Corse : une tête de Maure qui tourmente le tricolore

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Alors que les Cors­es sont appelés aux urnes afin de désign­er leurs représen­tants dans une entité ter­ri­to­ri­ale unique bap­tisée col­lec­tiv­ité de Corse, Sil­via Ric­cia­r­di pose la ques­tion de l’identité et de l’autonomie corse au con­seiller poli­tique Damien Natali qui rêve d’un mou­ve­ment fédéral­iste des régions auton­o­mistes français­es.

Dans la com­mu­ni­ca­tion non ver­bale, cer­tains gestes ont une sig­ni­fi­ca­tion presque uni­verselle. Lever l’index, ten­du vers le haut, les autres doigts de la main repliés, vise à deman­der la parole. C’est la forme physique de l’île de beauté, mais aus­si son his­toire, son présent et son des­tin.

Au nord de la Méditer­ranée, et pour­tant au sud pro­fond de la France, elle est surnom­mée l’île de Beauté, et par­mi les vagues d’envahisseurs et de ces­sions, de l’occupation romaine à l’empire byzan­tin, du pape à la république de Pise, des Génois aux Français, du fas­cisme à l’opération Résur­rec­tion, elle a gardé son car­ac­tère, sa soif d’autonomie, son iden­tité qui va au-delà d’un tourisme de masse étouf­fant et de son insu­lar­ité mon­tag­neuse. La République corse a été une brève réal­ité. Pen­dant 13 ans, 9 mois et 25 jours. A par­tir de novem­bre 1755, quand la Con­sti­tu­tion, rédigée en ital­ien a été adop­tée, l’île devint la pre­mière république démoc­ra­tique mod­erne d’Europe, jusqu’en mai 1769. Ironie de l’histoire, Cor­si­ca est con­nue dans le monde pour être le lieu de nais­sance de Napoléon Bona­parte plutôt que pour son héros nation­al, Pas­cal Paoli, le « Bab­bu di a Patria », patri­ote qui a proclamé l’indépendance et a semé les graines de l’esprit des Lumières et de l’émancipation dans le monde.

« La Corse était de la République de Gênes. Au moment où Gênes avait besoin d’argent, elle a ven­du la Corse aux Français. Nous avons cou­tume de dire que l’île a été ven­due avec son peu­ple », remar­que amère­ment Damien Natali, con­seiller poli­tique basé à Ajac­cio, qui rêve aujourd’hui d’un mou­ve­ment fédéral­iste entre les régions auton­o­mistes français­es. Pour faire com­pren­dre son île, il va chercher loin dans le passé : « la Corse a été indépen­dante. Les Français ont envoyé l’armée et la Corse est dev­enue française. L’assimilation a été faite par la langue et les lois de la République, sans pren­dre en compte les spé­ci­ficités des per­son­nes et des ter­ri­toires » souligne-t-il.

Après une annex­ion jamais digérée, la guerre d’Algérie mar­que une blessure impor­tante entre l’Hexagone et l’Ile de Beauté : « quand les pieds-noirs sont arrivés, nous leur avons don­né beau­coup de ter­res en Corse. Ils ont com­mencé à faire de l’agriculture inten­sive. Les vignerons cors­es ont été con­fron­tés à cette exploita­tion et à la perte de leurs ter­res », con­tin­ue Damien Natali. Une his­toire de résis­tance et de rébel­lion qui a pris la voie iden­ti­taire, lin­guis­tique (la langue corse est recon­nue par l’Education nationale depuis 1974) et poli­tique, mais aus­si celle de la lutte armée et du ter­ror­isme. En ce sens, à par­tir du mai 1976, le FLNC, Front de libéra­tion nationale corse, a déclenché une nou­velle vague de vio­lence entre l’Ile méditer­ranéenne et la République. Cette sai­son noire faite des nuits bleues, mitrail­lages et atten­tats con­tre les rési­dences sec­ondaires, a mar­qué presque 40 ans de la vie poli­tique française et est arrivée à sa con­clu­sion le 24 juin 2014, lorsque l’organisation ter­ror­iste déclare « sans préal­able et sans équiv­oque aucune, un proces­sus de démil­i­tari­sa­tion et une sor­tie pro­gres­sive de la clan­des­tinité », après au moins 764 atten­tats (selon les don­nées du Glob­al Ter­ror­ism Data­base). Le com­mu­niqué annonce « une phase nou­velle : celle de la con­struc­tion d’une force poli­tique pour gou­vern­er la Corse et la con­duire à l’indépendance ». Il s’agit d’un mes­sage de renou­velle­ment pro­fond, qui procède en par­al­lèle avec un lent proces­sus de décen­tral­i­sa­tion ter­ri­to­ri­ale.

Qu’ils soient région­al­istes et nation­al­istes ou auton­o­mistes et indépen­dan­tistes, les 330 000 habi­tants de l’île ne sont pas enclins au cli­vage poli­tique clas­sique entre droite et gauche. La vic­toire his­torique des nation­al­istes en 2015 sonne l’entrée des « natios-dégag­istes » à l’Assemblée nationale. Dans le con­texte cata­lan, les Cors­es sont appelés aux urnes, pour valid­er la nais­sance, le 1er jan­vi­er 2018, d’une nou­velle col­lec­tiv­ité unique. Après le dis­cours en langue corse pronon­cé dans l’hémicycle d’Ajaccio par le prési­dent de l’Assemblée Jean-Guy Tala­m­oni, quelle sera la prochaine étape vers la tant souhaitée autonomie ? Entre­tien avec Damien Natali.

Nous sommes une col­lec­tiv­ité ter­ri­to­ri­ale, mais les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales représen­tent la con­tin­u­a­tion de l’État en France. Cela explique le besoin de cer­tains ter­ri­toires de deman­der plus de pou­voir. Je suis pour une solu­tion fédéral­iste.

Aujourd’hui, la Corse n’a pas, selon vous, une spé­ci­ficité sat­is­faisante ?
Pen­dant le proces­sus de décen­tral­i­sa­tion com­mencé en 1982, la Corse a obtenu une très légère spé­ci­ficité, mais cette autonomie est très petite par rap­port à la Nou­velle Calé­donie. Il y a plein d’autonomies pos­si­bles, dans le cas Corse avec peu de com­pé­tences et de pou­voirs pro­pres. Et au niveau de com­pé­tences il n’y a pas plus de com­pé­tences avec la loi de 2015 (loi por­tant sur la nou­velle organ­i­sa­tion ter­ri­to­ri­ale de la République du 7 août 2015, ndrl). On peut deman­der d’adapter la loi, mais Gou­verne­ment et Assem­blée doivent accepter, et con­crète­ment cette pos­si­bil­ité n’a pas pro­duit de résul­tats.

C’est une ques­tion iden­ti­taire qui vous pousse à deman­der plus de com­pé­tences ?
La notion d’identité c’est de con­sid­ér­er qu’on est quelque chose ensem­ble, mais on se retrou­ve sans la capac­ité de pou­voir agir et met­tre en place des poli­tiques. Quand tu as une forte iden­tité, comme en Corse, c’est impor­tant que les élus puis­sent agir et être indépen­dants des déci­sions pris­es au-dessus. Qu’est-ce qui fait qu’on veut appartenir ou sor­tir de quelque chose ? Cette réponse se con­stru­it dans l’histoire. Bien que la Corse n’ait jamais était une grande puis­sance, on a eu l’indépendance et la pre­mière Con­sti­tu­tion démoc­ra­tique du monde. C’est cette his­toire qui nous donne une forme d’identité, et notre spé­ci­ficité vient aus­si de l’insularité.

Nous somme une col­lec­tiv­ité ter­ri­to­ri­ale, mais les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales représen­tent la con­tin­u­a­tion de l’État en France, et ça explique le besoin de cer­tains ter­ri­toires de deman­der plus de pou­voir. Je suis plutôt pour une solu­tion fédéral­iste. L’au­tonomie c’est aus­si la diplo­matie et la con­cer­ta­tion avec l’État cen­tral. La Cat­a­logne a dévelop­pé cette envie d’indépendance pen­dant la dic­tature. Bien sûr, c’est une région ultra­riche qui n’a pas envie de pay­er pour les pau­vres, mais elle reste une con­struc­tion poli­tique récente, et n’existe pas dans l’histoire.

Com­ment agir pour obtenir l’autonomie que la France vous a tou­jours niée ?
Deman­der directe­ment à l’État est sou­vent voué à l’échec. En Nou­velle Calé­donie, ils sont passés par la vio­lence et ont finale­ment obtenu un ref­er­en­dum sur l’indépendance en 2018. Avec d’autres régions français­es avec de forts mou­ve­ments auton­o­mistes, nous pro­posons de mod­i­fi­er l’organisation de la France pour chang­er la Con­sti­tu­tion qui est totale­ment obsolète.

L’Europe est-elle un allié ou une con­trainte ?
L’UE impose de mul­ti­ples lois, dans l’agro-alimentaire par exem­ple, négo­ciées par les États où les chefs d’État. Et finale­ment, au niveau local il est impos­si­ble d’agir. En Corse par exem­ple la char­cu­terie serait irréal­is­able avec les règles de Brux­elles : pour garan­tir des règles pré­cau­tion­nées pour les con­som­ma­teurs nous sommes portés à faire des pro­duits sans goût. Sous un angle économique, il y a une Europe des con­traintes, mais sous l’aspect poli­tique, l’Union européenne est une organ­i­sa­tion qui défend la lib­erté des peu­ples de dis­pos­er d’eux-mêmes, les spé­ci­ficités ter­ri­to­ri­ales, les langues minori­taires.

Silvia Ricciardi

Photo de une Cyril Caton, licence creactive commons, Flickr

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