Libyens dans cette situation de précarité. « La crise libyenne, c’est un petit secteur de la société qui tient en otage l’ensemble de la société. Cette immense majorité de la société souffre en silence. Ce silence permet à une minorité de financer la guerre civile et les groupes armés, désireux, eux, de maintenir cette situation car ils en tirent un avantage. Plus cela dure mieux c’est », explique le chercheur Jalel Harchaoui.
Mais les choix que doivent faire les Libyens auront aussi un impact sur les pays voisins et les pays occidentaux qui s’impliquent donc dans la résolution de la crise, pour veiller à protéger leurs différents intérêts.
Parmi les intérêts, la thématique migratoire. L’Italie a accueilli plus de 600 000 personnes depuis 2014. Une situation qui a poussé les pays européens à conclure des accords avec des chefs de milices armées libyens afin de retenir les migrants en Libye, malgré les violences qui leur sont infligées par certains groupes armés. Selon le chercheur Jalel Harchaoui, pour les Européens, « c’est une façon polie de dire : nous voulons construire une forteresse au sein de l’Europe, quelles que soient les conditions économiques et sécuritaires en Libye ; on veut les bloquer pour qu’ils y restent. C’est dire : Afrique pour Afrique, c’est leur problème ».
Tous ces enjeux feraient presque oublier les Libyens eux-mêmes. Depuis six ans, Maryline Dumas et Matthieu Galtier chroniquent le quotidien des Libyens. 15–38 vous propose de lire des extraits de « Jours Tranquilles à Tripoli » pour aller à l’encontre des idées reçues sur ce pays. « On parle souvent de la Libye comme d’un pays en guerre », explique Maryline Dumas. « Je n’aime pas ce terme. C’est un pays où il y a des conflits qui éclatent, mais ce n’est pas parce qu’il y a des clashs dans le Sud qu’à Tripoli les gens ne vivent pas normalement. Il y a forcément des jours tranquilles à Tripoli. Ils vont travailler, ils achètent leur pain, ils vont dans des cafés. »