Au Sahara occidental, la longue lutte pour l’autodétermination

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Con­sid­éré par l’ONU comme un ter­ri­toire autonome, le Sahara occi­den­tal reste aujourd’hui occupé par le Maroc plus de 40 ans après le départ des Espag­nols. Dans les camps de réfugiés sahraouis côté algérien, comme dans la par­tie du ter­ri­toire con­trôlé par le roy­aume maro­cain, défendre le droit à l’autodétermination du peu­ple sahraoui com­porte des risques et la voie pour une réso­lu­tion paci­fique du con­flit s’éloigne année après année.

La route goudron­née tra­verse une zone déser­tique. Il faut pass­er un check­point de l’armée algéri­enne, plusieurs rond-points, avant d’arriver à ce qui ressem­ble à un vil­lage. Les habi­ta­tions sont con­stru­ites d’argile, cer­taines même de béton. A 1 800 kilo­mètres d’Alger, Bouch­dour est l’un des camps de réfugiés mis en place en 1975 pour les Sahraouis. Dans la région, près de la ville algéri­enne de Tin­douf, près de 150 000 per­son­nes, déten­tri­ces du statut de réfugiés, vivent dans dif­férents camps, con­trôlés par le Front Polis­ario, l’organisation poli­tique du Sahara occi­den­tal.

Ce ter­ri­toire, anci­enne colonie espag­nole, passe sous con­trôle maro­cain en 1975, lorsque le roi Has­san II envoie 350 000 Maro­cains marcher vers le désert «pour ramen­er à la Patrie une terre que nous n’avons jamais oubliée», selon le monar­que. Après la mort de Fran­co, l’Espagne avait aban­don­né ses colonies, tout en prô­nant l’autodétermination du Sahara occi­den­tal. A l’époque il est déjà con­nu que les sous-sol sont rich­es de phos­phates.

En 2015, l’ONG Oxfam lançait une cam­pagne inter­na­tionale pour soulign­er que le con­flit durait depuis 40 ans, et qu’une généra­tion entière était née dans les camps.

Après seize années de guerre, entre le Front Polis­ario et le Maroc, un cessez-le-feu est signé en 1991. L’ONU pro­pose un plan de paix prévoy­ant un cessez-le-feu et un référen­dum par l’intermédiaire de la Min­ur­so (Mis­sion des Nations unies pour l’organisation d’un référen­dum au Sahara occi­den­tal). Le Maroc con­trôle les deux-tiers du Sahara occi­den­tal, qu’il appelle «Provinces du sud», et le Front Polis­ario con­trôle le troisième tiers, appelé «Ter­ri­toires libérés». Le cessez-le-feu promet­tait l’organisation d’un référen­dum qui n’a jamais eu lieu. Aujourd’hui, ce plan est tou­jours blo­qué, notam­ment sur la ques­tion de l’établissement du corps élec­toral. Le Maroc n’est tou­jours pas recon­nu comme puis­sance admin­is­trante par l’ONU. Le roi Mohammed VI a pro­posé l’octroi d’une plus grande autonomie au peu­ple sahraoui tout en gar­dant le con­trôle mil­i­taire sur le ter­ri­toire, la mon­naie et les affaires étrangères. Une autonomie que rejette le Front Polis­ario qui revendique l’indépendance totale.

Carte réal­isée par l’ONG ACAT

Dans ce con­texte, toute lib­erté d’expression sem­ble com­pliquée. L’ONG française de défense des droits de l’homme ACAT doc­u­mente depuis des années les atteintes à la lib­erté d’expression et les tor­tures subies par les mil­i­tants des droits de l’homme et les activistes sahraouis. Selon l’association, 177 man­i­fes­ta­tions paci­fiques ont été réprimées par le Maroc en 2014 et 84 vio­la­tions de la lib­erté d’expression et d’association ont été recen­sées entre 2014 et 2016. Le dernier cas doc­u­men­té par l’ONG ACAT évoque le sort des 21 mil­i­tants et activistes arrêtés en 2010 dans le cadre du déman­tèle­ment du camp de Gdeim Izik. Cette année-là, 20 000 Sahraouis dressent un camp en protes­ta­tion con­tre les dis­crim­i­na­tions dont sont vic­times les Sahraouis de la part du pou­voir maro­cain. Le camp est évac­ué de force le 8 novem­bre 2010, les affron­te­ments qui s’en suiv­ent à Laay­oune font neuf morts par­mi les forces de l’ordre. En juil­let 2017, les 19 Sahraouis encore empris­on­nés ont été con­damnés à de lour­des peines, plus de trente ans de prison, alors même que leurs avo­cats n’ont pas pu les représen­ter dans des con­di­tions nor­males. Dans un rap­port, l’ACAT explique notam­ment que durant le procès « les accusés ont refusé d’assister aux audi­ences et de se livr­er à ce qu’ils esti­ment être une par­o­die de jus­tice. Leurs avo­cats maro­cains et sahraouis se sont retirés et leurs avo­cats français ont été des­ti­tués d’office, deux d’entre eux ayant même été vio­lem­ment expul­sés de la salle d’audience ».

L’option de la guerre gagne du ter­rain dans les esprits

Dans les camps de réfugiés en Algérie, la pré­car­ité des con­di­tions de vie dans cette région est dra­ma­tique. En 2016, des inon­da­tions ont détru­it une grande par­tie des camps. Mais les jeunes sahraouis ont la pos­si­bil­ité de quit­ter ces camps. «Des voy­ages spon­sorisés par des Etats et des parte­naires étrangers per­me­t­tent aux réfugiés sahraouis de voy­ager à l’étranger plus que la plu­part des habi­tants du Sahara, explique Han­nah Amstrong, chercheur à Alger, dans le World Pol­i­cy Jour­nal. Les enfants se ren­dent dans des camps de vacances en Espagne, et ceux qui ont la ving­taine sont envoyés étudi­er à l’étranger, faire médecine à Cuba, faire des école d’ingénieur en Algérie, et des sci­ences poli­tiques en Afrique du Sud».

Le Front Polis­ario a prin­ci­pale­ment bâti sa poli­tique sur le lob­by­ing et la résis­tance paci­fique. Pour­tant aujourd’hui, à Bouch­dour, c’est l’option de la guerre qui gagne du ter­rain dans les esprits. «J’ai fui le Maroc en 2005 pour l’Algérie, lorsqu’il y a eu des man­i­fes­ta­tions dans les ter­ri­toires occupés. J’ai été arrêté et tor­turé, je ne pou­vais pas marcher. Des passeurs m’ont emmené en Mau­ri­tanie, et j’ai pu être hos­pi­tal­isé en Algérie, racon­te un enseignant quar­an­te­naire. Il n’y a pas d’autre solu­tion que la guerre. Je veux que les Maro­cains ressen­tent ce que j’ai ressen­ti en 2005. Je suis prêt à don­ner ma vie pour ça».

Au mois de novem­bre, dans les camps, il fait encore 30 degrés. Mohamed* porte une chemise à car­reau. Etu­di­ant en com­mu­ni­ca­tion, il pense lui aus­si que la guerre est la solu­tion pour le Sahara Occi­den­tal. «Je ne fais pas con­fi­ance, ni au Maroc, ni à l’Algérie, ni à l’ONU. Ils ont tous leurs pro­pres intérêts dans ce con­flit. Notre gou­verne­ment (le Front Polis­ario) nous répète de rester calmes, mais moi, je ne peux plus enten­dre ça.  Dès qu’on nous dira d’aller en guerre, on par­ti­ra. Nous sommes prêts».

* le prénom a été mod­i­fié

Photos : Abdo Shanan

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