Séville confinée : « La valeur d’une vie humaine n’est pas la même selon l’endroit où tu te trouves »

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Dans le sud de l’Espagne, Lucia Sell était jusqu’à peu con­finée chez elle avec pour seule sor­tie, celle de promen­er son chien. Cette tra­vailleuse sociale dans une asso­ci­a­tion cul­turelle témoigne de la sit­u­a­tion dans la ville et plus pré­cisé­ment dans le quarti­er de Poligono Sur, l’un des plus pau­vres d’Europe.

Séville, sud de l’Es­pagne, au cœur de l’An­dalousie. Cette ville de près de deux mil­lions d’habi­tants est comme toutes les autres villes du pays con­finée. Début mai, l’é­tat d’alerte est encore en vigueur et le con­trôle des déplace­ments encore en vigueur. Lucia Sell tra­vaille dans un cen­tre cul­turel au cœur d’un des quartiers les plus pau­vres d’Eu­rope. Avant même la pandémie, les habi­tants de Poligono Sur sont touchés par le manque de tra­vail, les con­trats pré­caires et s’ap­puient sur une économie informelle. Cer­tains vivent de la col­lecte et de la revente de métaux, ils sont donc dépen­dants des allées et venues et d’une libre cir­cu­la­tion dans la ville. Dans cette économie du quo­ti­di­en, le con­fine­ment est une lutte de chaque instant. Plus de tra­vail, plus de quoi acheter de quoi se nour­rir. Selon le témoignage de Lucia Sell, les autorités ont mis quelques semaines avant d’organiser la sol­i­dar­ité. C’est donc comme sou­vent la société civile qui a pris le relais ; les écoles, les ONG présentes sur le ter­rain. Le défi est d’arriver à dis­tribuer au moins un repas par jour aux familles les plus néces­si­teuses. Dans ce quarti­er égale­ment, la présence de la police est assez impor­tante, cer­taines per­son­nes font état de vio­lence dans les con­trôles et d’amendes, nom­breuses. Les pre­miers reportages sur le quarti­er repro­duisent les clichés qui col­lent à ses rues : per­son­nes qui ne respectent pas le con­fine­ment, images de « sauvages ». Toutes ces représen­ta­tions que l’association de Lucia tente de décon­stru­ire au quo­ti­di­en, le défi sem­ble d’autant plus immense quand cha­cun cherche un enne­mi com­mun vis­i­ble, bouc émis­saire tout désigné.

Lors de notre con­ver­sa­tion, il pleut. Cela rajoute à l’atmosphère pesante dans la ville. Séville a été moins touchée que Madrid la cap­i­tale espag­nole, mais les tests ont égale­ment été moins pra­tiqués. « Alors on ne sait pas à quel point le virus pro­gresse », tem­père Lucia Sell. Dans la cité andalouse, l’époque aurait dû être aux défilés et fêtes tra­di­tion­nelles de Pâques. La ville est alors envahit par les touristes, le con­traste est sai­sis­sant.

Depuis peu, les par­ents peu­vent sor­tir de nou­veau avec leurs enfants. Pen­dant 45 jours ils n’en avaient pas le droit. Une sit­u­a­tion d’autant plus dif­fi­cile à Poligono Sur où les apparte­ments sont exi­gus et où les généra­tions se côtoient sous le même toit. Ici aus­si se pose la ques­tion de la con­ti­nu­ité péd­a­gogique quand le seul accès à une con­nex­ion pour suiv­re les cours en ligne est l’unique télé­phone portable de la mai­son.

Ce qui met Lucia en colère ce sont ces iné­gal­ités de fait. « La valeur d’une vie humaine n’est pas la même selon l’endroit où tu te trou­ves », explique-t-elle. « L’accès au soin par exem­ple est plus com­pliqué ». Son asso­ci­a­tion a dû arrêter toutes ses actions dans le quarti­er mais l’équipe s’est mobil­isée pour faire pass­er des infor­ma­tions, créer du lien, informer sur les réseaux de sol­i­dar­ité. Une chaine de vidéos a été lancée afin de garder le con­tact à tra­vers la danse, la musique, etc.

« La cul­ture n’est claire­ment pas la pri­or­ité », recon­naît Lucia Sell, « et ce pour quelques temps », ajoute-t-elle. L’association doit donc revoir ses pro­jets dans les prochains mois et adapter ses actions. L’une des pistes envis­agées est de con­stituer une mémoire de ces instants con­finés, et des jours qui suiv­ront. « Dans tous les cas, tout sera dif­férent par rap­port à ce que nous avons lais­sé », con­clut Lucia.

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