Deux grandes ONG demandent justice pour les mineurs isolés

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Cette semaine (13 avril 2020), les deux ONG inter­na­tionales Médecins du monde et Médecins sans fron­tières ont déposé une requête en référé devant le tri­bunal admin­is­tratif de Mar­seille afin que les mineurs non accom­pa­g­nés soient mis à l’abri en cette péri­ode de pandémie. Le col­lec­tif 59 Saint Just dénonce “l’at­ti­tude indigne de l’Aide Sociale à l’En­fance des Bouch­es du Rhône et de son parte­naire l’Ad­dap 13 vis-à-vis des Mineurs Non Accom­pa­g­nés (MNA), dans le présent con­texte de crise san­i­taire” (voir arti­cle). Des sit­u­a­tions sont sim­i­laires dans plusieurs villes en France comme à Greno­ble où des citoyens appor­tent loge­ments, édu­ca­tion et appro­vi­sion­nement aux jeunes majeurs et mineurs non accom­pa­g­nés pen­dant le con­fine­ment, là où con­seils départe­men­taux et pré­fec­tures sont défail­lants (voir arti­cle). Cette requête en jus­tice per­met de leur rap­pel­er les con­ven­tions européennes des droits de l’homme dont la France est sig­nataire et qui don­nent des droits à ces enfants vivant sur le ter­ri­toire français. Il est rap­pelé que la France vient d’être con­damnée par la CEDH, que le préfet de Mar­seille a récem­ment été con­damné par le tri­bunal admin­is­tratif dans une sit­u­a­tion sim­i­laire, il est égale­ment pré­cisé que le départe­ment ne peut être dis­pen­sé de ses oblig­a­tions en matière de prise en charge des mineurs con­fiés à l’aide sociale à l’en­fance. Il est ques­tion de lib­ertés fon­da­men­tales, du droit à la vie, et de mise en sécu­rité de ces enfants et notam­ment en péri­ode de con­fine­ment.

Voir ver­dict ren­du le 20 avril 2020 : ICI

REQUETE EN REFERE LIBERTE
Arti­cle L.521–2 et R 522–1 et suiv­ants du Code de Jus­tice Admin­is­tra­tive
A Madame le Prési­dent du Tri­bunal Admin­is­tratif de Mar­seille

POUR :
L’association Médecins du Monde,
L’association Médecins Sans Fron­tières,
domi­cil­iées pour les besoins de la présente requête au cab­i­net de leurs Con­seils, sis 2, place de la
Corderie, 13007 Mar­seille
Ayant pour avo­cats,
- Maître Agnès CAUCHON-RIONDET, du Bar­reau de Mar­seille, dont le Cab­i­net est sis
2, place de la Corderie, 13007 Mar­seille
- La SCP BOURGLANDAMAMMELEONHARDT, Avo­cats asso­ciés au bar­reau de Mar­seille,
prise en la per­son­ne de Maître Anaïs LEONHARDT, dont le cab­i­net est sis 2, place de la
Corderie, 13007 Mar­seille,
- Maître Antonin SOPENA, du Bar­reau de Mar­seille, dont le Cab­i­net est sis 2, place de la
Corderie, 13007 Mar­seille

CONTRE :
Les carences du Con­seil Départe­men­tal des Bouch­es du Rhône et sub­sidi­aire­ment du Préfet
des Bouch­es du Rhône et de la Ville de Mar­seille, qui n’ont pas pris les mesures néces­saires
à la sauve­g­arde des droits et lib­ertés fon­da­men­taux des mineurs non accom­pa­g­nés réfugiés
dans le squat de Saint Just par­ti­c­ulière­ment dans le con­texte de crise san­i­taire lié à
l’épidémie de Covid-19

A L’HONNEUR DE VOUS EXPOSER :
I RAPPEL DES FAITS
— Sur la pandémie actuelle ayant mené à l’état d’urgence san­i­taire

Depuis le 9 jan­vi­er 2020, un nou­veau type de coro­n­avirus isolé a été iden­ti­fié par l’OMS comme
respon­s­able des cas groupés de pneu­mopathies con­statés ini­tiale­ment en Chine.
Le sys­tème de san­té français était mis en alerte à par­tir du 10 jan­vi­er 2020.
Le 28 jan­vi­er 2020, le dis­posi­tif inté­gré de l’Union européenne pour une réac­tion au niveau poli­tique
dans les sit­u­a­tions de crise (IPCR) était activé.
Le 30 jan­vi­er 2020, au regard de l’ampleur de l’épidémie, l’OMS déclarait que celle-ci con­sti­tu­ait
une Urgence de San­té Publique de Portée Inter­na­tionale (USPPI).
Le même jour, une analyse de risque de l’Organisation mon­di­ale de la san­té (OMS) étab­lis­sait le
risque de prop­a­ga­tion inter­na­tionale de la mal­adie comme élevé.
En France, le rap­a­triement des ressor­tis­sants Français à Wuhan a été décidé en rai­son du car­ac­tère
pathogène et con­tagieux du virus, de sa prop­a­ga­tion rapi­de, et de l’absence de traite­ment préven­tif
disponible à ce jour. Ces ressor­tis­sants français ont alors été placés en quar­an­taine dans des cen­tres
d’hébergement, dont un cen­tre de vacances réqui­si­tion­né à cet effet à Car­ry-le Rou­et.
En vue de lim­iter la prop­a­ga­tion de l’épidémie de COVID-19, un pre­mier décret n° 2020–73 du
31 jan­vi­er 2020 a prévu qu’en appli­ca­tion de l’article L. 16–10‑1 du code de la sécu­rité sociale, les
assurés qui fai­saient l’objet d’une mesure d’isolement, d’éviction ou de main­tien à domi­cile et qui
se trou­vaient dans l’impossibilité de tra­vailler puis­sent béné­fici­er, au titre de cet arrêt de tra­vail,
des indem­nités jour­nal­ières prévues aux arti­cles L. 321–1, L. 622–1 du même code et L. 732–4 et
L. 742–3 du code rur­al et de la pêche mar­itime.
À la fin du mois de févri­er, 100 per­son­nes étaient offi­cielle­ment atteintes du COVID-19.
Eu égard à la nature de la sit­u­a­tion san­i­taire et afin d’en assur­er un accès pri­or­i­taire aux
pro­fes­sion­nels de san­té et aux patients dans le cadre de la lutte con­tre le virus covid-19, le décret
n° 2020-190 du 3 mars 2020 a prévu la réqui­si­tion, jusqu’au 31 mai 2020, des stocks présents et
futurs de masques de pro­tec­tion res­pi­ra­toire de type FFP2 détenus par toute per­son­ne morale de
droit pub­lic ou de droit privé, et des stocks de masques anti-pro­jec­tions détenus par les entre­pris­es
qui en assurent la fab­ri­ca­tion ou la dis­tri­b­u­tion.
Par un arrêté en date du 4 mars 2020, le min­istre des sol­i­dar­ités et de la san­té a inter­dit tout
rassem­ble­ment met­tant en présence de manière simul­tanée plus de 5 000 per­son­nes en milieu
clos jusqu’au 31 mai 2020.
Par un sec­ond arrêté en date du 6 mars 2020, le min­istre des sol­i­dar­ités et de la san­té a autorisé
la pré­pa­ra­tion des solu­tions hydroal­cooliques des­tinées à l’hygiène humaine, en cas de rup­ture de
leur appro­vi­sion­nement, par les phar­ma­cies d’officine et les phar­ma­cies à usage intérieur des
étab­lisse­ments de san­té et médi­co-soci­aux.
Par un nou­v­el arrêté en date du 9 mars 2020, le même min­istre a inter­dit tout rassem­ble­ment
met­tant en présence de manière simul­tanée plus de 1 000 per­son­nes jusqu’au 15 avril 2020.

Par un autre arrêté du même jour, le min­istre des sol­i­dar­ités et de la san­té a inter­dit tout
rassem­ble­ment, réu­nion ou activ­ité́ met­tant en présence de manière simul­tanée plus de 100
per­son­nes en milieu clos ou ouvert, jusqu’au 15 avril 2020.

Le décret n° 2020-247 du 13 mars 2020 a prévu la réqui­si­tion des stocks présents et futurs de
masques de pro­tec­tion res­pi­ra­toire de types FFP2, FFP3, N95, N99, N100, P95, P99, P100, R95,
R99, R100 détenus par toute per­son­ne morale de droit pub­lic ou de droit privé, et des stocks de
masques anti-pro­jec­tions détenus par les entre­pris­es qui en assurent la fab­ri­ca­tion ou la
dis­tri­b­u­tion.
Le 14 mars 2020, à minu­it, la France entrait en « stade 3 » d’épidémie active sur le ter­ri­toire.
En ver­tu d’un arrêté du min­istre des sol­i­dar­ités et de la san­té en date du 14 mars 2020, et au motif
que le respect des règles de dis­tance dans les rap­ports inter­per­son­nels est l’une des mesures les
plus effi­caces pour lim­iter la prop­a­ga­tion du virus, la fer­me­ture de l’ensemble des lieux accueil­lant
du pub­lic non indis­pens­ables à la vie de la Nation tels que les ciné­mas, bars ou dis­cothèques, ain­si
que des com­merces, à l’exception de ceux présen­tant un car­ac­tère indis­pens­able comme les
com­merces ali­men­taires, phar­ma­cies, ban­ques, sta­tions-ser­vices ou de dis­tri­b­u­tion de la presse, a
été ordon­née.
Par arrêté en date du 15 mars 2020 com­plé­tant son arrêté du 14 mars, le min­istre des sol­i­dar­ités
et de la san­té décidait que les mesures d’hygiène et de dis­tan­ci­a­tion sociale, dites « bar­rières »,
définies au niveau nation­al, devaient être observées en tout lieu et en toute cir­con­stance.
Était annexée à cet arrêté une liste des étab­lisse­ments rel­e­vant de la caté­gorie M men­tion­née à
l’article GN1 de l’arrêté du 25 juin 1980 mod­i­fié por­tant appro­ba­tion des dis­po­si­tions générales du
règle­ment de sécu­rité con­tre les risques d’incendie et de panique dans les étab­lisse­ments rece­vant
du pub­lic (ERP) pou­vant con­tin­uer à recevoir du pub­lic pour des activ­ités fig­u­rant en annexe.
Par arrêté en date du 16 mars 2020 com­plé­tant son arrêté du 14 mars, le min­istre des sol­i­dar­ités
et de la san­té excep­tait de la fer­me­ture des lieux accueil­lant du pub­lic les salles d’audience des
juri­dic­tions.
Au visa des cir­con­stances excep­tion­nelles découlant de l’épidémie de covid-19, le décret n° 2020-
260 du 16 mars 2020 a régle­men­té les déplace­ments de l’ensemble de la pop­u­la­tion et a con­traint
celle-ci au con­fine­ment.
À cette même date du 22 mars 2020, la France comp­tait 14 459 cas de COVID-19 con­fir­més. 562
per­son­nes étaient décédées depuis le début de l’épidémie.
Au 8 avril 2020 30375 cas de COVID-19 sont hos­pi­tal­isés en France d’après les don­nées remon­tées
quo­ti­di­en­nement des hôpi­taux, dont 7148 en réan­i­ma­tion.
- S’agissant spé­ci­fique­ment de la prise en charge des mineurs isolés étrangers au
niveau nation­al :
Le Min­istère de la Sol­i­dar­ité et de la San­té com­mu­ni­quait aux Con­seils départe­men­taux une fiche
d’informations et de recom­man­da­tions sur le Coro­n­avirus – Covid-19 éditée le 3 avril 2020
inti­t­ulée : « Mise à l’abri et éval­u­a­tion sociale des per­son­nes se déclarant mineures non
accom­pa­g­nées — Prise en charge des mineurs non accom­pa­g­nés con­fiés à l’aide sociale à
l’enfance ».

Il y est claire­ment indiqué les mesures suiv­antes :
« Une con­ti­nu­ité d’activité doit être prévue en ce qui con­cerne les mis­sions rel­a­tives à l’évaluation
sociale de la minorité et de l’isolement ain­si qu’à la mise à l’abri des per­son­nes se présen­tant
comme mineurs non accom­pa­g­nés.
En cas de dif­fi­cultés prob­a­bles à con­duire les opéra­tions d’évaluation de la minorité et de
l’isolement, notam­ment du fait de la sus­pen­sion de l’utilisation de l’outil « aide à l’évaluation de la
minorité », il est pri­or­i­taire d’assurer a min­i­ma la mise à l’abri et l’accompagnement de ce pub­lic.
Mise à l’abri des per­son­nes.
Chaque per­son­ne se présen­tant comme mineur non accom­pa­g­né (MNA) doit pou­voir béné­fici­er
d’une mise à l’abri sys­té­ma­tique par le con­seil départe­men­tal. L’accueil pro­vi­soire d’urgence au titre
de l’article L.223–2 du code de l’action sociale et des familles est oblig­a­toire et est d’autant plus
indis­pens­able en péri­ode de crise san­i­taire afin de pro­téger les jeunes ain­si que l’ensemble de la
pop­u­la­tion.
Cet accueil pour­ra être amené à se pro­longer au-delà des 5 jours régle­men­taires si le délai
d’évaluation de la minorité et de l’isolement dépasse cette durée, notam­ment en cas d’absence
d’un nom­bre suff­isant de per­son­nel en charge de réalis­er ces éval­u­a­tions.
La mise à l’abri pour les jeunes éval­ués majeurs doit être pour­suiv­ie soit au sein d’un dis­posi­tif
d’hébergement de l’aide sociale à l’enfance soit au sein d’un dis­posi­tif d’hébergement d’urgence de
droit com­mun afin de per­me­t­tre à ces derniers de respecter les con­signes de con­fine­ment
actuelle­ment en cours.
Pour les jeunes qui ont été éval­ués majeurs avant le con­fine­ment et qui ont for­mulé un recours
con­tre cette éval­u­a­tion, ce recours n’étant pas sus­pen­sif, ils relèvent par principe de l’hébergement
d’urgence de droit com­mun.
Les con­seils départe­men­taux devront organ­is­er cette mise à l’abri en lien avec les pré­fec­tures et
s’assurer de son effec­tiv­ité. »
- Sur la sit­u­a­tion en l’espèce des mineurs non accom­pa­g­nés présents dans le
squat de Saint Just à Mar­seille :
Il est cepen­dant de notoriété publique que de nom­breux jeunes mineurs isolés ont trou­vé refuge
dans des locaux appar­tenant au Diocèse situés 59 Avenue Saint Just dans le 4ème arrondisse­ment,
locaux occupés depuis le 18 décem­bre 2018 sans droit ni titre.
Actuelle­ment, près de 200 per­son­nes dont au moins 50 jeunes mineurs non accom­pa­g­nés y
demeurent dans des con­di­tions par­ti­c­ulière­ment indignes.
Une liste pro­vi­soire des mineurs non accom­pa­g­nés a été dressée par des bénév­oles au sein du
squat de Saint Just le 6 avril 2020. Elle est jointe au présent recours.
Il s’agit de jeunes se présen­tant comme mineurs non accom­pa­g­nés et ayant des sit­u­a­tions
dif­férentes (cer­tains béné­fi­cient d’une ordon­nance de place­ment de Juge des Enfants non
exé­cutée, d’autres sont dans l’attente d’une déci­sion, d’autres encore ont des recours pen­dant, et
enfin cer­tains n’ont pu se présen­ter à l’addap 13 en l’absence d’accueil).
En effet, il résulte tant des témoignages des jeunes hébergés que des bénév­oles sol­idaires sur
place que :
- Le lieu est surpe­u­plé,
- cer­tains jeunes dor­ment à même le sol,
- d’autres sont entassés dans des cham­bres infec­tées par les punais­es de lit et ne peu­vent
pas dormir,
- les ten­sions sont impor­tantes,
- les jeunes se sen­tent en insécu­rité du fait de la présence de majeurs et alors que les
bénév­oles ne sont plus en mesure d’assurer une présence de nuit comme de jour,
- les vols sont fréquents,
- la nour­ri­t­ure et la vêture ne résul­tent que de dons spon­tanés et sont en quan­tité
insuff­isantes,
- la cui­sine, qui com­porte trois feux, n’est nulle­ment adap­tée à un accueil de 200 per­son­nes,
Depuis plusieurs mois, cette sit­u­a­tion est dénon­cée dans la presse notam­ment dans un arti­cle de
La PROVENCE paru le 7 sep­tem­bre 2019 et inti­t­ulé « Mar­seille : à Saint-Just, “on doit refuser des
gens et c’est dur” »1 :
« Alors que l’été s’achève, le site sat­ure : 280 per­son­nes, d’une dizaine de nation­al­ités
(Nigéria, Mali, Séné­gal, Guinée), dont une trentaine de bébés, y vivaient ce mois d’août. Il
a fal­lu “rajouter des mate­las par terre” dans les 66 cham­bres, mais cela n’a pas suf­fi. »
De même, dans un arti­cle paru sur le site info migrant le 5 sep­tem­bre 2019 « Mar­seille : totale­ment
sat­uré, le squat St-Just doit refuser des migrants, dont des mineurs », les bénév­oles se plaig­naient
d’être arrivés à « totale sat­u­ra­tion »2.
On relèvera enfin que la pré­car­ité de mise à l’abri est offi­cial­isée par le fait que par une ordon­nance
en date 18 juil­let 2019, le juge des référés du Tri­bunal d’instance de Mar­seille à ordon­né
« l’expulsion des défend­eurs majeurs visés en quête de la présente ordon­nance, ain­si que celle de
tous occu­pant de leur chef, au besoin avec le con­cours de la force publique, des lieux occupés sans
droit ni titre sis 59, avenue Saint-Just », et que le 7 novem­bre 2019 la même juri­dic­tion a décidé
l’expulsion sans délai des mineurs non accom­pa­g­nés du squat.

La sit­u­a­tion s’est encore empirée depuis le 16 mars dernier, date du con­fine­ment
ordon­né par le Gou­verne­ment.

En effet :
- Les con­di­tions actuelles de vie au squat ne per­me­t­tent pas le respect des gestes bar­rières
- Les jeunes sont plusieurs dans les cham­bres, jusqu’à 8 dans cer­taines, et les dis­tances « de
sécu­rité » ne sont matérielle­ment pas pos­si­bles.
- Ils sont oblig­és d’u­tilis­er la seule cui­sine com­mune de la mai­son.
- Ils n’ont pas leurs pro­pres douch­es dans chaque cham­bre.
- Il en est de même pour les toi­lettes et il y a seule­ment qua­tre toi­lettes com­munes dans
toute la mai­son.
- Il est dif­fi­cile, voire qua­si impos­si­ble de se laver les mains régulière­ment.
- Les habi­tants du squat man­quent de savon, de gel hydroal­coolique, de lessive, de pro­duits
ménagers.
- Ils ne sont en pos­ses­sion que de 50 masques reçus par l’hôpital.
- La prise de tem­péra­ture régulière est impos­si­ble…
En out­re, ni le Con­seil Départe­men­tal, ni la Pré­fec­ture ne se sont mobil­isés pour assur­er une veille
san­i­taire, un appro­vi­sion­nement en nour­ri­t­ure, en pro­duits d’hygiène, etc…
Plus aucun accueil de jour n’est pro­posé aux jeunes par le départe­ment, les jeunes ne béné­fi­cient
d’aucun édu­ca­teur référent, aucune vêture ne leur est fournie, aucune per­son­ne n’est présente pour les accom­pa­g­n­er en cas d’urgence médi­cale. Ceci ressort de la sim­ple lec­ture du site inter­net
de l’ADDAP 13, asso­ci­a­tion en charge pour le départe­ment dudit accueil qui pré­cise que (cf cap­ture
d’écran en pièce jointe) « En rai­son de l’épidémie de coro­n­avirus et con­for­mé­ment aux mesures
gou­verne­men­tales [sic !!], les bureaux du Groupe addap13 seront fer­més jusqu’à nou­v­el ordre. »
Les jeunes sont tout sim­ple­ment livrés à eux-mêmes.
1 https://www.laprovence.com/article/edition-marseille/5662870/a‑saint-just-on-doit-refuser-des-gens-et-cestdur.
html?fbclid=IwAR0LDs5qOJkuJ_DmGKH1wsttNiGj7vYSBZ8IDnps3uhKsZ7cNcTbZvvVFVU
2 https://www.infomigrants.net/fr/post/19340/marseille-totalement-sature-le-squat-st-just-doit-refuser-des-migrants-dont-desmineurs?
ref=fb_i&fbclid=IwAR2ErkgMcYrN7ubl172xCLG2rtd1rxRqkUkDOxyxwE8RfxYWS14nfI-HvjI

Les ten­sions devi­en­nent impos­si­bles à con­tenir et 3 plaintes pénales ont d’ores et déjà
été déposées pour des faits d’agressions à l’arme blanche.

Une telle sit­u­a­tion porte man­i­feste­ment atteinte à leur droit à la vie, à ne pas subir de traite­ments
inhu­mains et dégradants, à béné­fici­er d’un héberge­ment d’urgence et à la pro­tec­tion de la san­té,
eu égard à l’urgence san­i­taire actuelle.
C’est ce qu’a con­staté le Défenseur des Droits au niveau nation­al, ce qui l’a déter­miné à saisir le
Secré­taire d’Etat à la Pro­tec­tion de l’enfance et le Prési­dent des départe­ments de France pour les
alert­er sur la sit­u­a­tion préoc­cu­pante des enfants rel­e­vant de la pro­tec­tion de l’enfance.
En out­re, la carence du Con­seil Départe­men­tal et du Préfet des Bouch­es du Rhône tranche
man­i­feste­ment avec la posi­tion affichée du gou­verne­ment con­cer­nant l’aide aux plus dému­nis,
notam­ment aux mineurs, pen­dant l’épidémie de Covid-19.
D’autres pré­fec­tures ont d’ailleurs procédé à la réqui­si­tion de lieux d’hébergement afin de met­tre
à l’abri des mineurs et des sans-abri le temps de la crise san­i­taire.
Par la présente, les requérantes deman­dent donc au juge des référés qu’il enjoigne au Con­seil
départe­men­tal des Bouch­es du Rhône et sub­sidi­aire­ment au Préfet des Bouch­es du Rhône et à la
Ville de Mar­seille, de pren­dre toute mesure utile pour faire cess­er immé­di­ate­ment l’atteinte illé­gale
aux lib­ertés que con­stitue l’absence de prise en charge de ces mineurs mal­gré l’urgence san­i­taire
découlant de l’épidémie de COVID-19, et d’ordonner la mise à l’abri immé­di­ate de tous les jeunes
dans des locaux adap­tés à leurs besoins spé­ci­fique, de façon à respecter les mesures de préven­tion
dans la lutte con­tre le Covid-19, mesure néces­saire à la sauve­g­arde de leurs lib­ertés fon­da­men­tales.

II DISCUSSION
a. SUR L’INTÉRÊT A AGIR DES REQUÉRANTES :

- L’Association Médecins du Monde :
Il ressort de l’article 1er de ses Statuts, inti­t­ulé « But » que :
« Médecins du Monde est une asso­ci­a­tion de sol­i­dar­ité inter­na­tionale fondée en 1980 qui a pour
voca­tion à par­tir de sa pra­tique médi­cale et en toute indépen­dance, de soign­er les pop­u­la­tions les
plus vul­nérables, dans des sit­u­a­tions de crises et d’ex­clu­sion partout dans le Monde et en France.
Médecins du Monde révèle les risques de crises et de men­aces pour la san­té et la dig­nité afin de
con­tribuer à leur préven­tion. Médecins du Monde dénonce par ses actions de témoignage les
atteintes aux droits de l’homme et plus par­ti­c­ulière­ment les entrav­es à l’ac­cès aux soins. ».
En rai­son des buts qu’elle s’est don­née, l’Association Médecins du Monde est régulière­ment admise
à agir dans l’intérêt par­ti­c­uli­er ou col­lec­tif des intérêts et de la défense des droits des ressor­tis­sants
étrangers vivant sur le ter­ri­toire nation­al.
Au vu des faits et du con­texte, il est évi­dent que les risques graves et immi­nents que courent ces
jeunes exilés entrent dans le cadre de ses statuts.

En out­re, ses bénév­oles présents à Mar­seille s’occupent per­son­nelle­ment de la sit­u­a­tion de ces
mineurs isolés.
L’Association Médecins du Monde a donc intérêt à saisir le juge de céans, afin de lui deman­der
d’ordonner les mesures néces­saires pour per­me­t­tre la mise à l’abri de ces jeunes.
- L’Association Médecins Sans Fron­tières :
Selon l’ar­ti­cle 1 des statuts de l’as­so­ci­a­tion, l’ob­jet de celle-ci est ain­si défi­ni :
« L’as­so­ci­a­tion MEDECINS SANS FRONTIERES, dite “M.S.F.” fondée en 1971, con­for­mé­ment aux
dis­po­si­tions de la loi du 1er juil­let 1901 (ci-après l’«Association»), a pour objet:
a) de réu­nir, sans dis­crim­i­na­tion et sans exclu­sive, non seule­ment les médecins et pro­fes­sion­nels
de san­té mais égale­ment toutes les per­son­nes sus­cep­ti­bles de met­tre au ser­vice de l’Association
leurs con­nais­sances, com­pé­tences ou d’être utiles à sa mis­sion,
i. pour porter assis­tance aux pop­u­la­tions en détresse, aux pop­u­la­tions exclues des
soins, aux vic­times de cat­a­stro­phes d’origine naturelle ou humaine, de sit­u­a­tions de
bel­ligérance ou d’autres formes de vio­lence, d’épidémies ou d’endémies,
ii. pour favoris­er, dans les pays où cela lui sem­blera pos­si­ble, l’amélio­ra­tion des
com­pé­tences médi­cales et opéra­tionnelles locales,
b) de mobilis­er en faveur de ces pop­u­la­tions tous les moyens humains et matériels néces­saires
pour leur apporter des sec­ours et des soins de qual­ité dans les délais les plus brefs, avec l’ef­fi­cac­ité,
la com­pé­tence et le dévoue­ment req­uis,
c) d’in­former et de sen­si­bilis­er, de façon générale ou spé­ci­fique, le pub­lic, les dona­teurs de
l’As­so­ci­a­tion et les dif­férentes insti­tu­tions dont le sou­tien con­di­tionne l’ac­tion de Médecins Sans
Fron­tières à pro­pos des sit­u­a­tions de détresse aux­quelles les équipes médi­cales sont con­fron­tées,
d) de soutenir et/ou de par­ticiper, dans la mesure de ses pos­si­bil­ités d’action et de ses ressources
disponibles, à des travaux de développe­ment et de recherche ayant pour but d’améliorer ou de
dévelop­per des moyens diag­nos­tiques et thérapeu­tiques effi­caces,
e) de rechercher tous les con­cours nationaux et inter­na­tionaux pro­pres à per­me­t­tre à ses mem­bres
de rem­plir leur mis­sion dans les par­ties du monde où ils peu­vent être appelés à servir. »
En rai­son des buts qu’elle s’est don­née, l’Association Médecins sans Fron­tières est, elle aus­si,
régulière­ment admise à agir dans l’intérêt par­ti­c­uli­er ou col­lec­tif des intérêts et de la défense des
droits des ressor­tis­sants étrangers vivant sur le ter­ri­toire nation­al.
Au vu des faits et du con­texte, il est évi­dent que les risques graves et immi­nents que courent ces
jeunes exilés entrent dans le cadre de ses statuts.
En out­re, l’as­so­ci­a­tion a ouvert en une cen­taine de place d’héberge­ment pour des mineurs non accom­pa­g­nés à Mar­seille afin de répon­dre aux prob­lèmes d’ab­sence de prise en charge et
d’héberge­ment pré­caires de trop nom­breux mineurs.
L’Association Médecins Sans Fron­tières a donc intérêt à saisir le juge de céans, afin de lui deman­der
d’ordonner les mesures néces­saires pour per­me­t­tre la mise à l’abri de ces jeunes.

B – SUR L’URGENCE :
La con­di­tion de l’urgence telle qu’elle est posée par l’article L.521–2 du code de jus­tice
admin­is­tra­tive est sat­is­faite à rai­son du car­ac­tère extrême­ment préoc­cu­pant de la sit­u­a­tion san­i­taire
sur le ter­ri­toire français du fait de la pandémie résul­tant de la prop­a­ga­tion du Covid-19.
C’est ain­si que le juge des référés du Con­seil d’Etat a déjà admis que cette sit­u­a­tion excep­tion­nelle
jus­ti­fi­ait une sit­u­a­tion d’urgence au sens de l’article L. 521–2 du code de jus­tice admin­is­tra­tive (CE,
Ord., 22 mars 2020, Syn­di­cat jeunes médecins, n° 439674).
En l’espèce, le cadre est sim­i­laire à celui qui a con­duit à cette déci­sion du juge des référés du
Con­seil d’Etat puisque là encore, l’urgence tient à l’augmentation expo­nen­tielle du nom­bre de
patients infec­tés par le COVID-19 en France, avec un dou­ble­ment quo­ti­di­en des cas et un risque
réel et doc­u­men­té de sat­u­ra­tion des ser­vices de réan­i­ma­tion, ne per­me­t­tant plus d’offrir des soins
de qual­ité à tous.
L’Assemblée nationale, par un vote inter­venu dans la nuit du 21 mars, a décidé de la mise en place
de l’état d’urgence san­i­taire, car­ac­térisant ain­si, l’urgence impérieuse dans laque­lle la présente
demande prends corps.
Cette déci­sion s’inscrit dans la con­ti­nu­ité des arrêtés pris par le min­istre de la san­té et des
sol­i­dar­ités et du décret du 16 mars 2020 dont les visas por­tent tous men­tion de l’urgence.
C’est en rai­son de l’augmentation expo­nen­tielle du nom­bre de per­son­nes atteintes du COVID-19
que les autorités français­es ont décidé, notam­ment, comme mesure d’urgence :
- le respect de mesures bar­rières et le con­fine­ment total de la pop­u­la­tion (sauf déro­ga­tions
expressé­ment listées).
- Ces mesures « bar­rière » et le con­fine­ment ont été mis en oeu­vre, à la demande des experts
médi­caux, par les pou­voirs publics, puisqu’ils sont indis­pens­ables au strict point de vue
san­i­taire, avec deux objec­tifs prin­ci­paux : dimin­uer la prop­a­ga­tion du virus afin d’éviter une
sat­u­ra­tion des dis­posi­tifs de san­té, pro­téger la pop­u­la­tion de l’infection elle-même, compte
tenu de son extrême grav­ité.
En l’espèce on rap­pellera que les requérantes agis­sent dans l’intérêt de mineurs en dan­ger en
rai­son de leur sit­u­a­tion d’isolement et de pré­car­ité, de leur absence totale de prise en charge et de
leur main­tien actuel dans un lieu ne répon­dant nulle­ment à leurs besoins.
L’urgence est dès lors par­faite­ment jus­ti­fiée et égale­ment con­sti­tuée au regard de l’absence de
prise en compte par l’administration de l’intérêt supérieur du requérant tel que pro­tégé par les
dis­po­si­tions de l’article 3–1 de la con­ven­tion inter­na­tionale des droits de l’enfant du 26 jan­vi­er 1990,
directe­ment invo­ca­ble devant les juri­dic­tions admin­is­tra­tives (Con­seil d’Etat, 22 sep­tem­bre 1997,
n° 161364) :
« Dans toutes les déci­sions qui con­cer­nent les enfants, qu’elles soient le fait d’institutions
publiques ou privées de pro­tec­tion sociale, des tri­bunaux, des autorités admin­is­tra­tives ou
des organes lég­is­lat­ifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une con­sid­éra­tion
pri­mor­diale ».
Le Défenseur des droits a rap­pelé dans une déci­sion du 26/02/2016 n°MDE2016-052 que :
« Tout enfant en dan­ger présent sur le ter­ri­toire français doit pou­voir faire l’objet d’une
mesure de pro­tec­tion quel que soit son statut per­son­nel et sa sit­u­a­tion au regard des règles
d’entrée et de séjour. (…) Un mineur seul et étranger, arrivant en France sans représen­tant
légal sur le ter­ri­toire et sans proche pour l’accueillir, doit être con­sid­éré comme un enfant
en dan­ger. »

Comme l’a souligné la Cour européenne des droits de l’homme, dans l’affaire Mubi­lanzi­la Mayeka
et Kani­ki Mitun­ga c. Bel­gique (arrêt du 12/10/2006, requête 13178/03), les mineurs isolés
étrangers relèvent « incon­testable­ment de la caté­gorie des per­son­nes les plus vul­nérables de la
société ».
Cette for­mule a été reprise dans un arrêt de la CEDH du 5 avril 2011 Rahi­mi c/ Grèce, requête n°
8687/08, §87 : « Comme il a déjà été relevé, la sit­u­a­tion du requérant se car­ac­téri­sait par son
jeune âge (en l’espèce 15 ans), le fait qu’il était étranger en sit­u­a­tion d’il­lé­gal­ité dans un pays
incon­nu, qu’il n’é­tait pas accom­pa­g­né et donc livré à lui-même. (…) Il rel­e­vait incon­testable­ment
de la caté­gorie des per­son­nes les plus vul­nérables de la société et il apparte­nait à l’E­tat grec de le
pro­téger et de le pren­dre en charge par l’adop­tion de mesures adéquates au titre des oblig­a­tions
pos­i­tives découlant de l’ar­ti­cle 3 ».
En out­re, le risque d’une con­t­a­m­i­na­tion général­isée des jeunes ayant trou­vé refuge au sein du
squat est réel et immi­nent tant les vecteurs de con­t­a­m­i­na­tion sont mul­ti­ples, compte tenu de
l’importance des inter­ac­tions qui exis­tent entre les jeunes et les adultes y rési­dant égale­ment.
La sit­u­a­tion de ces jeunes par­ti­c­ulière­ment vul­nérables qui vivent dans la plus grande pré­car­ité au
sein d’un loge­ment surpe­u­plé ne per­me­t­tant pas de respecter les règles de préven­tion de la
pandémie, néces­site la prise de mesures immé­di­ates.
Au vu de l’ensemble de ces élé­ments, il ne fait aucun doute que la con­di­tion d’urgence prévue à
l’article L.521–2 du code de jus­tice admin­is­tra­tive est rem­plie.

C — SUR L’ATTEINTE GRAVE ET MANIFESTEMENT ILLEGALE A UNE LIBERTE
FONDAMENTALE
— Les lib­ertés fon­da­men­tales en cause :

- L’atteinte au droit à la vie
Selon l’article 2 de la Con­ven­tion européenne de sauve­g­arde des droits de l’Homme :
« Le droit de toute per­son­ne à la vie est pro­tégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque
inten­tion­nelle­ment, sauf en exé­cu­tion d’une sen­tence cap­i­tale pronon­cée par un tri­bunal au cas où
le délit est puni de cette peine par la loi. »
A cet égard, la Cour européenne des droits de l’Homme rap­pelle régulière­ment l’obligation pos­i­tive
de pro­tec­tion de la vie qui pèse sur les Etats sig­nataires :
115. La Cour note que la pre­mière phrase de l’article 2 § 1 astreint l’Etat non seule­ment à s’abstenir
de provo­quer la mort de manière volon­taire et irrégulière mais aus­si à pren­dre les mesures
néces­saires à la pro­tec­tion de la vie des per­son­nes rel­e­vant de sa juri­dic­tion (arrêt L.C.B. c.
Roy­aume-Uni du 9 juin 1998, Recueil des arrêts et déci­sions 1998-III, p. 1403, § 36).
Voir égale­ment :
CEDH, 28 octo­bre 1998, Osman c/ Roy­aume-Uni
Comm. EDH, 10 juil­let 1984, Stew­art c/ Roy­aume-Uni : DR 39/162
En out­re, la Cour a jugé que l’obligation éta­tique de pro­téger la vie vise aus­si bien la mort vio­lente
que la mort infligée sans inten­tion de la don­ner. Ain­si en est-il notam­ment de la pro­tec­tion
de l’individu con­tre le risque de mal­adie et l’accès aux médica­ments vitaux.

CEDH, 1er mars 2001, Berk­tay c/ Turquie
CEDH, Panaites­cu c/ Roumanie, req n° 30909/06
Les Etats mem­bres du Con­seil de l’Europe sont par con­séquent soumis à une oblig­a­tion pos­i­tive et
préven­tive de pren­dre les mesures néces­saires afin d’éviter tout risque de mort touchant les
indi­vidus rel­e­vant de leur juri­dic­tion, en par­ti­c­uli­er les enfants.
Il con­vient égale­ment de pré­cis­er que le Con­ven­tion inter­na­tionale des droits de l’enfant recon­naît
un droit par­ti­c­uli­er des per­son­nes mineures à la vie et enjoint aux Etats d’assurer « dans toute la
mesure pos­si­ble la survie et le développe­ment de l’enfant. »
Le Con­seil d’Etat a ain­si pré­cisé :
« Con­sid­érant, en out­re, que le droit au respect de la vie, rap­pelé notam­ment par l’article 2 de la
con­ven­tion européenne de sauve­g­arde des droits de l’homme et des lib­ertés fon­da­men­tales,
con­stitue une lib­erté fon­da­men­tale au sens des dis­po­si­tions de l’article L. 521–2 du code de jus­tice
admin­is­tra­tive »
Con­seil d’État, 16 novem­bre 2011, Ville de Paris, No 353172, Pub­lié au recueil Lebon.
Le Con­seil d’Etat a récem­ment eu l’occasion d’appliquer cette jurispru­dence s’agissant des risques
résul­tant de la pandémie de Covid-19 et de la prop­a­ga­tion de ce virus. Il a ain­si retenu que l’action
ou la carence de l’autorité publique s’agissant de la préven­tion de la prop­a­ga­tion de ce virus crée
un dan­ger car­ac­térisé et immi­nent pour la vie des per­son­nes, por­tant ain­si une atteinte grave et
man­i­feste­ment illé­gale à cette lib­erté fon­da­men­tale, et que le juge des référés pou­vait, au titre de
la procé­dure par­ti­c­ulière prévue par cet arti­cle, pre­scrire toutes les mesures de nature à faire cess­er
le dan­ger résul­tant de cette action ou de cette carence. (CE, 22 mars 2020, Syn­di­cat jeunes
médecins, n° 439674).
Il peut à l’évidence être fait appli­ca­tion des critères qui ont été dégagés à cette occa­sion par le
juge des référés du Con­seil d’État à la sit­u­a­tion des mineurs en cause eu égard à leur par­ti­c­ulière
vul­néra­bil­ité et à l’obligation de prise en charge qui pèse sur l’administration.
Il appar­tient ain­si à celle-ci de pren­dre les mesures pro­pres à pro­téger leur vie afin de garan­tir le
respect effec­tif des exi­gences découlant des principes rap­pelés notam­ment par l’article 2 de la
con­ven­tion européenne de sauve­g­arde des droits de l’homme et des lib­ertés fon­da­men­tales.
En lais­sant des jeunes mineurs non accom­pa­g­nés dans les con­di­tions ci-dessus rap­pelées au sein
du squat de Saint Just sans assis­tance dans le con­texte actuel de pandémie de Covid-19, le
Départe­ment, et sub­sidi­aire­ment le Préfet et la Com­mune ont ain­si porté une atteinte grave et
man­i­feste­ment illé­gale à leur droit à la vie.
- L’atteinte au droit à la pro­tec­tion de la san­té
Le droit à la pro­tec­tion de la san­té est men­tion­né à l’alinéa 11 du Préam­bule de la Con­sti­tu­tion de
1946 :

« La Nation garan­tit à tous, notam­ment à l’enfant, à la mère et au vieux tra­vailleur, la pro­tec­tion
de la san­té, la sécu­rité matérielle, le repos et les loisirs. »
Ce droit, com­posante du principe de dig­nité humaine, a très tôt été recon­nu comme un principe à
valeur con­sti­tu­tion­nelle par le Con­seil con­sti­tu­tion­nel.
L’article L. 1110–5 du code de la san­té publique dis­pose en out­re que :
« Toute per­son­ne a, compte tenu de son état de san­té et de l’urgence des inter­ven­tions que celui-ci
requiert, le droit de recevoir, sur l’ensemble du ter­ri­toire, les traite­ments et les soins les plus
appro­priés et de béné­fici­er des thérapeu­tiques dont l’efficacité est recon­nue et qui garan­tis­sent la meilleure sécu­rité san­i­taire et le meilleur apaise­ment pos­si­ble de la souf­france au regard des
con­nais­sances médi­cales avérées (…) ».
D’autre part, l’article 24.1 de la Con­ven­tion inter­na­tionale des droits de l’enfant stip­ule :
« Les Etats par­ties recon­nais­sent le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de san­té pos­si­ble et
de béné­fici­er de ser­vices médi­caux et de réé­d­u­ca­tion. Ils s’efforcent de garan­tir qu’aucun enfant
ne soit privé du droit d’avoir accès à ces ser­vices. »
Le Con­seil d’Etat a recon­nu que le droit de recevoir les traite­ments et soins le plus appro­priés à
son état de san­té con­stitue une lib­erté fon­da­men­tale au sens de l’article L 521–2 du CJA. (Con­seil
d’Etat, 13/12/2017, Pica-Picard, n°415207)
De même l’adoption de toute les mesures de nature à prévenir la prop­a­ga­tion du Covid-19 répond
incon­testable­ment à l’objectif con­sti­tu­tion­nel de préser­va­tion de la san­té humaine, si bien que le
fait d’exposer des indi­vidus, qui plus est des per­son­nes mineures, à la con­t­a­m­i­na­tion par ce virus
porte une atteinte au droit à la pro­tec­tion de la san­té qui doit être regardée comme une lib­erté
fon­da­men­tale au sens de l’article L. 521–2 du code de jus­tice admin­is­tra­tive.
En l’espèce, aucun des jeunes n’est mis en pos­ses­sion du matériel de pro­tec­tion que l’OMS
con­sid­ère comme indis­pens­able pour éviter la prop­a­ga­tion de la pandémie soit :
- du gel hydroal­coolique
- des masques
- des gants
- la pos­si­bil­ité matérielle d’une dis­tan­ci­a­tion sociale.
Les con­di­tions de vie du squat telles que décrites supra ne per­me­t­tent en aucun cas le respect des
règles d’hygiène de base et moins encore de pro­phy­lax­ie en temps d’épidémie.
- L’atteinte au droit de ne pas subir des traite­ments inhu­mains et dégradants
Selon l’article 3 de la Con­ven­tion européenne des droits de l’homme :
« Nul ne peut être soumis à la tor­ture ni à des peines ou traite­ments inhu­mains ou dégradants. »
Comme en matière de droit à la vie, la Cour européenne en déduit une oblig­a­tion pos­i­tive pesant
sur les Etats par­ties à la Con­ven­tion de pro­téger les indi­vidus dépen­dant de sa juri­dic­tion. Plus
spé­ci­fique­ment, eu égard à la vul­néra­bil­ité par­ti­c­ulière des enfants, la Cour fait peser sur les Etats
une oblig­a­tion de les pro­téger con­tre les mau­vais traite­ments, le cas échéant par l’adoption de
mesures et de garanties spé­ciales.
CEDH, O’Keeffe c/ Irlande, 28 jan­vi­er 2014
C. cons., n°80–117 DC, 22 juil­let 1980
De même, l’article 37 de la Con­ven­tion inter­na­tionale des droits de l’enfant impose aux Etats par­ties
de veiller à ce que « nul enfant ne soit soumis à la tor­ture ni à des peines ou traite­ments cru­els,
inhu­mains ou dégradants. »
Le Con­seil d’Etat a recon­nu le droit à ne pas être soumis à des traite­ments inhu­mains et dégradants
con­stitue une lib­erté fon­da­men­tale au sens de l’article L 521–2 du CJA.

Con­seil d’Etat, ordo. 23/11/2015, Min. de l’Int. et com­mune de Calais n°394540, 394568
Plus spé­ci­fique­ment, le Con­seil d’Etat (1ère et 6ème cham­bres réu­nies) a ren­du, le 27 juil­let 2016
une déci­sion 400055 qui retient que les mineurs sont, dans des cir­con­stances qui sont sem­blables
au cas d’espèce, exposés à des traite­ments inhu­mains et dégradants, en con­trar­iété avec le principe
con­sti­tu­tion­nel de sauve­g­arde de la dig­nité humaine.

En l’espèce, compte tenu de l’état d’urgence san­i­taire, l’atteinte à cette lib­erté fon­da­men­tale est
d’autant plus car­ac­térisée du fait des mesures de con­fine­ment qui accentuent la suroc­cu­pa­tion des
locaux, les ten­sions inter­per­son­nelles et le stress inhérent à la sit­u­a­tion.
- La vio­la­tion de l’exigence d’intérêt supérieur de l’enfant
L’article 3.1 de la Con­ven­tion inter­na­tionale des droits de l’enfant impose aux Etats par­ties le respect
de la pri­mauté de l’exigence d’intérêt supérieur de l’enfant :
« Dans toutes les déci­sions qui con­cer­nent les enfants, qu’elles soient le fait des insti­tu­tions
publiques ou privées de pro­tec­tion sociale, des tri­bunaux, des autorités admin­is­tra­tives ou des
organes lég­is­lat­ifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une con­sid­éra­tion pri­mor­diale. »
A cet égard, le Con­seil con­sti­tu­tion­nel a, dans une récente déci­sion, recon­nu l’existence d’une
exi­gence con­sti­tu­tion­nelle de pro­tec­tion de l’intérêt de l’enfant.
C. cons., n°2018–768 QPC, 21 mars 2019 ‘
Il se déduit de ce qui précède qu’il existe tant au niveau européen et inter­na­tion­al qu’au niveau
con­sti­tu­tion­nel, un principe de pro­tec­tion accrue des droits et lib­ertés des mineurs, imposant à
l’Etat de pren­dre des mesures spé­ci­fiques.
Le Con­seil d’Etat a ain­si con­sacré l’intérêt supérieur de l’enfant au titre des droits et lib­ertés
fon­da­men­tales au titre de l’article L 521–2 du CJA.
Con­seil d’Etat, 4/05/2011, Min­istre des affaires étrangères, n°348778
La carence des autorités com­pé­tentes cis à vis de la prise en charge sociale, san­i­taire et éduca­tive
des mineurs porte en l’espèce à l’évidence atteinte à leur intérêt supérieur ain­si pro­tégé.
- L’atteinte au droit à l’hébergement d’urgence
Le droit à l’hébergement d’urgence a été recon­nu par le Con­seil d’Etat comme une lib­erté
fon­da­men­tale sus­cep­ti­ble d’être invo­quée pour l’application de l’article L.521–2 du Code de jus­tice
admin­is­tra­tive (CE, réf., 10 févri­er 2012, n°356456) :
« Con­sid­érant qu’il appar­tient aux autorités de l’E­tat de met­tre en oeu­vre le droit à l’héberge­ment
d’ur­gence recon­nu par la loi à toute per­son­ne sans abri qui se trou­ve en sit­u­a­tion de détresse
médi­cale, psy­chique et sociale ; qu’une carence car­ac­térisée dans l’ac­com­plisse­ment de cette tâche
peut, con­traire­ment à ce qu’a estimé le juge des référés de pre­mière instance, faire appa­raître,
pour l’ap­pli­ca­tion de l’ar­ti­cle L. 521–2 du code de jus­tice admin­is­tra­tive, une atteinte grave et
man­i­feste­ment illé­gale à une lib­erté fon­da­men­tale lorsqu’elle entraîne des con­séquences graves
pour la per­son­ne intéressée ; qu’il incombe au juge des référés d’ap­préci­er dans chaque cas les
dili­gences accom­plies par l’ad­min­is­tra­tion en ten­ant compte des moyens dont elle dis­pose ain­si que
de l’âge, de l’é­tat de la san­té et de la sit­u­a­tion de famille de la per­son­ne intéressée »
Les requérantes sou­ti­en­nent par ailleurs que les mineurs con­cernés sont créanciers du droit à
l’hébergement d’urgence.
D’une part, en ver­tu des dis­po­si­tions de l’article L. 345–2‑2 du Code de l’action sociale et des
familles :
« Toute per­son­ne sans abri, en sit­u­a­tion de détresse médi­cale, psy­chique et sociale, a
accès, à tout moment, à un dis­posi­tif d’hébergement d’urgence ».
Cette oblig­a­tion lég­isla­tive pèse de façon immé­di­ate, con­tin­ue et incon­di­tion­nelle sur l’État.

En out­re, s’agissant plus par­ti­c­ulière­ment de la sit­u­a­tion de mineurs isolés étrangers, le Con­seil
d’Etat a pré­cisé aux ter­mes de l’ordonnance de Référé N°375956 susvisée :
« Con­sid­érant qu’il appar­tient aux autorités de l’E­tat de met­tre en oeu­vre le droit à
l’héberge­ment d’ur­gence recon­nu par la loi à toute per­son­ne sans abri qui se trou­ve en
sit­u­a­tion de détresse médi­cale, psy­chique et sociale ; qu’une oblig­a­tion par­ti­c­ulière
pèse, en ce domaine, sur les autorités du départe­ment en faveur de tout mineur
dont la san­té, la sécu­rité ou la moral­ité sont en dan­ger ; qu’une carence car­ac­térisée
dans l’ac­com­plisse­ment de ces oblig­a­tions peut faire appa­raître une atteinte grave et man­i­feste­ment illé­gale à une lib­erté fon­da­men­tale, lorsqu’elle entraîne des con­séquences
graves pour la per­son­ne intéressée ; qu’il incombe au juge des référés d’ap­préci­er, dans
chaque cas, les dili­gences accom­plies par l’ad­min­is­tra­tion en ten­ant compte des moyens
dont elle dis­pose ain­si que de l’âge, de l’é­tat de la san­té et de la sit­u­a­tion de famille de la
per­son­ne intéressée. »
Le tri­bunal admin­is­tratif de Mar­seille con­damne régulière­ment depuis l’ouverture du squat le
Départe­ment qui laisse les mineurs à sa charge vivre dans des con­di­tions indignes ne respec­tant
pas leur droit à l’hébergement.
Voir en ce sens pour exem­ple : TA de Mar­seille, 23/09/2019, n°1907753–11

- L’illégalité man­i­feste des atteintes à ces lib­ertés :
S’il appar­tient au Con­seil Départe­men­tal au pre­mier chef de pren­dre en charge de manière glob­ale
des mineurs non accom­pa­g­nés, l’Etat et la com­mune sont égale­ment com­pé­tentes au titre de la
police admin­is­tra­tive générale notam­ment de la sauve­g­arde de la dig­nité humaine, de la san­té et
de la salubrité publique.
Cette respon­s­abil­ité à titre prin­ci­pal du Départe­ment a été claire­ment recon­nue par le Con­seil d’Etat
(1ère et 6ème cham­bres réu­nies) dans une déci­sion ren­due le 27 juil­let 2016 n°400055:
« En out­re, il appar­tient, en tout état de cause, aux autorités tit­u­laires du pou­voir de police
générale, garantes du respect du principe con­sti­tu­tion­nel de sauve­g­arde de la dig­nité
humaine, de veiller, notam­ment, à ce que le droit de toute per­son­ne à ne pas être soumise
à des traite­ments inhu­mains ou dégradants soit garan­ti. Lorsque la carence des autorités
publiques expose des per­son­nes à être soumis­es, de manière car­ac­térisée, à de tels
traite­ments, por­tant ain­si une atteinte grave et man­i­feste­ment illé­gale à une lib­erté
fon­da­men­tale, et que la sit­u­a­tion per­met de pren­dre utile­ment des mesures de sauve­g­arde
dans un délai de quar­ante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procé­dure
prévue par l’ar­ti­cle L. 521–2 préc­ité, pre­scrire toutes les mesures de nature à faire cess­er
la sit­u­a­tion résul­tant de cette carence. Toute­fois, la com­pé­tence des autorités
tit­u­laires du pou­voir de police générale ne saurait avoir pour effet de dis­penser
le départe­ment de ses oblig­a­tions en matière de prise en charge des mineurs
con­fiés au ser­vice de l’aide sociale à l’en­fance.
Par suite, le juge des référés ne

pour­rait pronon­cer une injonc­tion à leur égard que dans l’hy­pothèse où les mesures de
sauve­g­arde à pren­dre excéderaient les capac­ités d’ac­tion du départe­ment.

(..)
Le Con­seil d’Etat a par ailleurs pré­cisé qu’il incombe au juge des référés d’apprécier dans chaque
cas les dili­gences accom­plies par l’administration en ten­ant compte des moyens dont elle dis­pose
ain­si que de l’âge, de l’état de san­té et de la sit­u­a­tion de famille de l’intéressé.

En l’espèce, le Départe­ment n’a pris aucune mesure et a même fer­mé tout pre­mier accueil
des mineurs non accom­pa­g­nés.

Cette carence du Départe­ment et les con­séquences dra­ma­tiques qui en découlent ont été dénon­cés
par un com­mu­niqué de presse de HRW du 26 mars 2020 sur la sit­u­a­tion des MNA à Mar­seille et à
Gap « France : des enfants livrés à eux-mêmes mal­gré le Covid-19 ».
Il ne pour­ra se retranch­er der­rière une impos­si­bil­ité matérielle ou un manque de moyens dès lors
qu’avant même l’apparition du virus Covid-19, Médecins sans Fron­tières a ouvert plusieurs lieux
d’hébergement des mineurs non accom­pa­g­nés à Mar­seille en l’espace de quelques jours afin de
soulager la pres­sion exis­tante sur le squat de Saint Just. De même, l’Etat a su réqui­si­tion­ner un
cen­tre de vacances situé à Car­ry le Rou­et afin d’y accueil­lir en extrême urgence des ressor­tis­sants
français évac­ués de Chine. Ain­si on le voit, des lieux vacants exis­taient, et exis­tent d’autant plus
actuelle­ment que le tourisme a totale­ment cessé.
De manière tout à fait notable, le Secré­taire d’Etat à la pro­tec­tion de l’enfance a déclaré, dans un
com­mu­niqué de presse daté du 24 mars 2020 que :
« Les débats ont égale­ment per­mis de réaf­firmer que tout jeune éval­ué mineur ou majeur sera mis
à l’abri, soit par une prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance, soit via un héberge­ment
d’urgence, durant cette même péri­ode de crise excep­tion­nelle. »
En out­re, dans la Fiche Coro­n­avirus « Mise à l’abri et éval­u­a­tion sociale des per­son­nes se déclarant
mineurs non accom­pa­g­nés – Prise en charge des mineurs non accom­pa­g­nés con­fiés à l’ASE »
émanant du Min­istère de la Sol­i­dar­ité et de la San­té en date du 3/04/2020
« Chaque per­son­ne se présen­tant comme mineur non accom­pa­g­né (MNA) doit pou­voir béné­fici­er
d’une mise à l’abri sys­té­ma­tique par le con­seil départe­men­tal. L’accueil pro­vi­soire d’urgence au titre
de l’article L.223–2 du code de l’action sociale et des familles est oblig­a­toire et est d’autant plus
indis­pens­able en péri­ode de crise san­i­taire afin de pro­téger les jeunes ain­si que l’ensemble de la
pop­u­la­tion. Cet accueil pour­ra être amené à se pro­longer au-delà des 5 jours régle­men­taires si le
délai d’évaluation de la minorité et de l’isolement dépasse cette durée, notam­ment en cas
d’absence d’un nom­bre suff­isant de per­son­nel en charge de réalis­er ces éval­u­a­tions. 03/04/2020
Coro nav irus (COV ID-19) La mise à l’abri pour les jeunes éval­ués majeurs doit être pour­suiv­ie soit
au sein d’un dis­posi­tif d’hébergement de l’aide sociale à l’enfance soit au sein d’un dis­posi­tif
d’hébergement d’urgence de droit com­mun afin de per­me­t­tre à ces derniers de respecter les
con­signes de con­fine­ment actuelle­ment en cours. Pour les jeunes qui ont été éval­ués majeurs avant
le con­fine­ment et qui ont for­mulé un recours con­tre cette éval­u­a­tion, ce recours n’étant pas
sus­pen­sif, ils relèvent par principe de l’hébergement d’urgence de droit com­mun. Les con­seils
départe­men­taux devront organ­is­er cette mise à l’abri en lien avec les pré­fec­tures et s’assurer de
son effec­tiv­ité. «
Sub­sidi­aire­ment, ain­si que rap­pelé ci-dessus par le Con­seil d’Etat, le Préfet de police détient une
com­pé­tence générale en matière de droit à l’hébergement d’urgence
Le Tri­bunal admin­is­tratif de Mar­seille a d’ailleurs ren­du une déci­sion ce 3 avril 2020
n°2002809 con­damnant le Préfet dans une sit­u­a­tion sim­i­laire.

Dans cette déci­sion il rap­pelle que :
« Aux ter­mes de l’article L. 345–2‑2 du même code : « Toute per­son­ne sans abri en
sit­u­a­tion de détresse médi­cale, psy­chique ou sociale a accès, à tout moment, à un dis­posi­tif
d’hébergement d’urgence./ Cet héberge­ment d’urgence doit lui per­me­t­tre, dans des con­di­tions
d’ac­cueil con­formes à la dig­nité de la per­son­ne humaine, de béné­fici­er de presta­tions assur­ant le
gîte, le cou­vert et l’hy­giène, une pre­mière éval­u­a­tion médi­cale, psy­chique et sociale, réal­isée au
sein de la struc­ture d’hébergement ou, par con­ven­tion, par des pro­fes­sion­nels ou des organ­ismes
extérieurs et d’être ori­en­tée vers tout pro­fes­sion­nel ou toute struc­ture sus­cep­ti­bles de lui apporter
l’aide jus­ti­fiée par son état, notam­ment un cen­tre d’hébergement et de réin­ser­tion sociale, un héberge­ment de sta­bil­i­sa­tion, une pen­sion de famille, un loge­ment-foy­er, un étab­lisse­ment pour
per­son­nes âgées dépen­dantes, un lit halte soins san­té ou un ser­vice hos­pi­tal­ier ».
Il appar­tient aux autorités de l’Etat de met­tre en oeu­vre le droit à l’hébergement d’urgence
recon­nu par la loi à toute per­son­ne sans abri qui se trou­ve en sit­u­a­tion de détresse médi­cale,
psy­chique et sociale. Une carence car­ac­térisée dans l’accomplissement de cette tâche peut faire
appa­raître, pour l’application de l’article L. 521–2 du code de jus­tice admin­is­tra­tive, une atteinte
grave et man­i­feste­ment illé­gale à une lib­erté fon­da­men­tale lorsqu’elle entraîne des con­séquences
graves pour la per­son­ne intéressée. Il incombe au juge des référés d’apprécier dans chaque cas
les dili­gences accom­plies par l’administration en ten­ant compte des moyens dont elle dis­pose ain­si
que de l’âge, de l’état de la san­té et de la sit­u­a­tion de famille de la per­son­ne intéressée. »
Le Préfet détient en out­re un pou­voir de police spé­ciale notam­ment sur le fonde­ment des arti­cles
L1311‑1 et L1311‑4 du code de la san­té publique.
Dans le cadre posé par ces dis­po­si­tions, s’agissant de la préven­tion des mal­adies trans­mis­si­bles,
l’article L. 1311–4 du CSP prévoit que :

« En cas d’ur­gence, notam­ment de dan­ger ponctuel immi­nent pour la san­té publique, le
représen­tant de l’E­tat dans le départe­ment peut ordon­ner l’exé­cu­tion immé­di­ate, tous droits
réservés, des mesures pre­scrites par les règles d’hy­giène prévues au présent chapitre »
La notion de dan­ger immi­nent a reçu une lec­ture large, puisqu’il a été con­sid­éré, dans une affaire
où le gérant d’un foy­er de tra­vailleurs migrants en avait coupé l’alimentation en eau à la suite d’un
con­flit avec les occu­pants, que l’injonction du préfet, au titre des présentes dis­po­si­tions, de rétablir
l’alimentation en eau avait été jugée légale par le Con­seil d’Etat (CE, 23 juin 2000, req. n° 167258).
En con­séquence, en cas de dan­ger ponctuel immi­nent pour la san­té publique résul­tant de la
prop­a­ga­tion d’une mal­adie con­tagieuse, le préfet est habil­ité à ordon­ner l’exécution immé­di­ate des
mesures pro­pres à préserv­er la san­té de l’homme, telles qu’envisagées dans le cadre d’un décret
en Con­seil d’Etat.
Le Maire détient quant à lui un pou­voir de police générale sur le fonde­ment des arti­cles L2212‑1
et L2212‑2 du CGCT.
L’article L. 2212–2, alinéa 5 du Code général des col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales (CGCT), con­fie au maire,
au titre de son pou­voir de police admin­is­tra­tive générale :

« Le soin de prévenir, par des pré­cau­tions con­ven­ables, et de faire cess­er, par la dis­tri­b­u­tion des
sec­ours néces­saires, les acci­dents et les fléaux calami­teux ain­si que les pol­lu­tions de toute nature,
tels que les incendies, les inon­da­tions, les rup­tures de digues, les éboule­ments de terre ou de
rochers, les avalanch­es ou autres acci­dents naturels, les mal­adies épidémiques ou con­tagieuses,
les épi­zooties, de pour­voir d’ur­gence à toutes les mesures d’as­sis­tance et de sec­ours et, s’il y a
lieu, de provo­quer l’in­ter­ven­tion de l’ad­min­is­tra­tion supérieure »
En l’espèce ni le Préfet ni la Ville ne se sont man­i­festés pour inter­venir, bien que par­faite­ment
infor­més de la sit­u­a­tion.
Rap­pelons que le Prési­dent de la République avait annon­cé, le 16 mars 2020 :
« Pour les plus pré­caires, pour les plus dému­nis, pour les per­son­nes isolées, nous fer­ons en sorte,
avec les grandes asso­ci­a­tions, avec aus­si les col­lec­tiv­ités locales et leurs ser­vices, qu’ils puis­sent
être nour­ris, pro­tégés, que les ser­vices que nous leur devons soient assurés. »

Par con­séquent, le gou­verne­ment s’est engagé à ce que les ser­vices de l’Etat organ­isent la mise à
l’abri des per­son­nes vul­nérables de manière incon­di­tion­nelle, quelle que soit leur sit­u­a­tion
admin­is­tra­tive, et en par­ti­c­uli­er les mineurs non accom­pa­g­nés.
Pour­tant, la France vient d’être con­damnée par la CEDH saisie sur le fonde­ment de l’article
39 le 31 mars 2020 n°15/457/20.


III — Sur l’injonction

Selon les ter­mes de l’ar­ti­cle L. 911–1 du Code de jus­tice admin­is­tra­tive :
« Lorsque sa déci­sion implique néces­saire­ment qu’une per­son­ne morale de droit pub­lic ou
un organ­isme de droit privé chargé de la ges­tion d’un ser­vice pub­lic prenne une mesure
d’exé­cu­tion dans un sens déter­miné, la juri­dic­tion, saisie de con­clu­sions en ce sens, pre­scrit,
par la même déci­sion, cette mesure assor­tie, le cas échéant, d’un délai d’exé­cu­tion. »
L’article L. 911–3 du même Code pré­cise égale­ment que :
« Saisie de con­clu­sions en ce sens, la juri­dic­tion peut assor­tir, dans la même déci­sion,
l’in­jonc­tion pre­scrite en appli­ca­tion des arti­cles L. 911–1 et L. 911–2 d’une astreinte qu’elle
prononce dans les con­di­tions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d’ef­fet. »
Lorsque la carence de l’autorité publique crée un dan­ger car­ac­térisé et immi­nent por­tant ain­si une
atteinte grave et man­i­feste­ment illé­gale à une lib­erté fon­da­men­tale pro­tégée, et que la sit­u­a­tion
per­met de pren­dre utile­ment des mesures de sauve­g­arde dans un délai de quar­ante-huit heures,
le juge des référés peut, au titre de la procé­dure par­ti­c­ulière prévue par l’article L. 521–2 du code
de jus­tice admin­is­tra­tive, pre­scrire toutes les mesures de nature à faire cess­er le dan­ger résul­tant
de cette carence.
Aux ter­mes de l’ordonnance du 22 mars 2020 (n°439674), le juge des référés du Con­seil d’Etat
s’est ain­si estimé com­pé­tent pour accom­pa­g­n­er, dans le cadre des pou­voirs dont il dis­pose en ver­tu
de l’article L. 521–2 du code de jus­tice admin­is­tra­tive, l’action publique et veiller à sa cohérence.
Il a ain­si admis que tant l’action que la carence de l’autorité publique s’agissant de la préven­tion
de la prop­a­ga­tion de ce virus étaient sus­cep­ti­bles de créer un dan­ger car­ac­térisé et immi­nent pour
la vie des per­son­nes por­tant une atteinte grave et man­i­feste­ment illé­gale à cette lib­erté
fon­da­men­tale.
La carence de l’autorité publique jus­ti­fie l’intervention du juge des référés au titre de l’article L.
521–2 du code de jus­tice admin­is­tra­tive pour accom­pa­g­n­er l’autorité admin­is­tra­tive et lui impos­er
d’édicter les déci­sions régle­men­taires que la sit­u­a­tion san­i­taire excep­tion­nelle impose pour
répon­dre à l’objectif de san­té publique et en l’occurrence éviter toute prop­a­ga­tion du COVID-19
(CE, 22 mars 2020, Syn­di­cat jeunes médecins, n° 439674).
En out­re, par une ordon­nance de référé du 27 novem­bre 2013, n° 373300, le juge des référés du
Con­seil d’Etat a con­sid­éré qu’il y avait, au-delà du seul héberge­ment, urgence à assur­er une prise
en charge effec­tive, pluridis­ci­plinaire et adap­tée d’une per­son­ne hand­i­capée lorsqu’une carence à
assur­er cette prise en charge entrain­erait des con­séquences graves pour la per­son­ne compte tenu
de son âge et de son état :
« Con­sid­érant que ces dis­po­si­tions imposent à l’E­tat et aux autres per­son­nes publiques chargées
de l’ac­tion sociale en faveur des per­son­nes hand­i­capées d’as­sur­er, dans le cadre de leurs
com­pé­tences respec­tives, une prise en charge effec­tive dans la durée, pluridis­ci­plinaire et adap­tée
à l’é­tat comme à l’âge des per­son­nes atteintes du syn­drome autis­tique ; que si une carence dans
l’ac­com­plisse­ment de cette mis­sion est de nature à engager la respon­s­abil­ité de ces autorités, elle
n’est sus­cep­ti­ble de con­stituer une atteinte grave et man­i­feste­ment illé­gale à une lib­erté

fon­da­men­tale, au sens de l’ar­ti­cle L. 521–2 du code de jus­tice admin­is­tra­tive, que si elle est
car­ac­térisée, au regard notam­ment des pou­voirs et des moyens dont dis­posent ces autorités, et si
elle entraîne des con­séquences graves pour la per­son­ne atteinte de ce syn­drome, compte tenu
notam­ment de son âge et de son état ; qu’en out­re, le juge des référés ne peut inter­venir, en
appli­ca­tion de cet arti­cle, que pour pren­dre des mesures jus­ti­fiées par une urgence par­ti­c­ulière et
de nature à met­tre fin immé­di­ate­ment ou à très bref délai à l’at­teinte con­statée ; (…) ».
Ain­si, il devra être fait injonc­tion au Départe­ment et sub­sidi­aire­ment au Préfet et la Ville de Mar­seille
de :
- Met­tre à l’abri les mineurs non accom­pa­g­nés présents au squat de Saint Just, le cas échéant
en procé­dant à toute réqui­si­tion utile de lieux hab­it­a­bles pour y héberg­er des per­son­nes
mineures et adap­tés aux exi­gences de la lutte con­tre l’épidémie de Covid-19 sur le ter­ri­toire,
- Met­tre en oeu­vre une prise en charge indi­vidu­elle, sociale, san­i­taire et éduca­tive adap­tée,
et ce, dans un délai de 48 heures à compter de la noti­fi­ca­tion de la déci­sion à inter­venir, et sous
astreinte de 500 € par jour de retard.

PAR CES MOTIFS

Enjoin­dre au Con­seil départe­men­tal et sub­sidi­aire­ment au Préfet des Bouch­es-du-Rhône et à la
Ville de Mar­seille, de met­tre à l’abri les mineurs non accom­pa­g­nés présents au squat de Saint Just,
le cas échéant en procé­dant à toute réqui­si­tion utile de lieux hab­it­a­bles pour y héberg­er des
per­son­nes mineures et adap­tés aux exi­gences de la lutte con­tre l’épidémie de Covid-19 sur le
ter­ri­toire,
Enjoin­dre au Con­seil départe­men­tal et sub­sidi­aire­ment au Préfet des Bouch­es-du-Rhône et à la
Ville de Mar­seille de met­tre en oeu­vre une prise en charge indi­vidu­elle, sociale, san­i­taire et
éduca­tive adap­tée,
et ce, dans un délai de 48 heures à compter de la noti­fi­ca­tion de la déci­sion à inter­venir, et sous
astreinte de 500 € par jour de retard.
Admet­tre le requérant à l’aide juri­dic­tion­nelle pro­vi­soire,
Con­damn­er la par­tie suc­com­bante, en ver­tu de l’ar­ti­cle L. 761–1 du code de jus­tice admin­is­tra­tive,
à vers­er à cha­cune des requérantes la somme de deux mille euros (2000,00 €).
Fait à Mar­seille
Pour les requérantes
Leurs Con­seils

LISTE DES PIÈCES

1. Liste pro­vi­soire des mineurs non accom­pa­g­nés recen­sés par des bénév­oles au sein du squat
de Saint Just le 6/04/2020
2. Statuts Médecins du Monde et man­dat aux fins de représen­ta­tion
3. Statuts Médecins Sans Fron­tières et man­dat aux fins de représen­ta­tion
4. Com­mu­niqué de presse de HRW du 26 mars 2020 sur la sit­u­a­tion des MNA à Mar­seille et à
Gap
5. Cour­ri­ers interas­so­ci­at­ifs du 28/02/2020 au Con­seil départe­men­tal et au Préfet des
Bouch­es-du-Rhône
6. Let­tre ouverte des asso­ci­a­tions au gou­verne­ment sur la sit­u­a­tion des MNA du 6/04/2020
7. Cap­ture d’écran du site inter­net de l’association ADDAP 13
8. Com­mu­niqué de presse du Col­lec­tif 58 Saint Just du 4/04/2020
9. Témoignage de bénév­oles inter­venant au squat Saint Just en date du 5/04/2020
10. Pho­togra­phies actuelles du squat
11. Com­mu­niqué de presse d’Adrien Taquet du 24 mars 2020 COVID-19 Pro­tec­tion de l’enfance
12. Let­tre de M. Adrien Taquet, secré­taire d’Etat à la Pro­tec­tion de l’Enfance, en date du
21/03/2020 adressée aux Président(e)s des Con­seils Départe­men­taux
13. Fiche Coro­n­avirus « Mise à l’abri et éval­u­a­tion sociale des per­son­nes se déclarant mineurs
non accom­pa­g­nés – Prise en charge des mineurs non accom­pa­g­nés con­fiés à l’ASE »
émanant du Min­istère de la Sol­i­dar­ité et de la San­té en date du 3/04/2020
14. Ordon­nance du TA de Besançon du 31/03/2020 n°2000570
15. Ordon­nance du TA de Mar­seille du 3/04/2020 n°2002809
16. Con­damna­tion de la France par la CEDH saisie sur le fonde­ment de l’article 39 en date du
31/03/2020 n°15/457/20

Pho­to UNE : crédit Col­lec­tif 59, Saint Just

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