En Algérie, les écoliers des zones sahariennes

Dans la “zone III”, mal­gré une poli­tique de l’é­cole pour tous, la sco­lar­i­sa­tion des enfants est pleine d’ob­sta­cles. L’école algéri­enne, en quelques chiffres, cor­re­spond à une année sco­laire...

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Dans la “zone III”, mal­gré une poli­tique de l’é­cole pour tous, la sco­lar­i­sa­tion des enfants est pleine d’ob­sta­cles.

L’école algéri­enne, en quelques chiffres, cor­re­spond à une année sco­laire d’une moyenne de 36 semaines de cours, soit 5 jours ouvrables par semaine, jalon­née par 4 péri­odes de vacances. Ain­si, durant sa sco­lar­ité, du pri­maire au lycée, un écol­i­er fre­donne en moyenne 2160 fois l’hymne d’un Exilé et se déleste au seuil de son école d’une part de son iden­tité au gré des rouages idéologiques préétab­lis. S’ajoute à cette équa­tion, la ques­tion du zon­ing et son lot d’inégalités car, lorsqu’on est écol­i­er de la Zone III, on vit sa sco­lar­ité dif­férem­ment.

Que sig­ni­fie être écol­i­er de Zone III en Algérie ?

La Zone III, dite Zone du Sud s’étend sur l’ensemble du Sahara algérien, soit 80% du ter­ri­toire nation­al. Cette vaste éten­due est con­sti­tuée de reliefs sablon­neux, de plaines rocailleuses et de deux mas­sifs grands dunaires, le Grand Erg occi­den­tal et le Grand Erg ori­en­tal. Cette carte postale « pit­toresque » est habitée par des pop­u­la­tions clairsemées, de dif­férentes den­sités, tan­tôt nomades et tan­tôt séden­taires. Répar­ties dans des régions rurales et urbaines, ces dernières sont divisées en 18 local­ités dont 10 com­munes, nou­velle­ment pro­mues wilayas déléguées suite à un nou­veau découpage admin­is­tratif. A l’instar des Zones I et II, la ren­trée se fait début sep­tem­bre. En Zone III, cela sig­ni­fie con­crète­ment, com­mencer son année sco­laire sous un soleil de plomb. A se deman­der à quoi sert un découpage, s’il ne prend pas en charge les dis­par­ités et par­tic­u­lar­ités liées aux con­di­tions géo­graphiques et cli­ma­tiques ?

Sous le soleil cuisant de sep­tem­bre

Sous le soleil cuisant de sep­tem­bre, la Zone III brûle. A Adrar-Reg­gane-In Salah , région appelée « le Tri­an­gle du feu » dans l’ex­trême sud ouest du pays et réper­toriée comme étant la région la plus chaude au monde, le mer­cure grimpe jusqu’à 45° à l’ombre, au début de l’automne : la ren­trée est syn­onyme de cal­vaire. Il faut atten­dre mi-octo­bre pour pou­voir pra­ti­quer des horaires tels que 8h–14h, sans ris­quer lit­térale­ment sa vie . Des écol­iers sont oblig­és de par­courir de grandes dis­tances à pied par manque de trans­port, panne de trans­port, absence de rigueur des chauf­feurs. Taib GH., jeune col­légien, a par­cou­ru durant les pre­mières semaines de cette ren­trée sco­laire, 4 Km à vélo, de son vil­lage à son col­lège. Il se dit chanceux car d’autres marchent une heure et demi, coupent par des champs, s’égarent et arrivent en cours épuisés. Arrivé à des­ti­na­tion, Taib cache son vélo en espérant le retrou­ver à la sor­tie. Pourquoi ne deman­des-tu pas à le gar­er à l’intérieur de ton col­lège ? « J’avoue que je n’ai pas osé deman­der », répond-t-il.

Si le prob­lème de trans­port est par­fois réglé à coup de men­aces et sit-in, il reste néan­moins d’autres soucis aux­quels fait face l’écolier : ges­tion du stock des can­tines, ges­tion en eau potable, manque de pro­fesseurs ou de manuels sco­laires. Ce sont autant de fac­teurs récur­rents que des motifs qui découra­gent les par­ents dont cer­tains ont dés­co­lar­isé leurs enfants. La rup­ture de dia­logue est une défail­lance con­stante au sein du sys­tème sco­laire. Mais ce n’est pas pris en con­sid­éra­tion par cer­tains par­ents d’élèves qui obser­vent sou­vent un exode lié à la recherche de l’emploi dans les grandes villes du nord du pays. Par ailleurs, très peu d’associations de par­ents d’élèves se mobilisent sur cette ques­tion.

Com­mu­nauté éduca­tive non-qual­i­fiée et absen­téisme

Dans le cadre de la poli­tique d’équité ter­ri­to­ri­ale, la démarche « école pour tous/ école partout » sup­pose la con­struc­tion d’écoles pri­maires dans chaque vil­lage et chaque oasis. Ces zones dites «  arides » souf­frent de manque d’enseignants alors pour pal­li­er ce manque, l’état a instau­ré une reval­ori­sa­tion salar­i­ale  attrac­tive. La prime de la Zone III est de 40 à 80 % d’augmentation, cal­culée sur le salaire de base, dans le but d’encourager et rehauss­er les recrute­ments dans les secteurs défa­vorisés. Or, des cas fréquents d’absentéismes ont pu être observés et le manque de per­son­nel qual­i­fié tels que des ortho­phon­istes et pédo-psy­cho­logues est impor­tant. Les élèves dit à besoins spé­ci­fiques sont lésés. Ce terme général­isé englobe l’autisme, les trou­bles du lan­gage, hand­i­cape psy­chomo­teur et mal­adies chroniques non trans­mis­si­bles.

Hafi­da Ter­guie est une bril­lante élève souf­frant de la mal­adie des enfants de La Lune, un terme bien joli qui cache une patholo­gie orphe­line dont le nom sci­en­tifique est Xero­der­ma Pig­men­to­sum. «J’ai appris que dans d’autres pays, les class­es sont équipées de fil­tre UV», dit-elle. Malvoy­ante, elle se voit inter­dite l’accès à l’épreuve du brevet d’enseignement moyen (BEM). Son cas n’a pas été noti­fié au préal­able pour qu’elle puisse utilis­er une liseuse. L’association spé­cial­isée « Le Bon­heur » prend en charge Hafi­da. « Non sub­ven­tion­nés par l’état, les médica­ments sont onéreux et non rem­boursés par la sécu­rité sociale. L’association prend en charge 222 cas sur plus de 500 cas réper­toriés sur le ter­ri­toire nation­al», déclare N.C. ‚un mem­bre act­if de l’association.

Ques­tion raciale

A l’école pri­maire de Fatis, une char­mante oasis de la région du Gourara (Tim­i­moun), une enseignante ren­voie une élève sous pré­texte que cette dernière s’est présen­tée en cours avec des «Tikhloufine », nom zénéte (un idio-dialecte amazigh) pour désign­er les tress­es foulani. L’immunité dont jouit l’enseignant, véhiculée par la sacral­i­sa­tion de ce dernier ain­si que l’absence du droit à l’information des par­ents d’élèves est récur­rente.

Beau­coup de cas de vio­lences banal­isées ont été sig­nalés. Pour­tant, la Charte d’éthique élaborée dans le cadre de la réforme, après la loi d’orientation 04/08 de jan­vi­er 2008, garan­tit les droits de l’élève : «Aucune atteinte à la dig­nité de l’élève ne doit être tolérée; son intégrité tant physique que morale doit faire l’objet d’un respect absolu, toute vio­lence visant un élève, et émanant d’un mem­bre de la com­mu­nauté éduca­tive, doit être ban­nie». Kha­did­ja Aba­di, enseignante de pri­maire, issue d’une for­ma­tion en soci­olo­gie  de l’enfant, affirme avoir observé chez ses élèves des cas de trau­ma­tismes col­lec­tifs liés aux bru­tal­ités per­pétrées par leur ancien maitre d’école.
Lorsqu’on est fils du vent, né dans un campe­ment nomade et con­traint à être fixé pour la sco­lar­i­sa­tion comme il est le cas à Bor­dj Bad­ji Mokhtar, on endure égale­ment sou­vent un racisme inouï. Cela sig­ni­fie con­crète­ment subir la ques­tion raciale liée aux castes locales. Un phénomène qui sem­ble touch­er égale­ment les enseignants venus du nord. L’incompréhension du mode de vie nomade ne favorise pas non plus un cli­mat de con­fi­ance entre apprenant et enseignant.

Langues étrangères, débouchés uni­ver­si­taires, représen­ta­tions et aspi­ra­tions

Il est à not­er que cette minorité vis­i­ble, à l’instar des enfants des Hauts Plateaux (Zone II), n’est que très peu représen­tée dans les manuels sco­laires qui ren­dent à peine compte de la diver­sité cul­turelle. Dans ces ouvrages, la zone III est sou­vent reléguée à une imagerie « exo­tique ».
Si ce par­cours du com­bat­tant se sol­de finale­ment par une réus­site, bac en poche, les futurs étu­di­ants se heur­tent à la prob­lé­ma­tique des débouchés uni­ver­si­taires. Les aspi­ra­tions sont lim­itées par un manque de qual­i­fi­ca­tions. La plus impor­tante est l’accès à l’enseignement des langues étrangères, pas ou peu acces­si­bles, à cause du manque de pro­fesseurs des langues française et anglaise dans cette zone.

Leila Assas

Pho­to : Rym Sahraouie

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