La mort en migration — Carolina Kobelinsky

Dans ses recherch­es à la fron­tière entre le Maroc et l’Espagne, Car­oli­na Kobelin­sky tra­vaille au départ sur les morts retrou­vés et la ques­tion de l’identification et des hom­mages...

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Dans ses recherch­es à la fron­tière entre le Maroc et l’Espagne, Car­oli­na Kobelin­sky tra­vaille au départ sur les morts retrou­vés et la ques­tion de l’identification et des hom­mages ren­dus aux morts pen­dant la migra­tion. Elle ne pose pas for­cé­ment la ques­tion du rap­port à la mort. Mais tou­jours rodant, celle-ci s’insinue dans les réc­its.

Repenser nos frontières

Dans ses recherch­es à la fron­tière entre le Maroc et l’Espagne, Car­oli­na Kobelin­sky tra­vaille au départ sur les morts retrou­vés et la ques­tion de l’identification et des hom­mages ren­dus aux morts pen­dant la migra­tion. Elle ne pose pas for­cé­ment la ques­tion du rap­port à la mort. Mais tou­jours rodant, celle-ci s’insinue dans les réc­its. « Toutes les per­son­nes ren­con­trées par­lent de la mort, des morts lais­sés en route, des straté­gies pour y faire face. De l’éventualité de sa pro­pre mort. La mort est présente dans les dis­cours quo­ti­di­en­nement, autant que la musique, le foot,… ». Elle décide donc d’intégrer à son ter­rain de recherche l’omniprésence de la mort comme poten­tial­ité dans les réc­its des per­son­nes qui tra­versent la fron­tière.

« Leur dis­cours évolue au fur et à mesure de l’avancée, tout au long du par­cours », explique-t-elle. « Ils savent avant de par­tir qu’ils pren­nent le risque de mourir. Mais au fur et à mesure, ils décou­vrent davan­tage à quel point c’est dan­gereux. L’acceptation est tou­jours là mais dif­férente.»

« Les réc­its por­tent l’empreinte très claire d’une peur absolue de cette éven­tu­al­ité, mais de son accep­ta­tion. » A la fron­tière entre le Maroc et l’Espagne au niveau de Melil­la et Nador, il est aus­si ques­tion de la dis­pari­tion des corps à la « bar­rière », notam­ment lors des con­fronta­tions avec la gen­darmerie maro­caine ou la guardia civile espag­nole.

« Ces corps dis­parais­sent : enter­rés dans des fos­s­es com­munes, avalés par la terre, toutes sortes de théories cir­cu­lent par­mi les migrants. Cela ren­force l’idée qu’il s’agit non seule­ment d’une peur de la mort mais encore plus celle de la dis­pari­tion totale. Ils sont par­tis comme anonymes sociale­ment, et ils atteignent l’anonymat de la mort avec la volatil­i­sa­tion du corps. »

« Le plus impor­tant pour les jeunes ren­con­trés est de met­tre en place une stratégie pour faire en sorte que les familles reçoivent la nou­velle du décès. Inter­vi­en­nent alors de véri­ta­bles « pactes », où l’on apprend le numéro de télé­phone par cœur de la famille de l’autre pour faire pass­er ce mes­sage : « J’ai fait tout ce que j’ai pu pour avoir une vie meilleure », jusqu’à la mort. »

Selon Car­oli­na Kobelin­sky, le poids de la mort qui pèse sur chaque migrant devrait nous pouss­er à revoir notre manière de penser les fron­tières. Si les migrants acceptent de pren­dre le risque de mourir c’est qu’ils sont portés par quelques chose de plus fort : « Nous ne sommes pas face à des être irra­tionnels », pré­cise-t-elle. Fer­mer nos portes et nos fron­tières revient à les con­damn­er à une mort cer­taine que nous préférons ne pas voir. « On ne peut quan­ti­fi­er si c’est plus ou moins dan­gereux qu’avant, mais la poten­tial­ité de mourir aux portes de l’Europe est claire et nette, et c’est ce qu’il faut ques­tion­ner. Cette mort existe depuis les années 1980 et la mise en place de Schen­gen », rap­pelle l’anthropologue. Ses travaux posent d’ailleurs la ques­tion : « Quel est le sens de la migra­tion lorsqu’elle se fait au risque de la mort ? » Ce qui devrait faire naître une nou­velle pen­sée autour du régime des fron­tières européennes et des rap­ports nord-sud.

Dans le cadre du pro­gramme BABELS coor­don­né par l’Agence Nationale de Recherche, auquel elle par­ticipe, elle a organ­isé à l’automne un événe­ment sur la mort aux fron­tières de l’Europe réu­nis­sant des enquêtes de ter­rain, des inter­ven­tions de chercheurs, des expo­si­tions, des acteurs asso­ci­at­ifs et des artistes. A la suite de cet événe­ment paraitra au print­emps l’ouvrage La mort aux fron­tières de l’Eu­rope: retrou­ver, iden­ti­fi­er, com­mé­mor­er, aux édi­tions Le Pas­sager Clan­des­tin. Vous pou­vez égale­ment retrou­ver toute l’actu de Car­oli­na Kobelin­sky sur sa page per­son­nelle de la com­mu­nauté 15–38.

Crédit Photo : SOS Méditerranée
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