949 0

Depuis mars 2018, des mil­liers de Gaza­ouis man­i­fes­tent presque chaque ven­dre­di à la fron­tière avec Israël, dans le cadre de la “Marche du retour” (1). Encour­agés par le Hamas (2) au pou­voir à Gaza, ils appel­lent à la lev­ée du blo­cus sur l’enclave pales­tini­enne et au retour des réfugiés dans les ter­res per­dues lors de la Nak­ba (3), en 1948. Ces man­i­fes­ta­tions sont le symp­tôme vis­i­ble d’une pop­u­la­tion à bout de souf­fle. Der­rière les bar­belés qui sépar­ent Israël de la Bande de Gaza, depuis la mise en place du blo­cus il y a 12 ans, 2 mil­lions de per­son­nes sont con­finées dans une prison à ciel ouvert. Selon les Nations Unies, si aucune mesure d’ampleur n’est prise, Gaza devien­dra inviv­able en 2020 (4).

A l’Est de Gaza city, des cen­taines de man­i­fes­tants sont amassés le long de la fron­tière avec Israël. Par dizaines, ils lan­cent des pier­res en direc­tion du ter­ri­toire israélien et ten­tent de touch­er la bar­rière frontal­ière. De l’autre côté, des sol­dats israéliens obser­vent la scène der­rière un talus de terre. Leurs gaz lacry­mogènes fusent régulière­ment en direc­tion de la man­i­fes­ta­tion. Toutes les dix min­utes, un coup de feu éclate, des sec­ouristes pales­tiniens accourent, un man­i­fes­tant est touché par balle. L’objectif des sol­dats : repouss­er les Gaza­ouis à tout prix. Mais face à eux, les Pales­tiniens n’ont qu’une aspi­ra­tion, comme l’affirme un man­i­fes­tant : “sor­tir de Gaza”.

A Gaza, la lib­erté s’arrête au pied du mur

Ces scènes se répè­tent qua­si­ment tous les ven­dredis depuis le 30 mars 2018. Ceux qui pren­nent les plus gros risques sont sou­vent mineurs. Ils ont gran­di avec le blo­cus, coincés dans un ter­ri­toire de 40 kilo­mètres sur 10. Mar­qués par les guer­res suc­ces­sives entre le Hamas et Israël (5), vivant dans la peur con­stante de se retrou­ver à la rue après un bom­barde­ment israélien, ils rêvent tous de franchir cette fron­tière imper­méable, l’une des mieux pro­tégées au monde. C’est le cas de Rida, 16 ans. Comme la majorité des Gaza­ouis (6), elle a le statut de réfugiée. “Orig­i­naire de Jaf­fa”, elle souhaite “retourn­er sur les ter­res famil­iales per­dues en 1948 (7)”. Mais le blo­cus ter­restre, aérien (8) et mar­itime (9) instau­ré en 2007 après l’arrivée au pou­voir du Hamas a mis un coup d’arrêt à la lib­erté de cir­cu­la­tion. Chercher du tra­vail hors de Gaza, ren­dre vis­ite à des proches en Cisjor­danie, voy­ager à l’étranger, des actions qua­si­ment impos­si­bles aujourd’hui. Israël — et dans une moin­dre mesure l’Egypte — empêche qua­si­ment tous mou­ve­ments entrants et sor­tants de l’enclave.

Isolés du reste du monde, cer­tains Gaza­ouis sont prêts à pren­dre des risques pour sor­tir de la Bande de Gaza. Mohamed, 15 ans, a été “blessé par balle alors qu’il ten­tait de couper la bar­rière frontal­ière”. Aujourd’hui soigné dans un dis­pen­saire de Médecins sans fron­tières, l’adolescent con­fie que sa sit­u­a­tion est cri­tique. Son père, “au chô­mage, ne parvient pas à sub­venir aux besoins famil­i­aux”. Les dernières années, des dizaines de Gaza­ouis ont ten­té, comme lui, de franchir la fron­tière en cas­sant la bar­rière, sou­vent pour aller chercher du tra­vail en Israël ou en Cisjor­danie.

Mohammed, un ado­les­cent pales­tinien blessé par balle. 16 mai 2019 à Gaza City dans un dis­pen­saire de Médecins sans fron­tières.

Il n’y a pas d’avenir à Gaza”

Au plus fort de la mobil­i­sa­tion, 10 000 protes­tataires se réu­nis­sent, sur une pop­u­la­tion totale de deux mil­lions. La plu­part des Gaza­ouis restent donc chez eux, mais ils n’aspirent pas moins à plus de lib­erté. C’est le cas d’Ameed (10), 23 ans. Au-dessus de sa mai­son famil­iale, à Beit Lahia (Nord de la Bande de Gaza), le son des avions mil­i­taires israéliens éclate tous les quarts d’heure. En fond, un vrom­bisse­ment en con­tinu. “Les drones israéliens ne s’arrêtent jamais” affirme Ameed, “ils vibrent con­stam­ment dans nos têtes”. Même sans voir les bar­belés qui entourent Gaza, le sen­ti­ment d’enfermement est omniprésent.

Récem­ment diplômé d’un Mas­ter en ingénierie, Ameed n’est jamais sor­ti de l’enclave pales­tini­enne. Son rêve, “par­tir en Europe. Il n’y a pas d’avenir à Gaza”. Out­re le dan­ger des frappes israéli­ennes, la plu­part des Gaza­ouis veu­lent fuir à cause du manque de per­spec­tives économiques. Dans l’enclave pales­tini­enne, 54 % de la pop­u­la­tion active et 70 % de jeunes sont au chô­mage. L’effondrement de l’économie s’explique prin­ci­pale­ment par l’embargo imposé sur l’enclave.

Les Pales­tiniens doivent aus­si vivre sous le con­trôle du Hamas. Le frère d’Ameed, Bilal, s’insurge : “Depuis qu’il est arrivé au pou­voir, le Hamas a plongé Gaza dans le noir ! Plus d’endroits où sor­tir, rien pour nous amuser ! Nous devons vivre selon les principes religieux du par­ti. Ce n’est pas le pire : il fait régn­er la peur ! Les Gaza­ouis n’osent pas dire ce qu’ils pensent !” En mars dernier, plusieurs man­i­fes­ta­tions con­tre la vie chère à Gaza ont été vio­lem­ment réprimées par le Hamas.

Par­tir à tout prix

Pour les can­di­dats au départ, le tick­et de sor­tie est cher : “il faut compter 1 000 dol­lars pour aller en Egypte” selon Bilal, “et encore, si le check­point de Rafah est ouvert” (check­point situé au sud de la Bande de Gaza, point de pas­sage entre le ter­ri­toire pales­tinien et l’Egypte, ndlr). Une fois sur le ter­ri­toire égyp­tien, cer­tains ten­tent la périlleuse tra­ver­sée de la Méditer­ranée. En 2018, la moitié des Gaza­ouis par­tis en Egypte ne sont jamais ren­trés à Gaza. L’autre alter­na­tive est Israël. Une poignée de Gaza­ouis obti­en­nent des per­mis d’entrées et cer­tains en prof­i­tent pour ne jamais revenir.
Pour ceux qui doivent rester dans l’enclave pales­tini­enne, la lib­erté, Hourieh (حرية) en arabe, est une chimère. Elle n’est plus qu’un mot tagué dans les rues de Gaza.

1 Organ­isée chaque année pour com­mé­mor­er la Nak­ba. En 2018, pour le 70ème anniver­saire de l’exode pales­tinien, elle a débuté le 30 mars, “Journée de la terre” pour les Pales­tiniens.

2 Les man­i­fes­ta­tions heb­do­madaires, si elles sont générées en grande par­tie par le dés­espoir des Gaza­ouis, sont aus­si en grande par­tie sus­citées et con­trôlées étroite­ment par le Hamas, voire inter­dite par ce dernier selon les cir­con­stances.

3 “Cat­a­stro­phe” en français, la Nak­ba com­mé­more l’exil de cen­taines de mil­liers de Pales­tiniens d’Israël vers les ter­ri­toires occupés ou les pays voisins.

4 Depuis le début de la mobil­i­sa­tion, plus de 270 Pales­tiniens et un Israélien ont été tués https://www.unrwa.org/userfiles/file/publications/gaza/Gaza%20in%202020.pdf

5 2008 : Opéra­tion “Plomb dur­ci” ; 2012 : Opéra­tion “Pili­er de défense” ; 2014 : Opéra­tion “Bor­dure pro­tec­trice”

6 « UNRWA in Fig­ures » [archive], sur http://www.unrwa.org [archive], 1er jan­vi­er 2014 (con­sulté le 6 jan­vi­er 2015)

7 La guerre de 1948, ou guerre israé­lo-arabe, a mené à la créa­tion de l’Etat d’Israël et a don­né nais­sance au prob­lème des réfugiés pales­tiniens, suite à la “Nak­ba” (“cat­a­stro­phe” en français), l’exode pales­tinien de 1948.

8 Inau­guré en 1998, le pre­mier aéro­port pales­tinien, sym­bole de la sou­veraineté pales­tini­enne, per­me­t­tait aux pales­tinien de se déplac­er hors des ter­ri­toires. Détru­it en par­tie en 2001 (Sec­onde intifa­da) par l’aviation israéli­enne, il devient un champ de ruine en 2006 : https://www.la-croix.com/Monde/Gaza-espoirs-Oslo-enfouis-ruines-aeroport-international-2018–09-12–1300968131

9 Au gré des ten­sions des fac­tions pales­tini­ennes locales, l’Etat hébreu réduit régulière­ment la zone de cir­cu­la­tion accordée aux pêcheurs gaza­ouis : http://www.rfi.fr/moyen-orient/20190613-gaza-zone-peche-fermee-marine-israelienne-tirs

10 Son nom a été mod­i­fié.

Texte et photos : Inès Gil
Photo de Une : Manifestation de la commémoration de la Nakba le 15 mai 2019.

Cet article, comme tous les articles publiés dans les dossiers de 15–38, est issu du travail de journalistes de terrain que nous rémunérons.

15–38 est un média indépen­dant. Pour financer le tra­vail de la rédac­tion nous avons besoin du sou­tien de nos lecteurs ! Pour cela vous pou­vez devenir adhérent ou don­ner selon vos moyens. Mer­ci !

In this article