L’Atelier des Jeunes Citoyens et Citoyennes de la Méditerranée (AJCM) a vocation à faire découvrir des initiatives de jeunes méditerranéens qui changent les choses dans leur pays et s’engagent pour le développement durable. A Tunis, Vélorution, une association créée il y a moins de 2 ans, tente de développer l’utilisation du deux roues sur les routes de la jeune démocratie.
Tous les dimanches matins, le jardin japonais, près du centre de Tunis, accueille un drôle de trafic. On s’y échange casques, vélos et conseils. Créée en novembre 2017, l’association Vélorution propose des cours hebdomadaires pour apprendre à manier la bicyclette. Une façon de promouvoir un moyen de locomotion doux dans un pays où la voiture – pour ceux qui en ont les moyens — est reine.
En ce dimanche de mars, l’atmosphère est joyeuse. Samia Chatti en est à son troisième cours. Elle avoue : « Je viens aussi pour l’ambiance. Regardez ces jeunes, c’est beau de les voir s’engager comme cela. » Ce jour-là, ils sont en effet plusieurs à se démener. Gestion des vélos, réparations légères, accueil des nouveaux arrivants et cours : les jeunes bénévoles sont majoritaires. Kaouther Laadhibi est formatrice. A 26 ans, la jeune femme est entrée à Vélorution par amour du deux-roues. « Je suis une sportive. J’ai mon permis, mais je me déplace beaucoup à vélo, par exemple pour aller au travail. A cause de l’encombrement de l’espace public et de la pollution, je trouve une certaine facilité à faire du vélo », explique-t-elle.
Pendant que certains reçoivent leur cours, d’autres attendent en discutant. Les nouveaux venus, eux, se précipitent littéralement pour payer leur cotisation. Les places sont rares : sur les 450 inscrits à la vélo-école, 100 ont terminé, 120 sont en cours de formation… Les autres attendent. Leurs profils sont variés. On croise un enfant de 3 ans qui cherche encore son équilibre sans roulette, des adolescents, quelques hommes et des femmes adultes. Ces dernières sont majoritaires. Beaucoup n’ont pas eu la chance d’apprendre à faire du vélo dans leur enfance. C’est le cas de Khadija Rammah. L’enseignante universitaire a commencé les cours en mars 2018 : « Enfant, on me disait que le vélo n’était pas un jeu pour les filles. C’était devenu un rêve pour moi. J’ai fini par l’oublier, mais quand j’ai découvert l’existence de Vélorution alors que je cherchais un loisir, je me suis dit : « c’est ça qu’il me faut ! » ». Aujourd’hui, la quadragénaire est elle-même devenue formatrice.
Samia Chatti, elle, savait déjà pédaler mais ne se sentait pas à l’aise : « Je faisais rarement du vélo. Une fois, lors d’un voyage, j’ai retardé tout le groupe », explique-t-elle. Aujourd’hui, elle cherche à investir dans une bicyclette pour, pourquoi pas un jour, se rendre au travail en vélo : « Il faut que j’y réfléchisse. Je ne me sens pas encore à l’aise hors du parc. » Ça tombe bien, ce dimanche, elle apprendra à lever une main du guidon pour indiquer sa direction.
L’écologie et l’environnement reviennent souvent dans les discussions. En Tunisie, où les transports publics sont peu développés et les embouteillages récurrents, la bicyclette est encore loin d’avoir trouvé sa place sur les routes. Vélorution a signé le 15 mars avec la mairie de l’Ariana, dans le grand Tunis, un partenariat pour créer une piste cyclable de 3 kilomètres. Une première dans une ville tunisienne. Jusqu’à présent, seules les zones touristiques ou les parcours de santé dans les parcs disposaient de pistes cyclables. « Le vélo a une influence sur le climat », assure Ameni Souelmia, une militante de 22 ans. « La pollution est catastrophique à Tunis. J’ai lu récemment dans un article que 400 personnes étaient décédées en 2015 à cause de la pollution. Chaque année, il y a des feux à Jendouba, Ain Draham (nord-ouest de la Tunisie, ndlr). Le CO2 aggrave ces risques d’incendie. » Ahlem Turki, 32 ans, renchérit : « On est peut-être meilleur que certains des pays du grand Maghreb, mais nous sommes très en retard sur la question au sein de la région méditerranéenne. »
Le sujet a également une dimension sociale. Ameni Souelmia, par exemple, avait arrêté de faire du vélo avant de rejoindre l’association : « Parfois, je me faisais insulter. Les gens disaient qu’une fille à vélo ce n’était pas joli. Je pense que le fait que je porte le hijab en rajoutait. » Pour changer les mentalités, Vélorution tente d’investir l’espace public en organisant différentes activités : des sorties en groupe, des promenades en tandem pour les non-voyants ou encore les « Culture by bike » qui permettent de lier une balade en vélo avec un événement culturel (concert, exposition…).
Les idées ne manquent pas au sein de cette association de quelques 200 membres. Beaucoup font, en même temps, leurs premiers pas dans l’engagement associatif. Kaouther Laadhibi la professeure de vélo, a découvert un nouveau monde et surtout, « une seconde famille ». Ahlem Turki n’avait jamais autant donné de son temps : « Je fais partie d’associations, mais je me considère plus comme une sympathisante. Avec Vélorution, c’est la première fois que je m’engage autant. Il y a une dynamique importante. » Emmanuelle Houerbi, secrétaire générale de l’association, confirme : « Tout va très vite. Il y a beaucoup d’initiatives, surtout de la part des jeunes, et elles sont réalisées. Je suis parfois étonnée. Par exemple, le site Internet (réalisé sous la direction d’Ahlem Turki, ndlr) : j’ai découvert qu’ils prévoyaient d’en lancer un le jour où ils nous ont présenté sa maquette… »