Les Basques face à l’indépendantisme catalan

Alors que la fièvre indépen­dan­tiste se répand à Barcelone et que Madrid répond par la force. Les Basques, écartés de la con­fu­sion médi­a­tique, obser­vent avec atten­tion ce con­tentieux...

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Alors que la fièvre indépen­dan­tiste se répand à Barcelone et que Madrid répond par la force. Les Basques, écartés de la con­fu­sion médi­a­tique, obser­vent avec atten­tion ce con­tentieux his­torique. L’économie de la com­mu­nauté autonome du Pays Basque est en pleine reprise et la poli­tique évite les sur­sauts, mais la rue, elle, s’interroge. Quelle place aujourd’hui pour l’autodétermination des peu­ples en Espagne ?

Same­di 4 novem­bre, 17 heures, brusque­ment une forte pluie com­mence à tomber. Les mil­liers de per­son­nes qui se sont don­né ren­dez-vous sur la place La Casil­la à Bil­bao restent impas­si­bles, en silence, elles ouvrent leur para­pluie. Le bruit de l’averse qui se brise sur les imper­méables sem­ble cou­vrir la con­fu­sion médi­a­tique de ces dernières semaines. La marche com­mence, les organ­isa­teurs font défil­er le flux sur le boule­vard qui mène au cen­tre-ville. Sans un mot, sous la pluie, des mil­liers de Basques man­i­fes­tent leur sou­tien aux cama­rades cata­lans.

Out­re cette mobil­i­sa­tion dans la rue, ces dernières semaines, les politi­ciens basques fuient les ques­tions sur l’indépendantisme cata­lan comme la peste. Per­son­ne ne veut s’engager sur une pente aus­si dif­fi­cile et incer­taine. Rien ne sem­ble indi­quer qu’entre Madrid et Barcelone se déroule actuelle­ment le plus impor­tant con­flit juridique, poli­tique et économique que le pays ait con­nu depuis la fin de la guerre civile espag­nole. Pour­tant, par­mi toutes les com­mu­nautés autonomes d’Espagne, le Pays Basque est la région qui s’intéresse le plus à ce qui se passe en Cat­a­logne. Depuis le print­emps dernier et le lance­ment du référen­dum en octo­bre, les médias basques analy­sent et obser­vent de manière obses­sion­nelle le proces­sus d’indépendance. Ce con­tentieux pour­rait devenir un précé­dent his­torique pour tout proces­sus d’indépendance en Espagne.

« Le Pays Basque n’a aucun intérêt à quit­ter l’Espagne. L’économie de la région a pro­gressé de 2,9 % au deux­ième trimestre 2017. »

Allié du gou­verne­ment de Mar­i­ano Rajoy, le PNV oppose son veto et appelle au dia­logue. Entre temps, le plus impor­tant par­ti d’opposition de gauche d’Euskadi, HE Bil­du, a con­vo­qué la man­i­fes­ta­tion du same­di 4 novem­bre con­tre l’application de l’article 155. La deux­ième de ce genre en sou­tien de la Cat­a­logne depuis le début de la crise insti­tu­tion­nelle. Selon Arnal­do Ote­gi, coor­di­na­teur général de HE Bil­du, « Mar­i­ano Rajoy fait un usage per­son­nel de la loi espag­nole en prof­i­tant de sa posi­tion poli­tique afin d’obtenir des avan­tages pour son par­ti. Il n’a pas le droit de des­tituer le gou­verne­ment cata­lan et encore moins d’emprisonner ses représen­tants poli­tiques ».

Mal­gré la sol­i­dar­ité entre les deux autonomies, les reven­di­ca­tions basques sont dif­férentes et ne mènent pas for­cé­ment à l’indépendance. « Le Pays Basque n’a aucun intérêt à quit­ter l’Espagne », explique Igna­cio Zubiri, pro­fesseur d’économie, depuis son bureau de l’université de Bil­bao. « L’économie de la région a pro­gressé de 2,9 % au deux­ième trimestre 2017. En échange du vote de sou­tien au bud­get nation­al pro­posé par le gou­verne­ment de Mar­i­ano Rajoy, le Par­ti nation­al­iste basque a obtenu le finance­ment de la con­struc­tion d’une ligne pour les trains à grande vitesse par le gou­verne­ment cen­tral alors même que la région est fis­cale­ment indépen­dant et gère de façon autonome ses dépens­es publiques. L’obtention de cette nou­velle ligne AVE est donc une impor­tante vic­toire poli­tique et économique. La bal­ance des comptes est d’ailleurs en faveur du Pays Basque », détaille l’économiste. En effet, Euska­di jouit d’un statut unique, grâce aux dere­chos forales. Ces anciens droits sur la pro­priété des ter­res datent de la péri­ode d’indépendance du Pays Basque. Le Régime foral per­met au gou­verne­ment basque de récolter en totale autonomie les impôts et de gou­vern­er sans ingérence de Madrid. Hormis ces avan­tages économiques indé­ni­ables, les vio­lences passées lim­i­tent égale­ment les reven­di­ca­tions d’indépendance : « N’oublions pas que la société basque a été sévère­ment touchée par le ter­ror­isme d’ETA, qui a fait 822 morts en 40 ans. Un passé récent qui a créé de très fortes frac­tures. Les Basques n’ont pas envie de vivre de nou­velles ten­sions », con­clut Zubiri.

L’idée générale d’un con­flit entre Espagne et Cat­a­logne est désor­mais répan­due. Les pre­miers boy­cottages des pro­duits d’origine espag­nole ou cata­lane ont déjà com­mencé

Une dif­férence de reven­di­ca­tion qui n’empêche pas les Basques de cri­ti­quer l’application des mesures d’urgence. Au couch­er du soleil, les rues de Bil­bao sont calmes, le cen­tre-ville se rem­plit de jeunes et d’étudiants, les cou­ples plus âgés se promè­nent le long des berges du Nervion tan­dis que les sportifs se retrou­vent dans le parc face au musée Guggen­heim. A l’heure de l’apéritif, les Basques se retrou­vent dans le Cas­co Viejo pour les tra­di­tion­nels cañas e pin­tx­os. Raquel a 38 ans et tra­vaille pour une agence pub­lic­i­taire. Selon elle, « la guerre civile espag­nole est une blessure tou­jours ouverte et jamais guérie. Les jeunes qui défend­ent aujourd’hui les lois cen­tral­isatri­ces pro­mul­guées en 1978 et d’inspiration fran­quiste, n’ont pas vécu la dic­tature. Le prob­lème cata­lan a longtemps été nég­ligé par le gou­verne­ment cen­tral et main­tenant que la sit­u­a­tion est ten­due il n’y a pas de remède mir­a­cle ».

L’idée d’un con­flit entre Espagne et Cat­a­logne est désor­mais répan­due. Dans le reste du pays, les pre­miers boy­cottages des pro­duits d’origine espag­nole ou cata­lane ont déjà com­mencé. Dans cer­tains cas, les par­ti­sans des deux camps blo­quent leurs con­tacts sur les réseaux soci­aux pour de sim­ples caus­es idéologiques. « Ce con­flit peut aller plus loin que ce qu’on le pense », souligne Iña­ki Sanchez, écon­o­miste indépen­dant. « Une révi­sion de la con­sti­tu­tion de 1978 est tout à fait néces­saire, mais pas avec n’importe quel change­ment. Dans ce cli­mat ten­du, le gou­verne­ment de Mar­i­ano Rajoy pour­rait essay­er de don­ner une virée cen­tral­isatrice au pays. Les jus­ti­fi­ca­tions d’ordre pub­lic ne man­quent pas. Dans ce dia­logue de sourds, l’emploi de l’article 155 prou­ve qu’à Madrid ils sont prêts à pren­dre des mesures strictes. Si l’on regarde la sit­u­a­tion de ce point de vue, la pru­dence du PNV et son sou­tien au gou­verne­ment cen­tral ne sont pas for­cé­ment à con­damn­er ».

Texte et photo Samuel Bregolin
Photo : Samedi 4 novembre 2017, manifestation de soutien aux Catalans dans les rues de Bilbao

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