En France, un collectif grenoblois se mobilise pour loger de jeunes migrants

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A Greno­ble, le début du con­fine­ment fut mou­ve­men­té pour des jeunes majeurs étrangers et des per­son­nes sou­tiens, réu­nis en col­lec­tif pour faire val­oir leurs droits.

« Il est 9 heures ce fameux lun­di 16 mars, alors que jeunes majeurs et per­son­nes sou­tiens, sommes réu­nis devant la mairie de Greno­ble. Il a été con­venu en assem­blée générale la veille que nous devions nous rassem­bler pour deman­der des loge­ments vides à des­ti­na­tion des jeunes majeurs. Le con­fine­ment est annon­cé pour le lende­main, le mar­di 17 mars à midi. Il nous reste donc seule­ment une journée pour trou­ver des solu­tions de loge­ment aux normes san­i­taires pour une ving­taine de jeunes majeurs sans loge­ment. 

Pour com­pren­dre l’enjeu de ce lun­di 16 mars, il faut revenir un peu en arrière…

Cela fait 3 semaines que le col­lec­tif né en août 2019, se mobilise pour obtenir des loge­ments et l’ouverture de Con­trats Jeune Majeur ain­si que leur régu­lar­i­sa­tion. Les jeunes con­cernés sont plus d’une quar­an­taine à Greno­ble et ont entre 18 et 19 ans. Ils vien­nent du Mali, de Guinée, de Côte d’ivoire, tous sont sco­lar­isés dans des lycées en voie pro­fes­sion­nelle ou tech­nologique mais aus­si en cen­tre de for­ma­tion.
Arrivés mineurs en France, ils ont été pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) dans le départe­ment de l’Isère. Si leur accom­pa­g­ne­ment était loin d’être idéal, il leur a tout de même per­mis d’être sco­lar­isé et hébergé jusqu’à leur 18 ans. 

En France, le code de l’action sociale prévoit un dis­posi­tif, le con­trat jeune majeur, qui per­met d’accompagner jusqu’à 21 ans des jeunes majeurs pris en charge par l’aide sociale à l’enfance avant leur majorité en les accom­pa­g­nant vers l’autonomie, le temps de finir leur for­ma­tion. La philoso­phie du con­trat jeune majeur est sim­ple, c’est celle d’un père ou d’une mère qui ne met pas son enfant à la rue le jour de sa majorité mais l’accompagne jusqu’à ce qu’ils puisse se débrouiller seul. Toute­fois, ce dis­posi­tif est fac­ul­tatif et à la libre appré­ci­a­tion du Départe­ment. Cer­tains de ces 40 jeunes n’ont jamais pu sign­er ce con­trat le jour de leur majorité ; d’autres y ont eu droit pour quelques mois jusqu’à ce que bru­tale­ment le départe­ment de l’Isère déci­da de rompre plus de 70 con­trats jeunes majeurs au 31 août 2019. Bon nom­bre de jeunes dans notre col­lec­tif mobil­isé sont dans ce cas, et lut­tent pour faire recon­naître leurs droits. 

Avec l’appui de dif­férents col­lec­tifs mil­i­tants et asso­ci­a­tions, ils ont occupé une salle parois­siale pen­dant 2 semaines. Un vrai lieu de vie s’était créé avec les jeunes et les mil­i­tants, sou­tiens et voisins. Des repas col­lec­tifs, des assem­blées générales tous les jours à 17H30 pour décider des actions à men­er, de l’organisation de la vie col­lec­tive. Mais aus­si des mobil­i­sa­tions devant la pré­fec­ture et le Départe­ment. Depuis le 31 août, le col­lec­tif avait à de nom­breuses repris­es demandé à être reçu par le prési­dent du con­seil départe­men­tal ain­si que par le préfet. Ces deman­des sont restées let­tres mortes. Mais grâce à la pour­suite de la mobil­i­sa­tion, les jeunes ont pu être reçus par le directeur adjoint du pôle famille du Départe­ment et par la secré­taire générale de la pré­fec­ture.
Cette ren­con­tre n’a cepen­dant pas fait avancer le com­bat. 

Au terme de 2 semaines de mobil­i­sa­tions, rien n’a changé pour ces jeunes. Les locaux de la paroisse n’é­tant pas assurés pour du loge­ment, le diocèse nous demande de par­tir. Nous deman­dons une solu­tion de lieu sans quoi nous res­terons.
Le diocèse nous met à dis­po­si­tion une aumôner­ie dans un autre quarti­er, rue des vio­lettes pour 2 autres semaines, afin de per­me­t­tre au col­lec­tif, aux jeunes et aux sou­tiens, de con­tin­uer la lutte. Une autre vie col­lec­tive s’installe et le com­bat con­tin­ue .
Ven­dre­di 13 mars, les écoles et uni­ver­sités fer­ment. Les jeunes se retrou­vent donc 24H/24H rue des vio­lettes. Après 3 semaines de lutte quo­ti­di­enne, nous avions décidé que ce week-end était off pour le com­bat, le temps pour cha­cun de se repos­er un peu.
Dimanche 15 mars à 18H, se tient une réu­nion col­lec­tive. Nous devons agir vite, les médias com­men­cent à par­ler de con­fine­ment pour tous dès le mar­di.

L’héberge­ment dans l’aumôner­ie rue des Vio­lettes était unique­ment une solu­tion d’ur­gence mis à dis­po­si­tion par le diocèse. Il est trop petit pour assur­er notre sécu­rité face à l’épidémie, il n’y a même pas de douche, pas de gel hydroal­coolique, pas de masques. Les jeunes dor­ment dans un sous sol sans fenêtres, les lits col­lés les uns aux autres. Nous déci­dons que la nuit de dimanche à lun­di doit être la dernière nuit que l’on passe dans ce trou. Nous avons une journée pour trou­ver une solu­tion de loge­ment salu­bre pour tous ces jeunes.
Face au mépris et à l’ab­sence de réponse des per­son­nes com­pé­tentes que nous avons sol­lic­itées pour l’hébergement des jeunes majeurs, à savoir le Départe­ment et plus par­ti­c­ulière­ment pour l’hébergement d’urgence la direc­tion départe­men­tale de la cohé­sion sociale (la DDCS) ser­vice décon­cen­tré de l’Etat auprès du préfet, nous déci­dons d’aller nous rassem­bler dans la mairie de Greno­ble. Elle nous sem­ble être le dernier recours afin de met­tre à l’abri les jeunes majeurs en cette péri­ode de crise. 

Mal­gré une poli­tique du loge­ment très peu volon­tariste, le maire écol­o­giste de Greno­ble, Eric Piolle, ne cesse de com­mu­ni­quer dans les médias en faveur de l’accueil des migrants et de la sol­i­dar­ité. Mais à de nom­breuses repris­es pen­dant son man­dat, les mil­i­tants et asso­ci­at­ifs ont été déçus par son inac­tion (voir arti­cle Lundi­matin ). 

Cela fait cinq heures que nous sommes à la mairie de Greno­ble à atten­dre dés­espéré­ment une propo­si­tion de loge­ment d’ur­gence. Deux élus munic­i­paux vien­nent à notre ren­con­tre dont la vice-prési­dente à l’Habi­tat, au Loge­ment et à la Poli­tique fon­cière de la Métro­pole. Les jeunes majeurs réu­nis en col­lec­tif sont doré­na­vant armés face à ce dis­cours et leur deman­dent ce qu’il en est des loge­ments vides que la Mairie pour­rait réqui­si­tion­ner et met­tre à dis­po­si­tion des per­son­nes sans loge­ment. La réponse est déce­vante mais habituelle mal­heureuse­ment. Les deux élus munic­i­paux dis­ent être sol­idaires, chercher des solu­tions, mais que l’hébergement d’urgence n’est pas de leur com­pé­tence, mais celle de la DDCS au Départe­ment. 

Ironie du sort, au moment où la mairie écol­o­giste n’apporte aucune aide aux jeunes, le maire divers droite d’une petite com­mune de l’agglomération de Saint Ismi­er met à dis­po­si­tion un apparte­ment munic­i­pal pour 3 jeunes majeurs sur sa com­mune. Pour les autres jeunes, nous avons dû trou­ver des solu­tions par nous mêmes chez des par­ti­c­uliers et ce à 12 heures du début du con­fine­ment annon­cé. Mar­di 17 mars : en plus d’avoir dû pass­er une nou­velle nuit rue des vio­lette dans des con­di­tions insalu­bres,  le con­fine­ment com­mence et nous sommes con­traints d’organiser les dif­férents démé­nage­ments des jeunes et de con­tin­uer à trou­ver des solu­tions aux qua­tre coins de la ville. Inutile de rap­pel­er que les jeunes et les sou­tiens ont pris des risques toute la journée en s’ex­posant à la con­ta­gion du virus. Ceci n’est pas accept­able mais nous l’avons tout de même subit. A ce jour, aucun con­tact n’a été pris par la Mairie, le Départe­ment et la Pré­fec­ture pour se souci­er de la sit­u­a­tion san­i­taire et sociale de ces jeunes. »


Le col­lec­tif.

Pho­to : les mem­bres du col­lec­tif atten­dent la réponse de la mairie face à leur demande de loge­ment. @le col­lec­tif 

Si les asso­ci­a­tions et les per­son­nes volon­taires n’é­taient pas venues nous soutenir, nous seri­ons encore dans la rue pen­dant cette péri­ode de con­fine­ment”

Kouak­ou Olivi­er vient de Côte d’Ivoire, il vit à Greno­ble depuis plusieurs années, jusqu’à ses 18 ans, il a béné­fi­cié du con­trat jeune majeur, dis­posi­tif mis en place par le Départe­ment qui per­met aux jeunes mineurs étrangers d’ac­céder à une for­ma­tion pro­fes­sion­nelle tech­nologique et d’être hébergé au sein d’une famille d’ac­cueil. Mais dès sa majorité, la Pré­fec­ture a pronon­cé une oblig­a­tion de quit­ter le ter­ri­toire (OQTF) et rompu le con­trat, le lais­sant à la rue. Il fait par­tie d’un col­lec­tif qui réu­ni 40 jeunes majeurs et des per­son­nes sou­tiens, qui les ont aidés à trou­ver une solu­tion de loge­ment pour la péri­ode de con­fine­ment.

« Nous sommes une quar­an­taine de jeunes à Greno­ble dont une majorité aujour­d’hui ayant reçu une Oblig­a­tion de quit­ter le ter­ri­toire, l’O­QTF, dont des jeunes sco­lar­isés, qui suiv­ent une for­ma­tion pro­fes­sion­nelle et qui sont désor­mais à la rue. Le Départe­ment qui est cen­sé nous pro­téger et trou­ver une solu­tion d’héberge­ment, au con­traire, nous met à la rue.
On a for­mé ce col­lec­tif avec l’aide de l’as­so­ci­a­tion Droit au loge­ment, le DAL, et 45 asso­ci­a­tions qui se sont mobil­isées pour nous aider. Au début, on était seuls tous éparpil­lés dans la ville, on est vul­nérables dans la rue et cha­cun allait chercher des répons­es de son côté. Cer­tains comme moi allaient à l’é­cole, dor­maient dans la rue et on était seuls, on s’est réu­ni avec les jeunes pour être UN. Aujour­d’hui avec ce col­lec­tif et les gens venus nous soutenir, on pré­pare l’or­gan­i­sa­tion, on mange ensem­ble. On partage nos idées ensem­ble pour mieux avancer. Par­mi nous il y en a qui sont là depuis 4 ans d’autres moins, et chaque jeune a une his­toire dif­férente, un pays dif­férent, des dialectes dif­férents, de la Guinée, du Séné­gal, de la Côte d’Ivoire.

Ce col­lec­tif nous a per­mis de men­er des actions et de faire con­naître notre sit­u­a­tion à Greno­ble auprès des gens mais aus­si auprès du maire Eric Piolle, de l ‘évêque et des représen­tants de la Métro­pole en charge du loge­ment. Le maire, avant les dernières les élec­tions munic­i­pales, nous a répon­du qu’il attendait les élec­tions pour faire quelque chose pour nous, mais là il a été réélu au pre­mier tour et rien n’a changé. Nous étions pour­tant à l’Hôtel de Ville juste après l’an­nonce du début du con­fine­ment, le lun­di 16 mars, il n’est même pas descen­du nous voir, c’est une délé­ga­tion de deux per­son­nes dont Chris­tine Granier (vice prési­dente déléguée à l’habi­tat et au fonci­er à la Métro­pole) et on lui a posé la ques­tion « vous avez des loge­ments vides » elle nous a répon­du non et qu’elle n’est pas la seule à décider et que c’é­tait aus­si au préfet de décider et le Départe­ment. Elle nous a donc ren­voyés vers les autres. Mais on a avancé le fait que là il s’agis­sait d’une urgence et du début du con­fine­ment. Mais après nous avoir dit qu’ils étu­di­aient notre cas et qu’ils reviendraient nous voir, nous avons atten­du en vain, ils ne sont jamais redescen­dus nous voir. Donc si les gens mobil­isés n’avaient pas été là pour nous trou­ver des loge­ments, nous seri­ons encore à la rue ou malade du virus parce qu’on serait resté entassé dans la salle prêtée par l’Eglise et on aurait pu se con­t­a­min­er. On espère tou­jours qu’après le con­fine­ment, ils fer­ont quelque chose comme l’a dit Eric Piolle pen­dant sa cam­pagne pour les munic­i­pales mais pour l’in­stant il n’a pas don­né de nou­velles comme prévu.

Pour la pré­fec­ture c’est pareil, on leur a demandé pourquoi vous ne faites rien pour nous, on ne sait pas. On s’est demandé si on avait fait quelque chose de mal aux Français, on ne sait pas, ils nous ont répon­du que non. Alors pourquoi on se retrou­ve dans l’obligation de quit­ter le ter­ri­toire alors qu’on est sco­lar­isé au Lycée ? On respecte les cou­tumes français­es, mais ils ne nous répon­dent pas. Ils restent bouche bée comme le Départe­ment. Et aucun des côtés n’a bougé.


Allez-vous con­tin­uer ce com­bat pour vos droits ?

On ne baisse pas les bras à chaque refus, ou absence de réponse mais il y en a par­mi nous qui pren­nent déjà beau­coup de coups au quo­ti­di­en donc morale­ment si nous n’avions pas de sou­tiens nous auri­ons aban­don­né il y a longtemps.
C’est dur, c’est dur, comme ceux qui ont fini leur con­trat d’ap­pren­tis­sage et on leur dit aujour­d’hui de quit­ter le ter­ri­toire.
Le Départe­ment a mis fin à nos con­trats jeune majeur en dis­ant qu’on a des con­tacts avec nos par­ents et nos mères. Il me sem­ble qu’on a le droit d’ap­pel­er au moins une fois en 6 mois la per­son­ne qui nous a mis au monde. Moi cela fait un an et 6 mois que je n’ai pas par­ler ma mère et elle n’a pas de télé­phone, c’est un ami que je con­tacte via face­book qui va ensuite pass­er le télé­phone à ma maman mais qui habite loin dans un petit vil­lage.

Moi je n’ai plus ce con­trat jeune majeur depuis 4 mois, jour de mes 18 ans. Le départe­ment m’a dit d’aller à la pré­fec­ture pour deman­der un titre de séjour ou un récépis­sé avec autori­sa­tion de tra­vailler mais c’est rare, et au moment de la déci­sion un mois plus tard ils m’ont don­né une oblig­a­tion de quit­ter le ter­ri­toire : OQTF. Le Départe­ment nous demande de quit­ter la famille au bout de tant de temps ce qui rompt le con­trat Jeune Majeur. Et je me suis trou­vé ain­si à la rue, SDF depuis bien­tôt 4 mois alors que je n’ai pas ter­miné mes études. Ce con­trat aurait pu aller jusqu’à mes 21 ans comme le prévoit la loi mais le Départe­ment dit qu’ils ont trop de charges et ne peu­vent plus financer la famille d’ac­cueil.

Je ne com­prends vrai­ment pas les réac­tions du Départe­ment et de la Pré­fec­ture, on dirait même qu’ils veu­lent qu’on se retrou­ve à la rue et qu’on aie aucun avenir. On espère un jour obtenir quelque chose de la pré­fec­ture ou du Départe­ment car on est nom­breux dans cette lutte et il va y en avoir encore d’autres car après le con­fine­ment et l’épidémie cer­tains con­trats vont être rom­pus avec le Départe­ment.

Où logez-vous pen­dant cette péri­ode de con­fine­ment ?

Là pour l’in­stant ici je suis con­finé dans un apparte­ment prêté par un des jeunes qui nous sou­tient.
Les per­son­nes du col­lec­tif se cotisent et nous appor­tent des vivres, et on nous dirige aus­si vers le 115 qui dis­tribue à manger mais c’est loin et il y a du monde. Donc on ne sait pas com­ment on va remerci­er les gens qui nous aident aujour­d’hui. Car depuis le départ c’est eux qui s’oc­cu­pent de nous. Ils nous don­nent de la joie, et si on avait été isolés…ils sont humains, ils parta­gent les repas avec nous (avant le con­fine­ment). Quand on quitte son pays, et que des gens nous ten­dent la main, je n’ou­blierai jamais ça. Même si on a pas gag­né la bataille on va con­tin­uer, car grâce à eux on con­nait nos droits et on va essay­er de les obtenir. »


Pho­tos : Le Col­lec­tif

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