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Dans la cap­i­tale du Liban, le stu­dio d’ur­ban­isme Pub­lic Works a lancé « Penser le loge­ment », une com­péti­tion qui vise à préserv­er les rares loge­ments encore abor­d­ables.

« Peut-être que notre généra­tion, celle qui a vécu cette péri­ode dans toute son inten­sité, ressem­ble de l’intérieur à ces immeubles en ruines. Ces immeubles qui n’ont pas été encore rasés, de l’intérieur nous leur ressem­blons. Nous essayons de les restau­r­er afin de pour­suiv­re ce qui nous reste de vie. » Dans « Bey­routh Fan­tôme », devant la caméra de Ghas­san Sal­hab, un habi­tant de la cap­i­tale libanaise manie la métaphore de l’architecture dévastée par la guerre civile (1975–1990) pour exprimer ses failles intérieures et insiste sur le besoin de restau­r­er sa ville pour se sauver lui-même.

Las. Depuis la fin de la guerre, les pel­leteuses exca­va­tri­ces ont rem­placé les tanks dans l’entreprise de destruc­tion du tis­su urbain exis­tant. L’absence de min­istère du Loge­ment depuis 1997 a lais­sé la voie libre aux investis­seurs qui, préservés d’un grand nom­bre de tax­es con­traig­nantes, ont eu les coudées franch­es pour faire du loge­ment à Bey­routh un investisse­ment lucratif plutôt qu’un droit.

Hausse de 200 % des prix en 10 ans
Prenons le quarti­er cen­tral de Ras Beirut et son bord de mer. 85 % des tours lux­ueuses aux tar­ifs exor­bi­tants qui ont poussé ont été con­stru­ites sur les ruines d’anciennes bâtiss­es que la guerre avait épargnées. « Le secteur immo­bili­er est opaque, ce qui nour­rit la spécu­la­tion, mais selon mes recherch­es, les prix à Bey­routh ont aug­men­té de 200 % entre 2003 et 2013 », chiffre Bruno Marot, auteur d’une thèse sur la poli­tique économique de la recon­struc­tion de Bey­routh. La loi dite des anciens loy­ers préser­vait une cer­taine mix­ité sociale en main­tenant des locataires payant un prix dérisoire dans le cen­tre de Bey­routh : « C’était un sys­tème de loge­ment social de fait », résume l’urbaniste. Cette lég­is­la­tion avait bien un effet per­vers : les pro­prié­taires étaient peu enclins à entretenir leurs biens immo­biliers quand leurs locataires, du fait de la déval­u­a­tion de la livre libanaise, payaient l’équivalent de 100 euros de loy­er par an. Reste que depuis 2014, la libéral­i­sa­tion des anciens loy­ers a fait sauter le dernier ver­rou à l’expulsion des moins bien lotis hors de la ville.

Les urban­istes du stu­dio Pub­lic Works le con­fir­ment après un tra­vail de ter­rain dans sept quartiers bey­routhins : sur 300 loge­ments, 200 per­son­nes en moyenne n’ont eu d’autre choix que de quit­ter Bey­routh pour trou­ver un loge­ment abor­d­able. Abir Sak­souk-Sas­so, l’une des mem­bres du stu­dio, con­state : « Depuis 1990, les habi­tants d’anciens loy­ers sont for­cés de quit­ter leur loge­ment par des pro­prié­taires désireux de ven­dre leur ter­rain à prix d’or à des pro­mo­teurs. Depuis 2014, le phénomène s’est mas­si­fié et, en l’absence d’alternative, ils n’ont d’autre choix que de fuir le cen­tre-ville », regrette-t-elle. Fort de ce con­stat, Pub­lic Works a lancé la com­péti­tion « Penser le loge­ment » afin de trou­ver des solu­tions pour préserv­er le tis­su urbain exis­tant et d’y main­tenir une mix­ité sociale. Les par­tic­i­pants devaient pro­pos­er des alter­na­tives con­crètes et durables au mod­èle de renou­velle­ment urbain actuel, à par­tir de l’un des cinq cas d’études pro­posés.

Coopéra­tive de loge­ment et loca­tion équitable
Immeu­ble al-Maha­ba, quarti­er pop­u­laire de Tarik el-Jdideh, au Sud de Bey­routh. Les habi­tants de ce bâti­ment de sept étages con­stru­it en 1964 se sont fait bern­er par un pro­mo­teur local : « Il a promis de le trans­former en un hôtel sept étoiles ! », hal­lu­cine encore Kho­dr Aslan. « Au final, après avoir ven­du plusieurs fois un apparte­ment à deux per­son­nes, il a fui le pays et a lais­sé l’immeuble délabré ». L’an dernier, Kho­dr a pris la tête d’un comité pour rénover l’immeuble aux frais des habi­tants. De quoi imag­in­er la créa­tion d’une coopéra­tive de loge­ments pour l’équipe d’étudiants en urban­isme* qui a rem­porté le troisième prix de la com­péti­tion : la coopéra­tive garan­ti­ra le main­tien de loy­ers abor­d­ables et per­me­t­tra la réno­va­tion des par­ties com­munes, grâce aux exemp­tions de taxe prévues par la loi. « S’il y avait un bureau spé­cial­isé au sein du gou­verne­ment, on aurait pu régler cette affaire, or au Liban, tout se règle à coup de pis­ton », se désole-t-il.

Repenser les insti­tu­tions, c’est l’un des objec­tifs de l’équipe vain­queure, dirigée par Roula Khoury*. Les archi­tectes se sont penchés sur un ensem­ble de 16 pro­priétés char­mantes mais en déliques­cence, situées à « Nahr Gem­mayzeh », dans le quarti­er de Mar Mikhaël, où des tours aus­si inabor­d­ables qu’inhabitées rem­pla­cent peu à peu les bâtiss­es anci­ennes. « La Société de loge­ment pub­lic s’est jusqu’ici con­tentée de sub­ven­tion­ner l’accès à la pro­priété. Nous pro­posons d’y intro­duire un groupe de recherche en urban­isme et un pro­gramme de loca­tion équitable », explique Fadi, l’un des mem­bres de l’équipe lau­réate. Ce pro­gramme pro­poserait aux pro­prié­taires d’immeubles de pren­dre en charge les réno­va­tions néces­saires de leur bien en échange de l’imposition de loy­ers inférieurs au prix du marché : « Une alter­na­tive aux anciens loy­ers », pour­suit l’architecte. Le par­rainage de la com­péti­tion « Penser le loge­ment » par la Société publique de loge­ment laisse espér­er que ce pro­jet fini­ra par voir le jour. Mais quand ?

Zahi Sama­ha assure qu’il aurait préféré ne pas coller un pan­neau « A ven­dre » sur sa pro­priété de « Nahr Gem­mayzeh » : « Je préfér­erais la rénover que la voir détru­ite. Mais pour reta­per le rez-de-chaussée et pay­er une com­pen­sa­tion à l’ancienne locataire, j’en ai pour au moins 200 000 euros. Le pro­gramme de loca­tion équitable est intéres­sant, mais soyons sérieux, nous atten­dons un gou­verne­ment depuis huit mois : au rythme où vont les choses, je serai mort quand il sera créé ! »

Emmanuel Haddad (Texte et photo)

* ”Afford­able Hous­ing Scheme: Al Maha­ba Build­ing”, Omar Abdul Samad; Sarah El Khat­ib; Christi­na Hachem Maj­dalani; Mohamad El Chamaa; Soha Mneim­neh; Rania Nouai­hed; Roland Nas­sour; Dunia Ezze­dine; Julia Kassem
*”Pro­tec­tive Hous­ing Ecolo­gies: Pre­lim­i­nar­ies for a Degrowth City”, Roula Khoury Fayad; Can­dice Naim; Lea Helou; Fadi Man­sour; Patrick Aboukhalil; Ali As’ad

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