557 0

En Syrie, le Covid-19 a com­mencé à se répan­dre. Selon le régime de Damas, 16 cas se sont révélés posi­tifs aboutis­sant à 3 décès. Cepen­dant, il est dif­fi­cile de véri­fi­er ces chiffres et d’avoir plus de détails sur la ges­tion de la pandémie dans les zones con­trôlées par le régime syrien. Dans le nord-ouest, la région d’I­dleb et l’ouest d’Alep, deux zones encore sous le con­trôle rebelle et de cer­tains groupes armés, sont pour l’in­stant épargnées par le virus. Plusieurs organ­i­sa­tions inter­na­tionales dont UOSSM, IRC, MSF (Médecins sans fron­tières) et l’OMS (Organ­i­sa­tion mon­di­ale de la San­té) met­tent en place des pro­to­coles dans les camps de déplacés, là où le con­fine­ment sera impos­si­ble.

Hakim Khal­di, le chef de mis­sion Syrie de Médecins sans fron­tières a répon­du aux ques­tions de 15–38 depuis Bey­routh :

Quel est le con­texte san­i­taire actuel au Nord-Ouest de la Syrie et com­ment y répon­dez-vous ?
HK : Jusqu’à début mars, en plus de l’aide médi­cale nous avons été pris par l’ur­gence des besoins pri­maires d’un mil­lion de per­son­nes qui se déplaçaient, à cause d’une offen­sive mil­i­taire débutée en décem­bre 2019 jusqu’au 5 mars suite à un cessez le feu (voir arti­cle). En plus des soins médi­caux on a dis­tribué des tentes, des cou­ver­tures, des kits d’hy­giène, des kits de cui­sine, des mate­las.

Aujour­d’hui, nous devons pren­dre des mesures  pour faire face au Covid car nous devons organ­is­er des zones de tri des per­son­nes et d’i­den­ti­fi­ca­tion, pro­téger notre per­son­nel avec du matériel adéquat. C’est un appro­vi­sion­nement sup­plé­men­taire qu’on doit faire par­venir en plus et dans le con­texte actuel où les pays adoptent des mesures pro­tec­tion­nistes sur le matériel médi­cal pour leur réponse nationale, cela com­plique encore plus les appro­vi­sion­nements en médica­ments, masques, gants. Il est donc dif­fi­cile de faire par­venir ce matériel dans le nord-ouest de la Syrie. La fron­tière avec la Turquie devient de plus en plus opaque.

De quel dis­posi­tif médi­cal dis­posez-vous ?

HK : On a le seul hôpi­tal qui traite les grands brûlés en zone rebelle car l’autre hôpi­tal qui soigne les brûlés dans la région est à Alep en zone gou­verne­men­tal et donc non acces­si­ble pour les pop­u­la­tions d’I­dleb. Un autre se trou­ve en Turquie. Jusqu’à récem­ment, on pou­vait trans­fér­er les cas les plus com­pliqués en Turquie mais avec le coro­n­avirus ce n’est plus pos­si­ble de faire pass­er ces per­son­nes. Nous dis­posons de 15 lits, les acci­dents sont nom­breux et touchent les mères de famille et les enfants brûlés par les poêles appro­vi­sion­nés avec du mazout de mau­vaise qual­ité.

La deux­ième réponse médi­cale de MSF c’est la mise en place de cen­tres de san­té pour les vic­times des offen­sives de cet hiv­er, dans 10 camps dif­férents. Aujour­d’hui, les prin­ci­pales patholo­gies sont les infec­tions res­pi­ra­toires liées à la sai­son print­anière. On a aus­si une clin­ique pour les patients atteints de mal­adies chroniques et tout l’en­jeu est de pou­voir con­tin­uer à appro­vi­sion­ner la clin­ique en traite­ments. On fait face à des rup­tures de stock et chaque mois c’est la lutte pour garan­tir les stocks pour nos patients. Là on peut tenir 3 mois mais si on ne peut plus le renou­vel­er dans les mois à venir cela va être com­pliqué.

La majorité des patients dans les camps de déplacés sont des femmes et des enfants.

On a aus­si dévelop­pé un parte­nar­i­at avec une ONG locale dans la région d’Afrin où il y a beau­coup de réfugiés car la zone est épargnée par les bom­barde­ments. Là-bas, on dis­pose de deux clin­iques qui cou­vrent 10 sites. Et on est en train de met­tre en place un camps pour 400 familles à Afrin avec ce parte­naire local.

Clin­ique mobile MSF, camps d’I­dleb. Mars 2020. Pho­to : Omar Hadj-Kad­dour/ MSF

Dis­posez-vous de suff­isam­ment de per­son­nel médi­cal en cas de crise et que met­tez-vous en place ?

HK : Oui, nous MSF dis­posons de 130 soignants, dont les médecins, exclu­sive­ment des Syriens et des Syri­ennes. Ce qui nous préoc­cupe c’est vrai­ment l’ap­pro­vi­sion­nement. Pour l’in­stant, 27 per­son­nes ont été testées dans la région d’I­dleb au lab­o­ra­toire cen­tral qui est le seul à dis­pos­er de kit PCR, les tests se sont révélés négat­ifs. Ce lab­o­ra­toire cen­tral est géré par la direc­tion de la san­té d’I­dleb qui est sup­porté par l’OMS. Pour l’in­stant, si nous avons des cas sus­pects, nous les envoyons au lab­o­ra­toire pour faire le test. Mais la pre­mière chose que nous avons mise en place c’est la pro­tec­tion de notre per­son­nel médi­cal. Nous les avons équipés en masques, gants, et entraînés. Pour l’in­stant nous sommes en capac­ité de soign­er le per­son­nel médi­cal s’ils sont infec­tés mais pas plus car nous n’avons pas assez de matériel et pour le moment nous n’ar­rivons pas à faire par­venir du matériel sup­plé­men­taire. 

Il faudrait que le cir­cuit de prise en charge soit disponible à Idleb c’est à dire une équipe qui est chargée de tester les cas sus­pects et de les emmen­er au lab­o­ra­toire cen­tral pour voir le résul­tat. Mais après cette procé­dure, aucune struc­ture ne peut pren­dre en charge les cas sévères, ceux qui néces­si­tent de l’oxygène par exem­ple. Nous avons des con­cen­tra­teurs d’oxygène pour les patients soignés dans notre hôpi­tal réservé aux brûlés mais on a fait le choix de main­tenir l’ac­tiv­ité pour les brûlés et on ne peut pas soign­er des cas de Covid dans cet hôpi­tal car ils risquent de con­t­a­min­er nos patients atteints de brûlures et les plus vul­nérables par rap­port à ce virus.

Il faut des lits de réan­i­ma­tion, et pour ça il faut des con­cen­tra­teurs d’oxygène et on n’a pas cela dans les autres dis­posi­tifs. Nos clin­iques mobiles sont mobil­isées aujour­d’hui pour faire de la sen­si­bil­i­sa­tion auprès des déplacés en dis­tribuant aux gens du savon, de la jav­el, de la poudre lessive et de la doc­u­men­ta­tion pour expli­quer les risques de con­t­a­m­i­na­tion par le virus, surtout dans les camps.

On a deux types de patients à Idleb : ceux qui ont une habi­ta­tion qui peu­vent s’ils sont con­t­a­m­inés rester dans une cham­bre. Le prob­lème se pose pour les gens qui sont dans les camps ; si on iden­ti­fie un cas sus­pect, il est impos­si­ble de dire à la per­son­ne de ren­tr­er et de s’isol­er donc cela risque d’être très com­pliqué. On s’y attend.

Avez-vous fait appel à des gou­verne­ments pour vous soutenir et essay­er de faire par­venir du matériel en Syrie ?

HK : On a fait un appel au gou­verne­ment turc pour faciliter les appro­vi­sion­nements. On attend une réponse, de même du côté de l’OMS car nous ne pou­vons pas répon­dre à ce type de men­ace san­i­taire s’il n’y a pas de réponse glob­ale. Pour les blessés de guerre, les grands brûlés, on peut le faire de façon indépen­dante. Mais dans un con­texte épidémique on ne peut pas agir seul. Il faut d’autres struc­tures qui pren­nent en charge les cas sévères. Nor­male­ment, et suite aux dis­cus­sions avec l’OMS trois hôpi­taux devraient être mis en place avec une capac­ité de 70 lits et ce spé­ciale­ment pour les cas sévères. MSF avait un plan égale­ment pour ouvrir une struc­ture de prise en charge pour les cas mod­érés mais cette struc­ture ne peut pas s’ou­vrir s’il n’y a pas la pré­con­di­tion d’ou­ver­ture de struc­tures pour les cas sévères. Il faut donc met­tre en place tout le sys­tème du pre­mier au dernier mail­lon de la chaîne. A ce stade, on n’est pas con­fi­ants, car cela met du temps à se met­tre en place. On attend de l’OMS un lieu d’isole­ment et trois hôpi­taux pour les cas sévères, et il faut que l’ap­pro­vi­sion­nement en matériel pour les patients atteints puis­sent être fait. Pour l’in­stant, ils essaient de faire venir du matériel.

Pour vous faire une idée de la sit­u­a­tion hors épidémie, le directeur de la san­té d’I­dleb a annon­cé cette année qu’il y avait 1 592 lits d’hos­pi­tal­i­sa­tion pour plus de 4 mil­lions d’habi­tants. Donc dans tous les cas il y a un manque de struc­tures médi­cales, on va devoir créer de nou­velles struc­tures en urgence.

Pour aller plus loin

Infos MSF dans le monde

La Syrie sera t‑elle livrée à elle-même? 

Plan d’ac­tion UOSSM

For­ma­tion médecins UOSSM

Clin­ique mobile MSF, camps Idleb, mars 2020. Pho­to : Omar Hadj-Kad­dour/ MSF
Camps en dur, région d’I­dleb, mars 2020. Pho­to : Omar Hadj-Kad­dour/ MSF
In this article