Pour soutenir les millions de manifestants en Algérie, des collectifs se créent dans des villes en France où la diaspora algérienne est présente.
Ils répondent chaque dimanche aux manifestations se déroulant le vendredi en Algérie. Ces militants font partis de collectifs en faveur d’une transition démocratique en Algérie. “On en a marre de ce système mafieux, c’est pour ça que nous descendons dans la rue”, s’indigne Nacer membre du groupe lillois Collectif de solidarité avec la lutte du peuple algérien. Nacer de Lille, comme Asmaa du Collectif Algérie Toulouse, Aziz du Collectif pour une alternative démocratique et sociale en Algérie — Marseille, ou Soad de l’Alliance des démocrates de la diaspora algérienne (ADDA) à Paris, s’organisent. Ils tentent d’être des relais du Hirak, le mouvement pour une transition démocratique en Algérie. Il y a là bas “des manifestations exceptionnelles. On a jamais vu ça, un mouvement pacifique qui organise des manifestations chaque semaine. Et plus le temps passe, plus les manifestants sont nombreux. En septembre nous avons dépassé les 20 millions de personnes dans la rue selon les organes de presse en Algérie”, déclare Aziz.
Une mobilisation constante
Pour parvenir à faire entendre la voix du peuple algérien en France, les différents groupes se mobilisent : “A Marseille, nous faisons des manifestations chaque dimanche, et nous avons une émission chaque vendredi sur Radio Galère”, décrit Aziz, tandis qu’Asmaa à Toulouse explique : “Nous avons fait quelques réunions, des concerts de musique algérienne. Nous avons aussi organisé des manifestations sur la place du Capitole le dimanche mais quand on se rend devant le consulat, les gens ont peur de se faire identifier. Ils pensent qu’ils auront des problèmes quand ils voudront aller au bled”.
Des craintes confirmées par Nacer qui confie : “À Lille, on fait des manifestations chaque weekend pour rassembler le plus de monde. Parfois, on va devant le consulat pour crier notre mécontentement, mais les gens ont peur d’être identifiés par le consulat.”
Entre autonomie locale et coordination (inter)nationale
Si les collectifs des différentes villes mènent des actions de manière autonome, cela ne les empêche pas de se coordonner. Soad et l’ADDA à Paris tentent de regrouper les différents groupes en France (et également ailleurs dans le monde). “La commémoration du 5 octobre 1988 est une date importante pour les Algériens. Des manifestants avaient tenté à l’époque de faire bouger les choses avec des manifestations contre le parti unique, et cela avait provoqué des affrontements avec l’armée, engendrant la mort de 500 civils. Pour marquer le coup, nous avons coordonné une action où les collectifs dans les différentes villes ont défilé avec des pancartes des prisonniers politiques d’aujourd’hui pour se rappeler des morts d’hier ”.
Au delà des manifestations aux dates symboliques, d’autres formes de coordination s’opèrent. “Les dignitaires du régime sont corrompus et se servent de l’argent des Algériens. Nous avons besoins de savoir combien d’argent ils ont volé et où ils le cachent. Nous voulons mener une expertise afin de connaître ces montants grâce à des membres de la communauté algérienne en France ou ailleurs”, indique Aziz. Car les militants sont dispersés dans plusieurs pays. “La diaspora algérienne est présente également au Canada, aux États-Unis, mais aussi en Angleterre. Nous, Algériens de France, nous ne sommes pas isolés dans le soutien à nos proches restés au pays”, soutient Soad.
Une communauté algérienne partagée
Si les militants restent enthousiastes, mobiliser reste parfois difficile. “Au début nous étions beaucoup, mais avec le temps nous sommes de moins en moins nombreux. A Paris, il faudrait qu’on organise davantage d’actions dans les quartiers populaires afin de faire venir les Algériens vivant dans ces zones là”, explique Soad. Même son de cloche à Marseille : “En février, les gens étaient très mobilisés, mais le mouvement s’essouffle un peu. Les gens sont passés à autre chose notamment à cause de la médiatisation des nombreuses manifestations qui se déroulent dans d’autres villes et pays, comme à Hong Kong. Si le journal de 20h parlait plus de l’Algérie je suis sûr qu’on aurait plus de monde” affirme Aziz. Dans ces quatre villes, Lille, Toulouse, Marseille et Paris, les communautés algériennes sont divisées entre des militants en faveur de la transition démocratique, ceux qui n’agissent pas et les soutiens au gouvernement. Si certains n’osent pas bouger par peur des représailles, Nacer avance un autre argument : “parmi ceux qui ne se mobilisent pas, on trouve des gens qui attendent de voir comment les choses évoluent avant de se prononcer, d’autres déclarent : ‘l’Algérie ne m’a rien donné’. Ils ne se sentent pas concernés. Il y a aussi ceux, surtout des gens marqués par la décennie noire, qui pensent que la situation est grave parce que ça rend le pays fragile et possiblement instable”. Enfin il y a ceux qui se positionnent en faveur du régime et reçoivent une soutien financier pour cela, comme l’explique Nacer : “Les associations d’Algériens de Lille qui affichent un soutien au gouvernement peuvent toucher des subventions et sont invités à des réunions au consulat.”
Les manifestants gardent pourtant une motivation intacte : “On continuera jusqu’au bout, comme les manifestants en Algérie qui ont scandé qu’ils manifesterons jusqu’au 12 décembre, le jour des élections”, affirme un militant aux côtés d’Asmaa à Toulouse. Il conclut en expliquant un brin pessimiste : “A partir du 12 décembre, on rentrera dans l’inconnu : ou bien le gouvernement pliera, ou bien il y aura une répression très violente, avec les chars dans Alger. Et là, on sera reparti pour encore 50 ans de gouvernement militaire… si seulement le quai d’Orsay ou un grand média français pouvait prendre position !”