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La France importe 99 % de ses éner­gies fos­siles, à savoir le pét­role, le gaz, le char­bon et l’uranium util­isé par les cen­trales nucléaires pour pro­duire de l’électricité. Avec un réchauf­fe­ment cli­ma­tique d’environ +0,75°C à l’heure actuelle, le pas­sage à une con­som­ma­tion d’énergies moins pol­lu­antes presse. Mais sommes-nous prêts ?

Le réchauf­fe­ment cli­ma­tique préoc­cupe désor­mais les États : ils sont 197 à avoir rat­i­fié l’accord de Paris adop­té en décem­bre 2015 suite à la COP 21, avec l’objectif de main­tenir le réchauf­fe­ment cli­ma­tique en dessous de 2°C d’ici 2100, de dés­in­ve­stir les éner­gies fos­siles et d’at­tein­dre la neu­tral­ité car­bone. Dans les faits, cet accord reste pour l’heure assez vague et n’indique aucune con­trainte réelle pour les plus gros pol­lueurs. La tran­si­tion s’inscrit pour­tant de plus en plus dans le voca­ble des représen­tants des pays. En France, le min­istère de l’Environnement a lais­sé place à celui de la Tran­si­tion écologique et sol­idaire depuis 2017. Les dif­férents min­istères de l’Écologie et de l’Environnement qui se sont suc­cédé ces dernières années ont impul­sé la loi de tran­si­tion énergé­tique pour la crois­sance verte en 2015, mais aus­si le Plan Cli­mat, l’Accord de Paris sur le cli­mat et ont rejoint le GIEC (Groupe d’experts inter­gou­verne­men­tal sur l’évolution du cli­mat, ouvert à tous les pays mem­bres de l’ONU) qui a récem­ment ren­du son rap­port.

Mais ces ini­tia­tives ont-elles pour autant propul­sé le pays vers la crois­sance verte et mar­qué le point de départ de la tran­si­tion écologique en France ? « La réponse est non » pour repren­dre les mots du min­istre de la Tran­si­tion écologique et sol­idaire démis­sion­naire Nico­las Hulot, en août dernier : « Est-ce que les petits pas suff­isent à endiguer, invers­er et même à s’adapter, parce que nous avons bas­culé dans la tragédie cli­ma­tique, et bien la réponse est non. Est-ce que nous avons com­mencé à réduire les émis­sions de gaz à effet de serre ? La réponse est non. La réduc­tion de l’utilisation des pes­ti­cides ? La réponse est non. » Et il en va de même pour l’enrayement de la bio­di­ver­sité et l’artificialisation des sols.

Les défis pour la France

D’après son min­istère dédié, la tran­si­tion se fera par la réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre générés par les éner­gies fos­siles que nous sol­lici­tons en tant qu’usagers pour chauf­fer les loge­ments, pour ali­menter les voitures, les trans­ports routiers et mar­itimes et l’industrie. L’objectif éta­tique est de pass­er de 14 % à 32 % de pro­duc­tion et de con­som­ma­tion d’énergies renou­ve­lables d’ici 2030 et de réduire la con­som­ma­tion des éner­gies fos­siles de 86 % à 68 %.

Les trans­ports rejet­tent la plus grande part de CO2, c’est pourquoi des bus cir­cu­lent depuis quelques années au GPL (gaz) qui pol­lue moins, ou à l’électricité. Le gou­verne­ment jus­ti­fie en par­tie la hausse du prix du car­bu­rant comme un moyen de décourager les util­isa­teurs, sans que son effi­cac­ité ait été prou­vée ces dernières années. Il oblige à par­tir de décem­bre 2018 les trans­porteurs mar­itimes à s’alimenter en bio­car­bu­rants et à aban­don­ner le fioul lourd. Pour la voiture, il dédie des aides non nég­lige­ables de 1 000 à 2 000 euros aux acheteurs de voitures moins pol­lu­antes, comme l’électrique et l’hybride. 250 000 ménages devraient en prof­iter en 2018. « La fab­ri­ca­tion de véhicules élec­triques néces­site des métaux rares qui ne sont pas tous disponibles. On retrou­ve égale­ment le besoin en élec­tric­ité, leur prix est encore très élevé et cela ne règle pas le prob­lème des plus pol­lu­ants : les camions et les trans­porteurs mar­itimes » con­fie Frédéric Ben, délégué syn­di­cal CGT de Storengy et mem­bre de la Fédéra­tion nationale des mines et de l’énergie. La réduc­tion de l’utilisation de la voiture, surtout dans les grandes villes, doit s’accompagner d’une poli­tique de mobil­ité adéquate et acces­si­ble à tous afin de rem­plac­er l’automobile par des bus verts, métros, tramways qui cou­vrent toute la ville et ses ban­lieues con­seil­lent des chercheurs. A Mar­seille, le réseau des trans­ports en com­mun hors cen­tre-ville est pau­vre et la ville se retrou­ve engorgée de voitures. Les pro­jets de con­struc­tion de routes et de rocades sont encore très impor­tants et l’aspect financier reste pri­or­i­taire sur l’environnement.

L’état de la tran­si­tion

« Au final ce que l’on con­somme à 50 % c’est la chaleur, l’électricité nucléaire qui demeure une obses­sion française atteint 20 % de notre con­som­ma­tion finale, les com­bustibles 30 % », remar­que Loui­son Riss, chargée de pro­jet en énergie renou­ve­lable ther­mique à l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), « Nous tra­vail­lons donc auprès des col­lec­tiv­ités et des villes de plus de 20 000 habi­tants pour dévelop­per les réseaux de chaleurs, capa­bles de chauf­fer les habi­tats indi­vidu­els et col­lec­tifs publics et privés grâce au chauffage au bois de façon régulée, grâce à la bio­masse, grâce à la géother­mie et aux pom­pes à chaleur rac­cordées directe­ment à la terre ou à la mer selon les régions et les tem­péra­tures, l’utilisation du solaire ther­mique pour l’eau chaude, les chaudières à bois pour les col­lec­tiv­ités. » Ces procédés rac­cordés au réseau de chaleur français (5 000 km) per­me­t­tent de chauf­fer des col­lec­tiv­ités entières et pour­raient sub­stituer les éner­gies fos­siles dans le chauffage des habi­tats rési­den­tiels ou publics. Ils ne sont exploités qu’à hau­teur de 6 % dans la con­som­ma­tion finale de chaleur où les éner­gies fos­siles restent majori­taires. L’État y con­sacre une aide de 250 mil­lions d’euros et prévoit désor­mais un fonds chaleur dans le crédit d’impôt tran­si­tion énergé­tique, comme il l’a fait avec les fenêtres isolantes. Mais comme le rap­pelle Loui­son Riss, cela reste timide par rap­port au poten­tiel renou­ve­lable de cette branche. La déci­sion finale appar­tient aux col­lec­tiv­ités, selon leur volon­té d’engagement dans ces proces­sus plus verts.

Même enjeu pour le gaz qui représente aujourd’hui env­i­ron 20 % de la con­som­ma­tion en France et qui grâce à l’hydrogène peut être trans­for­mé en gaz vert. Le géant Storengy, fil­iale de ENGIE dans le stock­age de gaz, a validé ce procédé. « Nous sommes fiers que notre mai­son mère com­mence à dévelop­per du gaz vert à par­tir de l’énergie éoli­enne et pho­to­voltaïque », con­fie Frédéric Ben, délégué syn­di­cal de la CGT à Storengy. « Elle pro­duit de l’hydrogène en cap­tant égale­ment du car­bone rejeté par cer­taines indus­tries ». Plusieurs pro­jets pilotes voient aujourd’hui le jour, comme dévelop­per d’ici 2050, 4 500 unités de pro­duc­tion de gaz vert à par­tir des rejets de l’agriculture, pro­jet déposé par l’Association française du gaz (AFG). C’est là où se situe l’enjeu pour les grands groupes de dis­tri­b­u­tion de gaz, car ce dernier exem­ple per­me­t­trait de pro­duire 100 ter­ra waters de gaz sur les 500 actuels con­som­més en France. Tran­si­tion qui néces­sit­era la for­ma­tion de tous les tech­ni­ciens à ces nou­veaux procédés et des statuts juridiques adap­tés pour dévelop­per le renou­ve­lable dans cha­cune des branch­es des grands dis­trib­u­teurs.

Le secteur de l’électricité, lui, reste dom­iné par EDF et ses 58 réac­teurs qui pro­duisent plus de 70 % de l’électricité française. Même si dans la con­som­ma­tion d’énergie l’électricité ne représente que 20 % et qu’elle est décar­bonée, la France reste dépen­dante de l’extraction et de l’importation d’uranium qui n’est pas inépuis­able et dont les déchets sont dan­gereux pour l’humanité. La pro­duc­tion élec­trique des parcs éoliens français (au 2ème rang européen), du pho­to­voltaïque et de l’hy­draulique est en con­stante aug­men­ta­tion, mais reste très insuff­isante : en 2017, elle représente en 7,1 tonnes d’équivalent pét­role (TEP) sur 103,8 TEP de pro­duc­tion nucléaire. « L’enjeu  de la tran­si­tion se trou­ve dans la diminu­tion de notre con­som­ma­tion car l’innovation tech­nologique verte ne sera pas suff­isante. Il s’agit là du com­porte­ment du con­som­ma­teur mais surtout des col­lec­tiv­ités, des indus­triels, des entre­pris­es, et bien enten­du de l’État », pour­suit Loui­son Riss. Il s’agit aus­si de se détach­er des prin­ci­paux four­nisseurs d’énergies fos­siles russ­es et moyen-ori­en­taux dont nous dépen­dons. Et de se diriger vers plus d’indépendance énergé­tique. Mais l’État est-il prêt à une énergie plus verte et moins rentable ?

Lim­ites de la tran­si­tion

« Le fait de met­tre 50 ans pour fer­mer une cen­trale nucléaire mon­tre que nous ne sommes pas prêts », s’indigne un inter­locu­teur proche du gou­verne­ment. La fer­me­ture du site nucléaire de Fes­sen­heim se fera seule­ment en 2020 et le pro­jet d’EPR (réac­teur européen à eau pres­surisée) de Fla­manville devrait aboutir en 2019, mal­gré les cri­tiques con­cer­nant les coûts démesurés de sa con­struc­tion et les doutes quant à la sécu­rité des futurs salariés. L’ouverture de ce nou­veau site prou­ve que le géant EDF reste le poids lourd en matière d’électricité et col­la­bore étroite­ment avec l’État, son prin­ci­pal action­naire, à hau­teur de 84 %.
Ce mono­pole laisse en effet peu de place aux investisse­ments dans la pro­duc­tion d’électricité verte et ne met pas en avant les four­nisseurs verts, comme ENERCOOP qui four­nit en élec­tric­ité de nom­breux foy­ers et col­lec­tiv­ités souscrip­teurs grâce à 10 coopéra­tives sur le ter­ri­toire : « 94 % de notre énergie provient des cen­trales hydrauliques de nos pro­duc­teurs locaux indépen­dants », pré­cise un encart expli­catif sur leur site.

Mal­gré les résul­tats posi­tifs dans la tran­si­tion énergé­tique, cette ini­tia­tive citoyenne reste dans l’ombre du géant de l’électricité. La dis­tri­b­u­tion de l’électricité qui est aujourd’hui con­cen­trée entre les mains de EDF, ENEDIS, GRDF, ENGIE et de leurs mul­ti­ples fil­iales ne per­met pas tou­jours d’y intro­duire et de rac­corder à leurs réseaux les éner­gies renou­ve­lables pro­duites sur le ter­ri­toire.

Il est ques­tion de rentabil­ité à laque­lle les éner­gies renou­ve­lables ne répon­dent pas. On ne peut d’ailleurs pas par­ler de tran­si­tion sans citer le lob­by­ing financier et énergé­tique très puis­sant en France. Les élites indus­trielles for­mées au sein des grandes écoles admin­is­tra­tives français­es se retrou­vent à la tête des grands groupes énergé­tiques tels que Total, EDF et Engie. Un rap­port d’ATTAC (Asso­ci­a­tion pour la tax­a­tion des trans­ac­tions finan­cières et pour l’action citoyenne) et une enquête con­duite par l’ONG 350.org révè­lent que les insti­tu­tions publiques investis­sent dans les éner­gies fos­siles et mon­tre que « la Caisse des dépôts et consigna­tions — qui gère des dizaines de mil­liards d’euros issus de l’épargne des Français et des coti­sa­tions retraites — reste large­ment investie dans le secteur des éner­gies fos­siles, y com­pris dans les pro­jets d’exploitation de nou­veaux gise­ments de char­bon, de gaz ou de pét­role ». En étant action­naire d’EDF à hau­teur de 84 %, l’État français paraît peu crédi­ble dans ses objec­tifs de tran­si­tion. Il a notam­ment autorisé récem­ment l’entreprise Total à aller for­er du pét­role au large de May­otte. Si l’État ne sem­ble pas prêt, les citoyens eux, ont une longueur d’avance.

Citoyens en alerte

Face au manque d’engagement de l’État, les citoyens ont un poids. Alter­nat­i­ba, le mou­ve­ment citoyen pour chang­er le sys­tème et le cli­mat, appelle régulière­ment à des mobil­i­sa­tions non vio­lentes devant les ban­ques. « Nous tra­vail­lons avec d’autres ONG comme Les Amis de la Terre, et nous pro­duisons de l’expertise afin de savoir quels sont les investisse­ments des ban­ques dans l’énergie », explique Cécile Marc­hand, représen­tante d’Alternatiba lors d’une inter­view, « nous avons fait pres­sion sur la BNP Paribas, qui a ensuite retiré ses investisse­ments dans les éner­gies sales. Nous essayons aujourd’hui avec la Société Générale ». La banque porte bien ses couleurs rouge et noir, elle est à l’initiative de nom­breux investisse­ments dans les éner­gies fos­siles et a été accusée par un rap­port d’Oxfam en 2015 de spéculer sur la faim en faisant mon­ter les prix des matières pre­mières ali­men­taires, provo­quant des famines dans les pays pau­vres. Deman­der des comptes, se réap­pro­prier le ter­ri­toire et dénon­cer les déci­sions cli­mati­cides sont trois axes pri­or­i­taires d’Alter­nat­i­ba. Ils nous invi­tent, nous tous citoyens, à chang­er de banque, à chang­er de four­nisseurs d’énergies tout « en affrontant le réel et ne pas se retrou­ver face à un chiffre devant lequel on se sent impuis­sant » ; ici le 1,5°C de réchauf­fe­ment de la planète qui fait fig­ure de lim­ite ultime dans tous les rap­ports et engage­ments éta­tiques (Accord de Paris sur le cli­mat) qui seront dis­cutés lors de la COP 24 prévue en décem­bre 2018 en Pologne.

Photo de Une : centrale nucléaire de Paluel en Haute-Normandie ©CC

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Pour aller plus loin

Ani­ma­tion syn­thèse sur les enjeux de la tran­si­tion : ICI

Rap­port sur l’é­tat des éner­gies renou­ve­lables 2018 : ICI

Aime ta terre : ICI

Plan cli­mat : ICI

Loi de la tran­si­tion énergé­tique : ICI

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