En Syrie, le Covid-19 a commencé à se répandre. Selon le régime de Damas, 16 cas se sont révélés positifs aboutissant à 3 décès. Cependant, il est difficile de vérifier ces chiffres et d’avoir plus de détails sur la gestion de la pandémie dans les zones contrôlées par le régime syrien. Dans le nord-ouest, la région d’Idleb et l’ouest d’Alep, deux zones encore sous le contrôle rebelle et de certains groupes armés, sont pour l’instant épargnées par le virus. Plusieurs organisations internationales dont UOSSM, IRC, MSF (Médecins sans frontières) et l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) mettent en place des protocoles dans les camps de déplacés, là où le confinement sera impossible.
Hakim Khaldi, le chef de mission Syrie de Médecins sans frontières a répondu aux questions de 15–38 depuis Beyrouth :
Quel est le contexte sanitaire actuel au Nord-Ouest de la Syrie et comment y répondez-vous ?
HK : Jusqu’à début mars, en plus de l’aide médicale nous avons été pris par l’urgence des besoins primaires d’un million de personnes qui se déplaçaient, à cause d’une offensive militaire débutée en décembre 2019 jusqu’au 5 mars suite à un cessez le feu (voir article). En plus des soins médicaux on a distribué des tentes, des couvertures, des kits d’hygiène, des kits de cuisine, des matelas.
Aujourd’hui, nous devons prendre des mesures pour faire face au Covid car nous devons organiser des zones de tri des personnes et d’identification, protéger notre personnel avec du matériel adéquat. C’est un approvisionnement supplémentaire qu’on doit faire parvenir en plus et dans le contexte actuel où les pays adoptent des mesures protectionnistes sur le matériel médical pour leur réponse nationale, cela complique encore plus les approvisionnements en médicaments, masques, gants. Il est donc difficile de faire parvenir ce matériel dans le nord-ouest de la Syrie. La frontière avec la Turquie devient de plus en plus opaque.
De quel dispositif médical disposez-vous ?
HK : On a le seul hôpital qui traite les grands brûlés en zone rebelle car l’autre hôpital qui soigne les brûlés dans la région est à Alep en zone gouvernemental et donc non accessible pour les populations d’Idleb. Un autre se trouve en Turquie. Jusqu’à récemment, on pouvait transférer les cas les plus compliqués en Turquie mais avec le coronavirus ce n’est plus possible de faire passer ces personnes. Nous disposons de 15 lits, les accidents sont nombreux et touchent les mères de famille et les enfants brûlés par les poêles approvisionnés avec du mazout de mauvaise qualité.
La deuxième réponse médicale de MSF c’est la mise en place de centres de santé pour les victimes des offensives de cet hiver, dans 10 camps différents. Aujourd’hui, les principales pathologies sont les infections respiratoires liées à la saison printanière. On a aussi une clinique pour les patients atteints de maladies chroniques et tout l’enjeu est de pouvoir continuer à approvisionner la clinique en traitements. On fait face à des ruptures de stock et chaque mois c’est la lutte pour garantir les stocks pour nos patients. Là on peut tenir 3 mois mais si on ne peut plus le renouveler dans les mois à venir cela va être compliqué.
La majorité des patients dans les camps de déplacés sont des femmes et des enfants.
On a aussi développé un partenariat avec une ONG locale dans la région d’Afrin où il y a beaucoup de réfugiés car la zone est épargnée par les bombardements. Là-bas, on dispose de deux cliniques qui couvrent 10 sites. Et on est en train de mettre en place un camps pour 400 familles à Afrin avec ce partenaire local.
Disposez-vous de suffisamment de personnel médical en cas de crise et que mettez-vous en place ?
HK : Oui, nous MSF disposons de 130 soignants, dont les médecins, exclusivement des Syriens et des Syriennes. Ce qui nous préoccupe c’est vraiment l’approvisionnement. Pour l’instant, 27 personnes ont été testées dans la région d’Idleb au laboratoire central qui est le seul à disposer de kit PCR, les tests se sont révélés négatifs. Ce laboratoire central est géré par la direction de la santé d’Idleb qui est supporté par l’OMS. Pour l’instant, si nous avons des cas suspects, nous les envoyons au laboratoire pour faire le test. Mais la première chose que nous avons mise en place c’est la protection de notre personnel médical. Nous les avons équipés en masques, gants, et entraînés. Pour l’instant nous sommes en capacité de soigner le personnel médical s’ils sont infectés mais pas plus car nous n’avons pas assez de matériel et pour le moment nous n’arrivons pas à faire parvenir du matériel supplémentaire.
Il faudrait que le circuit de prise en charge soit disponible à Idleb c’est à dire une équipe qui est chargée de tester les cas suspects et de les emmener au laboratoire central pour voir le résultat. Mais après cette procédure, aucune structure ne peut prendre en charge les cas sévères, ceux qui nécessitent de l’oxygène par exemple. Nous avons des concentrateurs d’oxygène pour les patients soignés dans notre hôpital réservé aux brûlés mais on a fait le choix de maintenir l’activité pour les brûlés et on ne peut pas soigner des cas de Covid dans cet hôpital car ils risquent de contaminer nos patients atteints de brûlures et les plus vulnérables par rapport à ce virus.
Il faut des lits de réanimation, et pour ça il faut des concentrateurs d’oxygène et on n’a pas cela dans les autres dispositifs. Nos cliniques mobiles sont mobilisées aujourd’hui pour faire de la sensibilisation auprès des déplacés en distribuant aux gens du savon, de la javel, de la poudre lessive et de la documentation pour expliquer les risques de contamination par le virus, surtout dans les camps.
On a deux types de patients à Idleb : ceux qui ont une habitation qui peuvent s’ils sont contaminés rester dans une chambre. Le problème se pose pour les gens qui sont dans les camps ; si on identifie un cas suspect, il est impossible de dire à la personne de rentrer et de s’isoler donc cela risque d’être très compliqué. On s’y attend.
Avez-vous fait appel à des gouvernements pour vous soutenir et essayer de faire parvenir du matériel en Syrie ?
HK : On a fait un appel au gouvernement turc pour faciliter les approvisionnements. On attend une réponse, de même du côté de l’OMS car nous ne pouvons pas répondre à ce type de menace sanitaire s’il n’y a pas de réponse globale. Pour les blessés de guerre, les grands brûlés, on peut le faire de façon indépendante. Mais dans un contexte épidémique on ne peut pas agir seul. Il faut d’autres structures qui prennent en charge les cas sévères. Normalement, et suite aux discussions avec l’OMS trois hôpitaux devraient être mis en place avec une capacité de 70 lits et ce spécialement pour les cas sévères. MSF avait un plan également pour ouvrir une structure de prise en charge pour les cas modérés mais cette structure ne peut pas s’ouvrir s’il n’y a pas la précondition d’ouverture de structures pour les cas sévères. Il faut donc mettre en place tout le système du premier au dernier maillon de la chaîne. A ce stade, on n’est pas confiants, car cela met du temps à se mettre en place. On attend de l’OMS un lieu d’isolement et trois hôpitaux pour les cas sévères, et il faut que l’approvisionnement en matériel pour les patients atteints puissent être fait. Pour l’instant, ils essaient de faire venir du matériel.
Pour vous faire une idée de la situation hors épidémie, le directeur de la santé d’Idleb a annoncé cette année qu’il y avait 1 592 lits d’hospitalisation pour plus de 4 millions d’habitants. Donc dans tous les cas il y a un manque de structures médicales, on va devoir créer de nouvelles structures en urgence.
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