Zoom sur les boues rouges de l’usine ALTEO

Au cœur de la ville de Gar­danne (Bouch­es-du-Rhône), la présence de l’u­sine d’a­lu­mine ALTEO et ses pra­tiques exas­pèrent les pêcheurs, les défenseurs et les pro­tecteurs de l’en­vi­ron­nement et...

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Au cœur de la ville de Gar­danne (Bouch­es-du-Rhône), la présence de l’u­sine d’a­lu­mine ALTEO et ses pra­tiques exas­pèrent les pêcheurs, les défenseurs et les pro­tecteurs de l’en­vi­ron­nement et de la bio­di­ver­sité marine.

Cette usine d’a­lu­mini­um a ouvert ses portes en 1894. Dirigée par le groupe indus­triel français Péchiney, elle sera l’une des pre­mières à extraire de l’a­lu­mine à par­tir de la baux­ite, un min­erai rouge riche en alu­mine, en l’at­taquant avec de la soude à haute tem­péra­ture (4 à 5 tonnes de baux­ite sont néces­saires pour obtenir 2 tonnes d’a­lu­mine). Ce procédé est extrême­ment pol­lu­ant et entraîne le rejet de boues rouges, con­tenant des métaux lourds tels que le plomb et l’arsenic (voir détails dans l’en­cadré).

Depuis 1967 et jusqu’au 31 décem­bre 2015 (50 ans), l’u­sine avait le droit de rejeter ces boues directe­ment dans la mer au large des calan­ques mar­seil­lais­es (dans la fos­se de Cas­sidaigne, un canyon sous-marin de 320m de pro­fondeur, à quelques kilo­mètres devant la calanque de Port-Miou à Cas­sis) grâce à une canal­i­sa­tion de 47 km souter­rains et 7 km sous-marins. D’après cer­tains car­tographes et pêcheurs les boues remon­tent suiv­ant les courants à 150m vers la sur­face et s’é­ten­dent désor­mais de Fos-sur-Mer jusqu’à Hyères, soit 130 km.

Le 28 décem­bre 2015, alors que les rejets devaient cess­er, un arrêté pré­fec­toral (grâce au feu vert de Manuel Valls) a pour­tant autorisé l’u­sine à pour­suiv­re le déverse­ment dans la mer, cette fois « d’un efflu­ent liq­uide résidu­el » jugé moins tox­ique par l’ex­ploitant. Ce dernier depuis 2014 et à l’ap­proche de l’in­ter­dic­tion du rejet des boues a instal­lé des fil­tres-presse pour réduire leur vol­ume en séparant le liq­uide du solide. La par­tie solide est trans­for­mée en baux­a­line, des résidus secs, aus­si tox­iques que les boues d’après les mil­i­tants de l’as­so­ci­a­tion Nation Océan (ZEA), qui sont stock­és sur la terre, exposés aux vents (350 à 400 000 tonnes par an) sur les collines de Mange-gar­ri, com­mune de Bouc-Bel-Air (à prox­im­ité de lieux de vie, d’é­coles et d’un cen­tre aéré) et dans la mer où le liq­uide issu de la trans­for­ma­tion rejeté serait encore plus tox­ique que les boues rouges (voir sché­ma ci-dessous).

L’ar­rêté per­met depuis ce jour et pour les six années à venir, le déverse­ment de 270 mètres cubes d’ef­flu­ents liq­uides par heure dans la mer, dépas­sant la norme européenne de rejet de métaux lourds qui est en principe de 11kg par jour pour l’arsenic, 87 kg pour le fer et 2 880 tonnes d’a­lu­mini­um par an (chiffres esti­mat­ifs, la quan­tité quo­ti­di­enne de chaque métaux rejetés n’é­tant pas régulière).

Colère rouge sur les boues rouges

Olivi­er Dubuquoy de l’as­so­ci­a­tion Nation Océan/Zea et auteur du doc­u­men­taire « Zone Rouge » pré­cise à ce sujet: « Pen­dant 6 ans Alteo peut rejeter la par­tie liq­uide des boues rouges en mer et béné­fi­cie de la part de l’E­tat Français d’une déro­ga­tion sur la quan­tité des matières dan­gereuses rejetées en mer. Alteo peut rejeter un déchet liq­uide au PH beau­coup plus impac­tant et con­tenant pro­por­tion­nelle­ment plus d’arsenic, d’a­lu­mini­um ou de fer que dans les rejets du passé. Passées les années déroga­toires, on revien­dra en arrière sans aucune amélio­ra­tion car pour plusieurs matières dan­gereuses comme l’arsenic, l’a­lu­mini­um ou le fer ce seront les seuils en vigueur entre 1995 et 2015 qui seront a nou­veau adop­tés. »

Vue aéri­enne de l’u­sine Altéo dans la ville de Gar­danne @Gaetan Hut­ter

A la suite de l’ar­rêté pré­fec­toral du 28 décem­bre 2015 qui per­met le rejet d’ef­flu­ents dans la mer jusqu’en 2021, l’as­so­ci­a­tion Nation Océan/Zea n’a pas tardé à émet­tre un recours hiérar­chique jugeant incon­sti­tu­tion­nelle la déci­sion uni­latérale de Manuel Valls, alors pre­mier min­istre qui a été le seul à don­ner le feu vert. La min­istre de l’en­vi­ron­nement de l’époque (Ségolène Roy­al) avait pour­tant émis un avis défa­vor­able et les insti­tu­tions ne don­naient pas au pre­mier min­istre de pou­voir hiérar­chique sur ses min­istres.

L’as­so­ci­a­tion a gag­né mais Ségolène Roy­al qui avait six mois pour se pronon­cer à nou­veau con­tre l’ar­rêté ne l’a pas fait. Pres­sions économiques, sociales ou autres, l’en­quête publique a été favor­able à l’ex­ploitant mal­gré les argu­ments des riverains, asso­ci­a­tions et pêcheurs. Triste con­stat, après tant d’ef­forts de la part de citoyens respon­s­ables. Les recours sont très coû­teux et les enjeux envi­ron­nemen­taux de taille mais ils n’ont pas con­va­in­cus les dirigeants de l’im­por­tance de cette déci­sion pour l’avenir de la san­té publique et de la bio­di­ver­sité marine dans la région. Ce qui a poussé une fois de plus Nation Océan (ZEA) en juin 2017, à émet­tre un recours, cette fois con­tre les tonnes de beaux­a­line stock­ées à prox­im­ité de zones hab­it­a­bles dans la com­mune de Bouc-Bel-Air mal­gré les risques san­i­taires encou­rus pour les riverains (voir lien ci-dessous).

20 mil­lions de tonnes de boues rouges

Depuis 1996, 20 mil­lions de tonnes de boues rouges sup­plé­men­taires (à min­i­ma plus de 30 mil­lions de tonnes depuis 1966) ont été écoulées directe­ment dans la mer sur 2 400 km, lais­sant la loi de la nature via les courants, dis­pers­er les boues chargées de métaux lourds. Ce voy­age en eaux trou­bles nous con­duit en Espagne où des boues rouges ont été retrou­vées, trans­portées par les courants marins.

Dans cette som­bre affaire, ni les lois qui inter­dis­ent en principe les rejets indus­triels directs en mer, ni les normes européennes, large­ment dépassées ici n’ont pu stop­per l’in­dus­triel. Pourquoi le laisse t‑on faire depuis 50 ans ? Les argu­ments ne man­quent pas. Le pre­mier avancé étant celui des 350 emplois directs que génère l’u­sine. Mais pour Olivi­er Dubuquoy, il y a d’autres raisons. La pro­duc­tion d’a­lu­mini­um à Gar­danne pro­duit une alu­mine de spé­cial­ité util­isée dans l’arme­ment, l’in­dus­trie phar­ma­ceu­tique, les réfrac­taires, la céramique, l’avi­a­tion, l’al­liage de métaux et de com­posants pour les smart phone.

Ce qui aurait con­duit l’ex­ploitant à ne pas opter pour l’une des solu­tions pro­posée par l’as­so­ci­a­tion, à savoir le recy­clage du liq­uide rejeté en mer, à tra­vers sa réu­til­i­sa­tion en cir­cuit fer­mé par un sys­tème de fil­tra­tion. Le risque d’avoir une alu­mine moins pure et le manque à gag­n­er qui en découlerait ont bien plus de poids face à la sauve­g­arde de la bio­di­ver­sité marine et de la san­té des habi­tants de la région. De plus, le déman­tèle­ment du con­duit qui trans­porte les rejets de l’u­sine ain­si que la réha­bil­i­ta­tion du site dans son état prim­i­tif représen­teraient un coût que l’u­sine n’a pas envis­agé. C’est d’ailleurs sou­vent le con­tribuable qui sans le savoir sup­porte la réha­bil­i­ta­tion, voir la dépol­lu­tion de sites après le pas­sage d’une activ­ité indus­trielle. (Voir extrait doc­u­men­taire réal­isé à Port-de-Bouc ci-dessous).

D’autres solu­tions pour réduire cette cat­a­stro­phe envi­ron­nemen­tale et ses effets ont été pro­posées notam­ment la mise en place de bar­rières pour prévenir le pub­lic de la présence de sites où sont stock­ées les matières dan­gereuses ain­si que des recom­man­da­tions con­cer­nant la cueil­lette de champignons, des risques sur l’eau et les potagers à prox­im­ité, ou le finance­ment d’une étude épidémi­ologique. Toutes ces propo­si­tions n’ont pour l’in­stant eu aucun effet sur l’ex­ploitant qui a le droit de nui­sance sur l’en­vi­ron­nement, dénué de toute respon­s­abil­ité vis à vis de l’E­tat et des citoyens. Le pol­lueur-payeur reste un beau principe.

Le cas de Gar­danne n’est mal­heureuse­ment pas orphe­lin, les luttes sont mul­ti­ples et deman­dent une mobil­i­sa­tion de masse. Le nou­veau min­istre de l’é­colo­gie, Nico­las Hulot a con­fié qu’il suiv­rait ce dossier mais ce dernier n’est pas pri­or­i­taire. Aujour­d’hui seuls quelques pas­sion­nés au sein d’as­so­ci­a­tions envi­ron­nemen­tales se mobilisent. Leurs efforts ne sont pas vains car ils parvi­en­nent régulière­ment à blo­quer des déci­sions vitales pour l’avenir des ter­res et des mers. Olivi­er Dubuquoy con­clut : « Nous sommes encore un peu isolés face à ces grandes batailles qui con­cer­nent notre avenir à tous, il faut un pas de la part de la société civile dans les cinq prochaines années pour s’en­gager à faire respecter les accords sur le cli­mat sinon on le paiera cher. »

Photo de Une : Bois communal de Gardanne ©Matthieu Duperrex

Rebondissement, les citoyens gagnent au TA

Le Tri­bunal Admin­is­tratif de Marseille​ a ren­du son juge­ment le 21 juil­let 2018 con­cer­nant la demande d’annulation de l’arrêté autorisant la pour­suite des rejets en mer ​de l’u­sine Altéo de Gar­danne.
Pécheurs pro­fes­sion­nels, riverains de l’u­sine et de Mange-Gar­ri, mil­i­tants écol­o­gistes, étaient requérants dans cette procé­dure :
-D’une part ​l’arrêté est rac­cour­ci de deux ans et pren­dra fin au 31 décem­bre 2019
-D’autre part l’in­dus­triel a 6 mois pour fournir à l’E­tat une étude sur ​les impacts envi­ron­nemen­taux et san­i­taires cumulés de l’usine d’alumine de Gar­danne et des installations​.
Le Tri­bunal demande aus­si une nou­velle con­sul­ta­tion du pub­lic.

Entre­tien avec Olivi­er Dubuquoy sur les pol­lu­tions de boues rouges
“C’est un vrai coup de semonce pour l’in­dus­triel, qui a agit jusqu’i­ci en toute impunité. Nico­las Hulot, le min­istre de la Tran­si­tion Écologique et Sol­idaire est désor­mais au pied du mur, et va devoir s’at­tel­er à l’en­cadrement strict de cette activ­ité.
Hulot et son équipe sont mal­heureuse­ment englués dans les dossiers.
Cela tient notam­ment à deux choses, l’une struc­turelle et l’autre cul­turelle.

Struc­turelle­ment mis à part les per­son­nes placées par Macron au sein de l’équipe Hulot per­son­ne ne con­nait suff­isam­ment les rouages de l’Etat, en gros ils par­ticipent à un « jeu » dont ils ne maîtrisent pas les règles.

Ensuite pour palier à ce man­que­ment ils auraient pu s’appuyer en par­tie sur les mou­ve­ments citoyens mais ni lui ni son équipe ne sont présents sur le ter­rain. Ils ne tra­vail­lent pas avec les résis­tances et les alter­na­tives citoyennes et s’appuient prin­ci­pale­ment sur les ser­vices de l’Etat.

Com­ment dès lors faire de la poli­tique sans être hors sol ?
Ces prob­lèmes struc­turels entrent en col­li­sion avec des prob­lèmes cul­turels et de méth­odes. Hulot s’est entouré de quelques col­lab­o­ra­teurs loy­aux venant du monde asso­ci­atif (FNH) mais ni lui ni eux ne veu­lent con­stru­ire un rap­port de force per­me­t­tant de déblo­quer une sit­u­a­tion. Ils ont davan­tage une cul­ture du plaidoy­er qui certes est néces­saire mais ce n’est que la pre­mière marche pour faire de la poli­tique, si on s’arrête à cette étape on est dans de l’incantation qui est qua­si­ment jamais suiv­ie. Hulot a peur de pren­dre une posi­tion claire sur les boues rouges comme sur la total­ité des dossiers sur lesquels il s’était posi­tion­né avant d’entrer au min­istère, il ne veut pas pren­dre de déci­sion sur l’avenir de cette usine et de son ter­ri­toire qui ne serait pas assumée et portée locale­ment. Mais il ne dis­cute avec per­son­ne sur ce dossier à part peut être l’industriel et ses ser­vices, aucune ren­con­tre avec les mil­i­tants, les entre­pris­es et les habi­tants qui eux veu­lent claire­ment s’impliquer dans un pro­jet de tran­si­tion. L’emploi pour­rait ne pas être sac­ri­fié tout comme la nature et les vies qui en dépen­dent.

Les savoirs citoyens n’ont jamais été aus­si con­stru­its sur ce dossier. Les solu­tions élaborées col­lec­tive­ment pour main­tenir l’emploi et met­tre fin à ces pol­lu­tions exis­tent, je les ai présen­tées au min­istre, à ses con­seillers et à ses ser­vices, elles ont toutes été accueil­lies très pos­i­tive­ment, mais très peu ont été suiv­ies. Le juge­ment con­cer­nant notre recours au Tri­bunal Admin­is­tratif de Mar­seille con­tre les rejets de la par­tie liq­uide des boues rouges en mer vient d’être ren­du. Hulot va être con­traint de se posi­tion­ner sur ce dossier sachant que le gou­verne­ment l’incite à se ranger du côté de l’industriel et à faire appel du juge­ment. Il est temps Mon­sieur le min­istre de met­tre fin à cette pol­lu­tion scan­daleuse !”

Liens utiles

Doc­u­men­taire à voir : « ZONE ROUGE » : réal­i­sa­tion Olivi­er Dubuquoy et Laeti­tia More­au
https://www.youtube.com/watch?v=pPNdMZgncWw
http://www.lesfilmsdici.fr/fr/en-production/5100-zone-rouge-une-desinformation-toxique.html

Site de l’as­so­ci­a­tion ZEA anci­en­nement Nation Océan:
http://www.zea.earth/
Arti­cles en lien avec les boues rouges :
http://www.zea.earth/actus
Mou­ve­ment “Colère Rouge” et sa péti­tion :
http://www.zea.earth/agir/campagnes/colere-rouge

Extrait du doc­u­men­taire radio­phonique, “Génie du rivage”, réal­isé à Port-de-Bouc avec les anciens ouvri­ers de l’u­sine Kuhlmann par Claire Dutrait et Stephan Dunkel­man :

Encadré métaux lourds

1966 à 2016 — 50 ans que (PECHINEY ALCAN RIO TINTO ALCAN et ALTEO) utilisent cette canal­i­sa­tion qui relie l’usine d’Alumine de Gar­danne à Port Miou  pour rejeter leurs déchets (Cas­sidaigne 320 m). Plus de 30 mil­lions de tonnes de boues rouges chargées de métaux lourds tox­iques ont été rejetées en mer dans les calan­ques. Elles s’étalent de Mar­seille à Toulon” : (Source : asso­ci­a­tion Nation Océan/ZEA)

Quan­tités / ans en tonnes :

66 à 86 : 1 000 000   20 ans :  21 000 000
87 — 88 : 900 000     2 ans  :   1 800 000
89 : 800 000          1 an  :     800 000
90 à 92 : 500 000      3 ans  :   1 500 000
93 à 1999 : 330 000    7 ans  :   2 310 000
2000 à 2004 : 310 000 5 ans  :   1 550 000
2005 à 2009 : 250 000 5 ans  :   1 250 000
2010 à 2015 : 180 000 6 ans  :   1 080 000

Une esti­ma­tion des Métaux Lourds présents dans 30 000 000 de tonnes de boues rouges :
2 200 000 t de résidus d’a­lu­mini­um
9 300 000 t de fer
1 900 000 t de titane
61300 t de chrome
2600 t de zinc
1700 t de plomb
900 t de cuiv­re
700 t de nick­el
20600 kg d’arsenic + du vana­di­um, du mer­cure

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