Au Mac Do des quartiers nord de Marseille, après le Covid-19, on rêve d’une reconversion en restaurant social

Défini­tive­ment fer­mé en décem­bre 2019, le Mac Don­alds de Saint-Barthélémy, dans les quartiers nord de Mar­seille, a été réqui­si­tion­né pen­dant le con­fine­ment pour servir de plate­forme d’aide ali­men­taire....

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Défini­tive­ment fer­mé en décem­bre 2019, le Mac Don­alds de Saint-Barthélémy, dans les quartiers nord de Mar­seille, a été réqui­si­tion­né pen­dant le con­fine­ment pour servir de plate­forme d’aide ali­men­taire. Les habi­tants et mil­i­tants asso­ci­at­ifs qui ont par­ticipé à cet élan d’entraide rêvent main­tenant d’y créer un restau­rant famil­ial qui œuvr­erait pour la for­ma­tion des jeunes.

Une grande sil­hou­ette déboule dans la salle de restau­rant où un petit groupe est attablé devant des cafés, en train de refaire le monde. « Il y a deux voitures à décharg­er, on a besoin de bras ! », lance Kamel Gue­mari, ancien directeur-adjoint du Mac Do de Saint-Barthélémy et leader de la longue lutte syn­di­cale pour main­tenir les 77 emplois du lieu. Une lutte qui s’est sol­dée par la liq­ui­da­tion judi­ci­aire du restau­rant en décem­bre dernier. « Et ces bis­cuits-là, je les mets où ? », ques­tionne un jeune homme qui, comme les autres, est immé­di­ate­ment allé récupér­er des car­tons de nour­ri­t­ure dans le cof­fre d’une des voitures. « Pose-les là pour l’instant, on rangera après », lui répond Mourad, la cinquan­taine, un autre habitué du lieu. Les qua­tre-quarts, madeleines et paque­ts de céréales vien­nent rejoin­dre boîtes de con­serve, paque­ts de pâtes et mille autres den­rées ali­men­taires dans la réserve de l’ancien fast-food. « On fait moins de col­is que pen­dant le con­fine­ment, mais il y a encore des « maraudes » dans les quartiers pour les gens qui sont tou­jours en galère », explique Kamel. « Ce sont surtout des sans-papiers qui n’ont pas retrou­vé de tra­vail, ou des Maro­cains, Algériens, Séné­galais qui sont blo­qués ici, sans ressources, parce que leurs pays n’ont pas rou­vert leurs fron­tières. »

Réseau d’entraide inédit

Le restau­rant est en effet beau­coup plus calme que fin avril, quand une quin­zaine de per­son­nes s’y acti­vaient chaque jour, masque sur le nez, pour con­fec­tion­ner les cen­taines de col­is ali­men­taires qui étaient ensuite « livrés » vers plus de 40 cités des quartiers nord. « On n’avait jamais vu une sol­i­dar­ité pareille. S’il n’y avait pas eu le Mac Do, je crois que les gens c’est pas le coro­n­avirus qui les aurait tués ! », s’exclame Myr­i­am, qui récupère des inven­dus dans les mag­a­sins. Habi­tante du quarti­er de la Calade, dans le 15e arrondisse­ment, elle a par­ticipé avec sa petite asso­ci­a­tion, Indi-Réseaux, au mou­ve­ment citoyen d’entraide des quartiers nord, coor­don­né à par­tir du Mac Do. Comme elle, ce sont des dizaines d’associations de quarti­er qui ont organ­isé les col­lectes et dis­tri­b­u­tions, sans aucune aide finan­cière. « Main­tenant, les assos s’aident entre elles aus­si », souligne-t-elle. Ce réseau inédit de bénév­oles a per­mis de nour­rir env­i­ron 10 000 per­son­nes à Mar­seille depuis avril.

Pour Sal­im Grab­si, mem­bre du Syn­di­cat des quartiers pop­u­laires de Mar­seille, les habi­tants et les petites asso­ci­a­tions des quartiers nord ont trou­vé un « refuge » avec le Mac Do pen­dant le con­fine­ment, alors que l’État était absent. Les plus gross­es struc­tures, type Sec­ours pop­u­laire ou Sec­ours catholique, privées de leurs bénév­oles habituels, sou­vent âgés et donc « à risque », ne sont elles arrivées que bien plus tard sur le ter­rain. « Il y avait une demande énorme… Et les gens ont com­pris que les solu­tions ne pou­vaient venir que d’eux-mêmes », affirme celui qui est respon­s­able d’un lab­o­ra­toire de SVT dans un lycée voisin. A côté de lui, Fathi Bouaroua, ancien directeur de la Fon­da­tion Abbé Pierre en région Paca hoche la tête. « Il s’est vrai­ment passé quelque chose d’extraordinaire pen­dant cette péri­ode : dans plein de cités, j’ai vu des gens s’inquiéter pour leurs voisins âgés, aller faire leurs cours­es… Et le Mac Do est devenu un car­refour de l’entraide, mais aus­si d’échange d’idées et d’initiatives. Notre objec­tif main­tenant, c’est de main­tenir cette flamme-là. »

Coopéra­tive et auto­ges­tion

Com­ment pro­longer cet esprit d’entraide ? Kamel Gue­mari qui a tra­vail­lé 21 ans dans ce Mac Do, embauché à 17 ans alors qu’il était « per­du » et sans ressources, a été le pre­mier à imag­in­er la suite : trans­former le lieu en un restau­rant famil­ial, de quarti­er, qui per­me­tte aus­si à des jeunes, notam­ment après un pas­sage en prison, de se for­mer. « Je n’invente rien ! Ce Mac Do est une « place du vil­lage » depuis longtemps… Et cela fait 15 ans que nous accueil­lons des jeunes qui sor­tent de prison ici », explique Kamel, en prenant à témoin Nourre­dine, venu les aider ce jour-là. « Moi j’avais encore deux ans de peine à tir­er quand Kamel a fait une propo­si­tion de con­trat de réin­ser­tion pour moi à la juge », racon­te le jeune homme de 26 ans. « Avant ça, ma vie ça avait été que le traf­ic, les braquages… Fast and furi­ous quoi ! Je n’avais aucune vision du tra­vail. Ici ce n’était pas facile au départ, mais ils ont su m’encourager et me met­tre des lim­ites », racon­te celui qui a récem­ment créé son entre­prise d’installation de fibres optiques. En ce moment, il forme d’ailleurs à son tour un plus jeune que lui, présent aus­si ce jour-là au Mac Do pour don­ner un coup de main.

Cette idée du pas­sage de relais est au cœur de la démarche du petit groupe qui a élaboré le pro­jet de « restau­rant social ». « On ne pour­ra pas repren­dre les 77 anciens salariés, mais on espère embauch­er 10 ou 15 per­son­nes », souligne Fathi Bouaroua. « La pre­mière étape est de créer ce restau­rant famil­ial bon marché mais de qual­ité qui reste un lieu de ren­con­tre et d’entraide. Mais à terme, l’objectif c’est d’en faire un « restau­rant d’application », c’est-à-dire qui est habil­ité à faire de la for­ma­tion. » La struc­ture juridique a déjà été choisie : ce serait une SCIC (société coopéra­tive d’intérêt col­lec­tif) où les salariés, les usagers et les parte­naires – insti­tu­tions locales, État, organ­ismes HLM ou fon­da­tions privées – auraient tous droit à une voix pour les représen­ter. « On sait qu’on pour­ra trou­ver aus­si des appuis au sein de la nou­velle munic­i­pal­ité », assure aus­si Sal­im Grab­si, qui con­naît « depuis 20 ans » Michèle Rubiro­la, la nou­velle maire de gauche de Mar­seille qui fut longtemps médecin dans les quartiers nord. « Et on a déjà un grand chef, Syl­vain Mar­tin qui nous a con­tac­tés pour faire par­tie de l’aventure ! »

Mais tout cet ent­hou­si­asme pour­rait retomber comme un souf­flé si la direc­tion nationale de Mac Do, tou­jours pro­prié­taire des murs, ne don­nait pas son feu vert. « Pour l’instant, ils nous ont juste demandé un busi­ness plan », souf­fle Sal­im Grab­si qui veut se con­va­in­cre que le gain en ter­mes d’image pour l’entreprise pour­rait faire pencher la bal­ance en leur faveur. « L’idéal ce serait qu’ils nous accor­dent un bail emphytéo­tique, sur 12 ans min­i­mum », pré­cise Kari­ma Berriche, mil­i­tante his­torique des quartiers nord égale­ment impliquée dans le pro­jet. Ce pro­jet haute­ment sym­bol­ique que les pou­voirs publics sem­blent voir d’un bon œil, est donc sus­pendu à la déci­sion de Mac Do France. Mais Fathi, Sal­im, Kamel et les autres n’ont pas l’intention d’attendre les bras croisés : cet été, ils organ­isent des séances de sou­tien sco­laire pour les enfants des quartiers nord, des sor­ties en mer pour les familles qui ne par­tent pas en vacances, des ate­liers avec des artistes… Avant même que le nou­veau restau­rant n’ouvre ses portes, le cen­tre social « auto-géré » de Saint-Barthélémy est déjà très act­if.

Nina Hubi­net

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