En Syrie, les premiers cas de Covid-19 près d’Idleb menacent une situation sanitaire déjà précaire

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L’in­quié­tude grandit en Syrie depuis l’an­nonce de 22 cas de covid détec­tés au nord-ouest du pays dans la région d’I­dleb, dernière zone « hors con­trôle » du régime syrien. Là, vivent 4,2 mil­lions de per­son­nes dont 2,8 mil­lions ont été déplacées et sur­vivent sous des tentes de for­tune. La réponse médi­cale lim­itée à 600 médecins, soit 1,4 médecin pour 10 000 habi­tants, inquiète les ONG inter­na­tionales qui tirent aujour­d’hui la son­nette d’alarme.

Le 7 juil­let dernier, un médecin neu­ro-chirurgien de 39 ans qui effectue des voy­ages réguliers entre la Turquie et la Syrie est testé posi­tif au Covid après des symp­tômes grip­paux et un test PCR. L’hôpi­tal de Bab el Hawa, le plus grand de cette région, a été fondé par l’U­OSSM-l’u­nion des organ­i­sa­tions de sec­ours et des soins médi­caux. Situé à la fron­tière turque, il ferme ses portes et reste con­finé jusqu’à ce jour.
Les per­son­nes testées sont majori­taire­ment du per­son­nel soignant de l’hôpi­tal qui était en con­tact avec le médecin les jours précé­dents. Les tests ont révélé 22 cas posi­tifs qui aujour­d’hui présen­tent des formes non graves de la mal­adie. Des cas actuelle­ment pris en charges dans deux foy­ers d’épidémie ; à Bab el Hawa et dans la région d’Afrin, dans le nord est d’Alep. Des cen­tres de con­fine­ment pour isol­er les per­son­nes les plus vul­nérables vivant dans les camps de déplacés sont égale­ment prévus par le comité médi­cal d’I­dleb soutenu par l’OMS, l’Or­gan­i­sa­tion Mon­di­ale de la San­té qui a per­mis d’a­chem­iner des tests, et seule­ment quelques masques pour le per­son­nel soignant de cette région en avril 2020.

Un sys­tème de san­té dévasté dans le Nord-Est
« Depuis le début de la crise du coro­n­avirus nous for­mons du per­son­nel soignant à la prise en charge de la détresse res­pi­ra­toire et à la ven­ti­la­tion mécanique. Chaque équipe repart avec un res­pi­ra­teur dans son hôpi­tal », con­fie le pro­fesseur Raphaël Pit­ti, médecin anesthé­siste, réan­i­ma­teur et respon­s­able de la for­ma­tion au sein de l’or­gan­i­sa­tion UOSSM https://www.uossm.fr/. L’ONG a ain­si ouvert plusieurs cen­tres de for­ma­tion dans la région dont deux en Syrie, l’un à Bab el Hawa (fron­tière turque) depuis 2013 et l’autre à Derik dans le nord-est, région majori­taire­ment kurde, depuis 2016. Le sys­tème de san­té a été dévasté depuis le début de la guerre au cours de laque­lle les lieux de vie comme les hôpi­taux, les écoles, les marchés ont tou­jours été la cible des bom­barde­ments des armées syri­enne et russe. « Avec 95 res­pi­ra­teurs pour 4,2 mil­lions de per­son­nes, il est évi­dent que nous ne pour­rons pas faire face à une vague de malades si l’épidémie devient très pathogène et nous ne pour­rons pas faire de la réan­i­ma­tion », pour­suit le pro­fesseur Pit­ti, « la destruc­tion du sys­tème san­i­taire a sans doute causé plus de morts que la guerre elle-même. On éval­ue le nom­bre de vic­times lié aux bom­barde­ments à 450 000 mais on ne compte pas celui lié à la destruc­tion du sys­tème san­i­taire. Com­ment se faire soign­er d’un can­cer en Syrie ? Com­ment se faire soign­er d’une insuff­i­sance rénale chronique en Syrie quand vous avez besoin d’être dialysé 3 fois par semaine ? Com­ment se faire pren­dre en charge d’un infarc­tus du myocarde quand il n’y a pas pos­si­bil­ité de chirurgie car­diaque ? Tous ces gens sont morts ». Le pro­fesseur estime à plus de 1,5 mil­lions, le nom­bre de per­son­nes décédées à cause de l’ab­sence de soin. Par­mi les plus vul­nérables, les per­son­nes âgées, mais aus­si 19 000 per­son­nes iden­ti­fiées par les ONG qui souf­frent de mal­adies chroniques dans la région d’I­dleb, dont 4 000 sont d’o­rig­ine res­pi­ra­toire. Les clin­iques mobiles mis­es en place par les ONG inter­na­tionales comme l’U­OSSM, Médecins sans fron­tières (MSF), et Médecins du monde (MDM) per­me­t­tent d’aller à la ren­con­tre des gens, de les sen­si­bilis­er, de leur dis­tribuer des kits d’hy­giène et d’être moins ciblé, du fait de leur mobil­ité, par les bom­barde­ments qui per­durent dans la région.

Réduc­tion de l’of­fre de san­té et human­i­taire
Le con­fine­ment de l’hôpi­tal de Bab el Hawa, le plus grand et le plus com­plet dans les spé­cial­ités médi­cales, a réduit l’ac­cès aux soins pour les familles déplacées et les privent des con­sul­ta­tions auprès des dif­férents médecins.
Les per­son­nels soignants qui ont été en con­tact avec le médecin con­t­a­m­iné ne peu­vent plus exercer pen­dant un cer­tains temps réduisant les effec­tifs dans plusieurs hôpi­taux.
« Dif­fi­cile d’ap­porter une réponse à l’ur­gence san­i­taire à Afrin ou à Idleb, les deux foy­ers d’épidémie qui pour­raient se propager dans les camps où le con­fine­ment n’est pas pos­si­ble », con­fie Jean Pletinkcx, chef de mis­sion Syrie pour MSF. « On a dû réduire l’of­fre de san­té dans notre hôpi­tal des grands brûlés et la chirurgie plan­i­fiée non urgente a donc été repoussée. Les con­sul­ta­tions pour la phys­io­thérapie, la san­té men­tale ont égale­ment été réduites. Les critères d’ad­mis­sion sont plus restreints afin d’éviter l’en­gorge­ment de nos struc­tures où il y aurait des cas posi­tifs. Nos per­son­nels qui ont été en con­tact avec des cas dans les foy­ers d’épidémie sont en quar­an­taine, ce qui réduit égale­ment nos effec­tifs. Pareil pour les clin­iques mobiles où on a dû met­tre en place un sys­tème dif­férent pour éviter qu’il y ait trop de patients qui vien­nent chercher leurs médica­ments en même temps », com­plète-t-il.

Les organ­i­sa­tions de ter­rain sont donc plutôt pes­simistes pour l’avenir san­i­taire de cette région qui s’est égale­ment vu privée d’un cor­ri­dor human­i­taire au nord d’Alep, à Bab el Salam, réduisant l’a­chem­ine­ment d’aide dans cette province où vivent égale­ment de nom­breuses familles déplacées. Sur 4 cor­ri­dors human­i­taires, il n’en reste plus qu’un au niveau de Bab el Hawa, au nord d’I­dleb entre la Syrie et la Turquie. Une déci­sion de la Russie qui estime que son camps a gag­né la guerre et que les rav­i­taille­ments quels qu’ils soient doivent désor­mais pass­er par Damas. Des dis­cus­sions sont en cours aux Nations Unies afin de pro­longer le cor­ri­dor human­i­taire de Bab el Salam à 12 mois. « L’é­tau se resserre sur Idleb et sa pop­u­la­tion qui ne vit que de l’aide human­i­taire inter­na­tionale. C’est comme les assiéger, les amen­er à avoir faim pour qu’ils cèdent et fer­mer tous les points de rav­i­taille­ment en annonçant la fin de la guerre », déplore le pro­fesseur Raphaël Pit­ti. Le 21 juil­let 2020, la ville d’Ar­i­ha dans la province d’I­dleb a été bom­bardée provo­quant encore des mou­ve­ments de pop­u­la­tion et des per­son­nes déplacées qui iront rejoin­dre les camps plus au nord.

« Prison à ciel ouvert »
La notion d’en­fer­me­ment est très présente dans les témoignages recueil­lis récem­ment auprès de con­tacts syriens : « la Syrie était déjà une prison, mais avec le virus, les fron­tières sont encore plus fer­mées, notam­ment avec la Turquie », con­state le chef de mis­sion MSF, Jean Pletinkcx, « l’e­spoir est celui du lende­main, et de trou­ver une cer­taine sécu­rité dans un camps près de chez soi, avec l’e­spoir de pou­voir ren­tr­er un jour dans sa mai­son ou pour d’autres de par­tir défini­tive­ment.» «On est coincés ici en Syrie. J’aimerais bien sor­tir mais tout est fer­mé pour le moment », témoigne un jeune pho­tographe syrien qui vit au cœur de Damas. « 80% de la pop­u­la­tion est en dessous du seuil de pau­vreté en Syrie et la majorité des familles ne man­gent pas 3 fois par jour », con­fie Samia, orig­i­naire de Lat­taquié sur la côte ouest dans les zones con­trôlées par le régime syrien et où sa famille vit encore. « Au niveau san­i­taire, il y a un énorme enjeu autour de l’ac­cès à l’eau potable dans les camps de déplacés mais aus­si dans le reste du pays qui est mal admin­istré. La sit­u­a­tion économique est un désas­tre partout dans le pays. Le régime ne donne rien pour se pro­téger, et les masques ou les dés­in­fec­tants sont très chers. Ils ont annon­cé que le prix d’un test serait de 100 dol­lars. Mais qui a les moyens aujour­d’hui de se le pay­er ? La pri­or­ité des Syriens est de tra­vailler pour se nour­rir », con­fie-t-elle. Le pays con­naît en effet une infla­tion impor­tante comme au Liban où les licen­ciements se mul­ti­plient et les familles sans revenus peinent à se nour­rir. Le régime syrien ne donne pas d’in­for­ma­tions claires sur les chiffres de la Covid mais au 3 juil­let 2020 il déclarait seule­ment 293 cas dans les régions qu’il con­trôle. La lev­ée du con­fine­ment dans les lieux publics a été pronon­cée le 27 mai. « On n’est au courant de rien. Ni dans les hôpi­taux, où ne sait pas s’il y a assez de matériel ou si les per­son­nes touchées sur­vivent ou non, ni dans les pris­ons où con­tin­u­ent d’af­fluer des pris­on­niers », pour­suit Samia, « ce régime est un désas­tre pour l’hu­man­ité toute entière, il ne gère rien du tout et con­tin­ue à tuer et à empris­on­ner les gens. Et les médias inter­na­tionaux ne par­lent que de poli­tique et des dernières élec­tions en Syrie, une mas­ca­rade, alors que l’on meurt de faim. » 

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