Crise des migrants, la valse des hypocrites — Rim au Liban

Rim est Libanaise. Elle a vécu en Côte d’Ivoire avec sa famille avant de revenir s’installer à Bey­routh en 2014. Tra­vailleuse human­i­taire, elle nous livre un regard sans...

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Rim est Libanaise. Elle a vécu en Côte d’Ivoire avec sa famille avant de revenir s’installer à Bey­routh en 2014. Tra­vailleuse human­i­taire, elle nous livre un regard sans con­ces­sion sur l’accueil des Syriens dans son pays depuis la début de la guerre, la réac­tion de cer­tains libanais qui l’exaspèrent et les chemins par­cou­rus par les réfugiés. Une autre réal­ité de ce que l’on appelle « la crise des migrants », dans un pays qui accueille aujourd’hui plus d’un mil­lion de réfugiés syriens.

Témoignage

Vous avez dit les Syriens au Liban ? C’est sim­ple ils sont la cause de tous nos prob­lèmes ! J’exagère un peu, mais c’est le type de réponse que vous risquez d’avoir si vous posez la ques­tion à beau­coup de Libanais dans les rues de Bey­routh…

Avant d’avoir la chance de tra­vailler avec les Syriens aux Liban, ma pre­mière impres­sion sur le sujet était assez partagée entre décep­tion et inspi­ra­tion. J’ai ressen­ti à la fois de la décep­tion et de l’incompréhension par rap­port à une grande par­tie de mes com­pa­tri­otes Libanais, sur leur regard à pro­pos de la présence des Syriens dans le pays. Le ressen­ti­ment qu’ils éprou­vent exis­tait déjà avant la guerre en Syrie, cepen­dant cela n’a fait qu’augmenter au cours de ces six dernières années.

Idées reçues sur l’impact de la présence des Syriens au Liban

Dès mon retour au Liban, en 2014, j’ai enten­du des pro­pos à la fois des plus absur­des et des plus dan­gereux sur nos chers voisins Syriens. Par exem­ple il fal­lait que j’évite de pren­dre le ser­vice (taxi col­lec­tif) même en journée, car tous les chauf­feurs étaient devenus des Syriens et ils risquaient de me kid­nap­per ou de m’agresser. Si le taux de délin­quance et de crim­i­nal­ité avait aug­men­té dans le pays c’était évidem­ment à cause des Syriens. Les Syriens volaient les oppor­tu­nités de tra­vail des Libanais, et c’était à cause d’eux si les Libanais se retrou­vaient au chô­mage, non pas que le taux de chô­mage ait tou­jours été élevé, ce qui en par­tie inci­tait cer­tains à migr­er vers les pays du Golfe ou l’Occident.

Ce qui est le plus absurde pour moi dans cet argu­ment c’est qu’il y a tou­jours eu d’importants mou­ve­ments migra­toires de tra­vailleurs entre les deux pays, et surtout il n’y a jamais eu de com­péti­tion entre les Libanais et les Syriens sur le marché du tra­vail, étant don­né la nature des pro­fes­sions qu’ils exer­cent. D’autant plus, que depuis l’afflux des réfugiés au Liban et l’implantation des nom­breuses organ­i­sa­tions human­i­taires, la créa­tion d’emploi a sen­si­ble­ment aug­men­té, offrant de nom­breuses oppor­tu­nités à la pop­u­la­tion, ain­si que cer­taines garanties sociales. Autre fac­teur à pren­dre en compte et qui attise d’autant plus la ten­sion entre les deux com­mu­nautés, la pres­sion sur les infra­struc­tures publiques et les ressources, l’accueil mas­sif des Syriens au Liban a été une pres­sion gran­dis­sante sur l’utilisation des infra­struc­tures du pays, sachant qu’à la base, la pro­vi­sion de ces ser­vices publics n’était pas fonc­tion­nelle à 100%. Le Liban et les Libanais d’ailleurs ne s’attendaient pas for­cé­ment à accueil­lir autant de per­son­nes et pour une si longue péri­ode.

Pour cer­tains Libanais avec qui j’ai pu dis­cuter de l’impact de la guerre syri­enne au Liban, je ne pou­vais pas com­pren­dre leur posi­tion parce que j’étais une « Libanaise étrangère ». Je n’ai pas gran­di ici, je ne pou­vais donc pas com­pren­dre le lourd passé entre les deux nations et la souf­france des Libanais pen­dant les années d’occupation syri­enne. Loin de moi l’idée de remet­tre en cause cette péri­ode de l’histoire.

J’essaye de com­pren­dre jusqu’à une cer­taine mesure la frus­tra­tion de cer­tains Libanais par rap­port à cette époque. Toute­fois, pour repren­dre leurs pro­pos : « on par­le du passé ». Ce qui se passe de l’autre côté de la fron­tière est com­plète­ment dif­férent et con­stitue par-dessus tout l’une des plus grande tragédies de notre his­toire con­tem­po­raine.

Des organ­i­sa­tions pas si « human­i­taires »

Ma deux­ième décep­tion fut face à la réponse de cer­taines organ­i­sa­tions human­i­taires sur le ter­rain (bien que je tra­vaille pour l’une d’entre elles) mais aus­si celle du reste du monde ou plutôt je devrais dire face au manque d’action.

Déçue en rai­son de la nature du sys­tème de finance­ment, de la rela­tion entre bailleurs de fonds et ONGs et entre les ONGs elles-mêmes aus­si. La recherche de fonds qui est pri­mor­diale à la survie de toute organ­i­sa­tion, n’a fait que créer com­péti­tion et rival­ité mal­saines entre les dif­férents acteurs dans le pays, au lieu de pro­mou­voir une meilleure coor­di­na­tion entre ces derniers. De plus, du fait de cette com­péti­tion, en tant que tra­vailleurs human­i­taires nous sommes fréquem­ment amenés à nous focalis­er sur les chiffres, le nom­bre de béné­fi­ci­aires qui reçoivent l’assistance.

On nous demande tou­jours d’accroître notre pub­lic. Ce qui n’est pas for­cé­ment mau­vais étant don­né que plus de per­son­nes peu­vent recevoir de l’aide, mais on a ten­dance à oubli­er que des per­son­nes ayant une his­toire chargée se trou­vent der­rière ces nom­bres. On oublie par­fois qu’on peut être con­de­scen­dant, on ne prend plus le temps de les écouter et d’apprendre à les con­naître afin que notre réponse sur le ter­rain soit plus effi­cace. Alors que rien que le fait d’avoir une atti­tude plus hum­ble, de leur con­sacr­er plus de temps et d’agir avec eux comme des per­son­nes «nor­males » et non pas des per­son­nes qui ont besoin de notre aide en per­ma­nence con­stitue déjà un soulage­ment pour eux.

Hypocrisie occi­den­tale face à une sit­u­a­tion bien plus anci­enne

Puis arrive l’épisode de l’été 2015 et de « la crise des migrants » – réfugiés en Europe, la prise de con­science puis l’hypocrisie par excel­lence ! Juste parce qu’en l’espace de deux, trois mois quelques mil­liers de Syriens ont rejoint illé­gale­ment l’Europe, le monde c’est tout d’un coup ren­du compte de l’ampleur de cette guerre et de la mis­ère à laque­lle ils étaient con­fron­tés.

Con­crète­ment pour le Liban, mais aus­si pour la Turquie et la Jor­danie, cette crise migra­toire s’est traduite par un boost des aides pour la région car évidem­ment il était hors de ques­tion de les accueil­lir en Europe ! Le plus ironique c’est que quelques mois aupar­a­vant, la majorité des organ­i­sa­tions, même les plus grandes, souf­fraient d’un manque de finance­ment. Par con­séquent le nom­bre de Syriens qui béné­fi­ci­aient des aides du HCR et des coupons ali­men­taires du PAM (pro­gramme ali­men­taire mon­di­al) avait large­ment bais­sé, ain­si que la valeur de ces aides. D’autre part, cer­taines ONGs se sont retrou­vées dans l’obligation de réduire le nom­bre de leurs employés afin de pou­voir faire face à cette sit­u­a­tion.

Cette crise migra­toire n’a fait que prou­ver l’hypocrisie de l’Occident mais aus­si des pays du Golfe quant à leur dére­spon­s­abil­i­sa­tion face au con­flit syrien, leur volon­té de réelle­ment s’investir et de trou­ver des solu­tions durables à cette cat­a­stro­phe. L’exemple syrien ne représente mal­heureuse­ment qu’une par­tie de la crise migra­toire mon­di­ale causée par les nom­breux con­flits et les dif­fi­ciles réal­ités économiques que con­nais­sent cer­tains pays. Mais prin­ci­pale­ment elle reflète une fois de plus notre manque d’humanité…

Il serait intéres­sant de faire un état des lieux de la sit­u­a­tion tou­jours aus­si pré­caire des familles syri­ennes au Liban six ans après le début de la guerre. A savoir par exem­ple que seule­ment 52% des enfants Syriens sont sco­lar­isés, que la 1ère source de revenu pour plus de la moitié des familles est l’endettement informel. Ou alors qu’un quart des familles vivent dans des loge­ments qui ne respectent pas les normes human­i­taires min­i­males car ils sont surpe­u­plés, ont des struc­tures dan­gereuses et n’ont pas de toi­lettes par­fois… Que dans 29% des foy­ers, aucun mem­bre de la famille ne détient un per­mis de rési­dence valide ce qui représente un obsta­cle à leur lib­erté de mou­ve­ment et donc à toute recherche d’emploi, sans compter toutes les restric­tions aux­quelles ils sont con­fron­tés. Mais ces chiffres vous pour­rez les trou­ver dans n’importe quel rap­port du HCR (haut com­mis­sari­at aux réfugiés) ou ONGs.

Par­cours de Syriens qui m’inspirent

J’aimerais plutôt saisir cette chance pour évo­quer la générosité et le courage des per­son­nes que j’ai eu la chance de ren­con­tr­er dans le cadre de mon tra­vail, et leur joie de vivre mal­gré tous les événe­ments. J’aimerai notam­ment vous par­ler de Mah­moud, qui prend tou­jours plaisir à se moquer de mon arabe et qui ne s’étonne plus lorsqu’il m’appelle les samedis matins et que je ne réponds pas parce que je dors ! Mah­moud a 16 ans. Il a tra­ver­sé la fron­tière à l’âge de 11 ans avec son cousin alors que ses par­ents sont restés dans leur vil­lage assiégé par un groupe armé et que son frère est porté dis­paru. Mah­moud n’a pas de carte d’identité car selon la loi en Syrie on ne peut l’obtenir qu’à l’âge de 15 ans.

Bien qu’il n’ait ni carte d’identité et donc ni per­mis de rési­dence, et ne sachant ni lire ni écrire, Mah­moud arrive tant bien que mal à s’en sor­tir. Il a appris à se servir d’une carte ban­caire et à pou­voir retir­er de l’argent tous les mois sans plus devoir deman­der de l’aide à ses amis ou à moi. Sachant que tous les mois pen­dant 6 mois il a reçu 250 $ d’aides, plus le mai­gre salaire qu’il gagne lorsqu’il tra­vaille sur les chantiers de con­struc­tion et qui ne dépasse pas les 255 $, il arrive à pay­er son loy­er, sa nour­ri­t­ure et à envoy­er un mois sur deux de l’argent à ses par­ents.

Rima, elle, vit à Ouzai avec ses qua­tre enfants et son petit-fils dans un petit apparte­ment de deux pièces. Grâce à l’un de ses fils qui est char­p­en­tier, Rima a pu trou­ver un tra­vail dans une com­pag­nie de recy­clage. De par sa force de car­ac­tère, elle s’est très vite ren­due indis­pens­able pour la société et s’est imposée comme l’une des meilleurs employées.

Ne sup­por­t­ant pas que ses sœurs et sa nièce restent à la mai­son à atten­dre que leurs maris leur donne de l’argent, elle les a encour­agées à venir tra­vailler avec elle. Il est impor­tant de com­pren­dre que Rima et ses sœurs sont issues d’un milieu assez con­ser­va­teur où il n’est pas du ressort de la femme de tra­vailler et de par­ticiper finan­cière­ment aux dépens­es du foy­er. Cela fait main­tenant un an que Rima et ses sœurs, Leila, Nadine, Ghi­na, Man­al et Nabi­ha, tra­vail­lent ensem­ble et pour ces dernières désor­mais il est impens­able de rede­venir dépen­dantes de leurs époux et de ne plus tra­vailler. En vis­i­tant le dépôt où elles tra­vail­lent, on peut s’apercevoir com­ment elles se sont appro­priées les lieux en prenant soin de le décor­er, et pen­dant leurs paus­es elles en prof­i­tent pour révis­er leurs cours d’anglais.

Pour Rima ce tra­vail n’est que tem­po­raire, son but est de pou­voir lancer une petite entre­prise de ser­vice trai­teur avec ses sœurs. Ayant presque final­isé le plan de développe­ment, il ne lui reste plus qu’à obtenir un petit finance­ment pour pou­voir débuter son affaire. A chaque fois que je leur rends vis­ite, elles s’amusent à me deman­der si je n’ai tou­jours pas trou­vé de fiancé, et me met­tent en garde de surtout ne jamais quit­ter mon emploi si je me marie. Rima et ses sœurs ne sont pas une excep­tion. Du fait de la durée de la guerre en Syrie et des dif­fi­ciles con­di­tions de vie au Liban, de plus en plus de femmes syri­ennes se trou­vent oblig­ées de tra­vailler afin de sub­venir aux besoins de leurs familles, changeant ain­si le statut de la femme au sein de la struc­ture famil­iale. Out­re l’émancipation, elles gag­nent le respect et le sup­port de leurs familles. Pour ces femmes si fortes, et qui sont une réelle source d’inspiration, leur tra­vail aus­si dif­fi­cile soit-il est devenu leur plus grande fierté.

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