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Pour soutenir les mil­lions de man­i­fes­tants en Algérie, des col­lec­tifs se créent dans des villes en France où la dias­po­ra algéri­enne est présente.

Ils répon­dent chaque dimanche aux man­i­fes­ta­tions se déroulant le ven­dre­di en Algérie. Ces mil­i­tants font par­tis de col­lec­tifs en faveur d’une tran­si­tion démoc­ra­tique en Algérie. “On en a marre de ce sys­tème mafieux, c’est pour ça que nous descen­dons dans la rue”, s’indigne Nac­er mem­bre du groupe lil­lois Col­lec­tif de sol­i­dar­ité avec la lutte du peu­ple algérien. Nac­er de Lille, comme Asmaa du Col­lec­tif Algérie Toulouse, Aziz du Col­lec­tif pour une alter­na­tive démoc­ra­tique et sociale en Algérie — Mar­seille, ou Soad de l’Alliance des démoc­rates de la dias­po­ra algéri­enne (ADDA) à Paris, s’organisent. Ils ten­tent d’être des relais du Hirak, le mou­ve­ment pour une tran­si­tion démoc­ra­tique en Algérie. Il y a là bas “des man­i­fes­ta­tions excep­tion­nelles. On a jamais vu ça, un mou­ve­ment paci­fique qui organ­ise des man­i­fes­ta­tions chaque semaine. Et plus le temps passe, plus les man­i­fes­tants sont nom­breux. En sep­tem­bre nous avons dépassé les 20 mil­lions de per­son­nes dans la rue selon les organes de presse en Algérie”, déclare Aziz.

Une mobil­i­sa­tion con­stante

Pour par­venir à faire enten­dre la voix du peu­ple algérien en France, les dif­férents groupes se mobilisent : “A Mar­seille, nous faisons des man­i­fes­ta­tions chaque dimanche, et nous avons une émis­sion chaque ven­dre­di sur Radio Galère”, décrit Aziz, tan­dis qu’Asmaa à Toulouse explique : “Nous avons fait quelques réu­nions, des con­certs de musique algéri­enne. Nous avons aus­si organ­isé des man­i­fes­ta­tions sur la place du Capi­tole le dimanche mais quand on se rend devant le con­sulat, les gens ont peur de se faire iden­ti­fi­er. Ils pensent qu’ils auront des prob­lèmes quand ils voudront aller au bled”.

Vieux-Port — Mar­seille — 2019

Des craintes con­fir­mées par Nac­er qui con­fie : “À Lille, on fait des man­i­fes­ta­tions chaque week­end pour rassem­bler le plus de monde. Par­fois, on va devant le con­sulat pour crier notre mécon­tente­ment, mais les gens ont peur d’être iden­ti­fiés par le con­sulat.”

Entre autonomie locale et coor­di­na­tion (inter)nationale

Si les col­lec­tifs des dif­férentes villes mènent des actions de manière autonome, cela ne les empêche pas de se coor­don­ner. Soad et l’ADDA à Paris ten­tent de regrouper les dif­férents groupes en France (et égale­ment ailleurs dans le monde). “La com­mé­mora­tion du 5 octo­bre 1988 est une date impor­tante pour les Algériens. Des man­i­fes­tants avaient ten­té à l’époque de faire bouger les choses avec des man­i­fes­ta­tions con­tre le par­ti unique, et cela avait provo­qué des affron­te­ments avec l’armée, engen­drant la mort de 500 civils. Pour mar­quer le coup, nous avons coor­don­né une action où les col­lec­tifs dans les dif­férentes villes ont défilé avec des pan­car­tes des pris­on­niers poli­tiques d’aujourd’hui pour se rap­pel­er des morts d’hier ”.

Vieux-Port — Mar­seille — 2019

Au delà des man­i­fes­ta­tions aux dates sym­bol­iques, d’autres formes de coor­di­na­tion s’opèrent. “Les dig­ni­taires du régime sont cor­rom­pus et se ser­vent de l’argent des Algériens. Nous avons besoins de savoir com­bi­en d’argent ils ont volé et où ils le cachent. Nous voulons men­er une exper­tise afin de con­naître ces mon­tants grâce à des mem­bres de la com­mu­nauté algéri­enne en France ou ailleurs”, indique Aziz. Car les mil­i­tants sont dis­per­sés dans plusieurs pays. “La dias­po­ra algéri­enne est présente égale­ment au Cana­da, aux États-Unis, mais aus­si en Angleterre. Nous, Algériens de France, nous ne sommes pas isolés dans le sou­tien à nos proches restés au pays”, sou­tient Soad.

Une com­mu­nauté algéri­enne partagée

Si les mil­i­tants restent ent­hou­si­astes, mobilis­er reste par­fois dif­fi­cile. “Au début nous étions beau­coup, mais avec le temps nous sommes de moins en moins nom­breux. A Paris, il faudrait qu’on organ­ise davan­tage d’actions dans les quartiers pop­u­laires afin de faire venir les Algériens vivant dans ces zones là”, explique Soad. Même son de cloche à Mar­seille : “En févri­er, les gens étaient très mobil­isés, mais le mou­ve­ment s’es­souf­fle un peu. Les gens sont passés à autre chose notam­ment à cause de la médi­ati­sa­tion des nom­breuses man­i­fes­ta­tions qui se déroulent dans d’autres villes et pays, comme à Hong Kong. Si le jour­nal de 20h par­lait plus de l’Algérie je suis sûr qu’on aurait plus de monde” affirme Aziz. Dans ces qua­tre villes, Lille, Toulouse, Mar­seille et Paris, les com­mu­nautés algéri­ennes sont divisées entre des mil­i­tants en faveur de la tran­si­tion démoc­ra­tique, ceux qui n’agissent pas et les sou­tiens au gou­verne­ment. Si cer­tains n’osent pas bouger par peur des repré­sailles, Nac­er avance un autre argu­ment : “par­mi ceux qui ne se mobilisent pas, on trou­ve des gens qui atten­dent de voir com­ment les choses évolu­ent avant de se pronon­cer, d’autres déclar­ent : ‘l’Algérie ne m’a rien don­né’. Ils ne se sen­tent pas con­cernés. Il y a aus­si ceux, surtout des gens mar­qués par la décen­nie noire, qui pensent que la sit­u­a­tion est grave parce que ça rend le pays frag­ile et pos­si­ble­ment insta­ble”. Enfin il y a ceux qui se posi­tion­nent en faveur du régime et reçoivent une sou­tien financier pour cela, comme l’explique Nac­er : “Les asso­ci­a­tions d’Algériens de Lille qui affichent un sou­tien au gou­verne­ment peu­vent touch­er des sub­ven­tions et sont invités à des réu­nions au con­sulat.”

Les man­i­fes­tants gar­dent pour­tant une moti­va­tion intacte : “On con­tin­uera jusqu’au bout, comme les man­i­fes­tants en Algérie qui ont scan­dé qu’ils man­i­fes­terons jusqu’au 12 décem­bre, le jour des élec­tions”, affirme un mil­i­tant aux côtés d’Asmaa à Toulouse. Il con­clut en expli­quant un brin pes­simiste : “A par­tir du 12 décem­bre, on ren­tr­era dans l’inconnu : ou bien le gou­verne­ment pli­era, ou bien il y aura une répres­sion très vio­lente, avec les chars dans Alger. Et là, on sera repar­ti pour encore 50 ans de gou­verne­ment mil­i­taire… si seule­ment le quai d’Orsay ou un grand média français pou­vait pren­dre posi­tion !”

Lucien d’Armagnac

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