Roms migrants, des jeunes en alternance entre école et expulsions

Fils du vent ou de la mis­ère ? La cour des Mir­a­cles est là sous nos yeux, sur les escaliers de la Gare Saint-Charles à Mar­seille. Encore en 2017,...

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Fils du vent ou de la mis­ère ? La cour des Mir­a­cles est là sous nos yeux, sur les escaliers de la Gare Saint-Charles à Mar­seille. Encore en 2017, on les appelle avec un acronyme, SDF, sans domi­cile fixe, mais ils sont aus­si « SEF » sans école fixe. Il n’y a pas besoin de remon­ter à une autre époque ou d’aller dans les bidonvilles. Il suf­fit d’ouvrir les yeux au milieu des villes européennes. Leur nom­bre a aug­men­té de 50% en 10 ans. Ce monde d’invisibles est peu­plé par les habi­tants de châteaux de cartes, déten­teurs de droits éphémères.

Par­mi eux, les Roms migrants. Aujourd’hui ils sont entre 15 000 et 20 000 en France, il s’agit prin­ci­pale­ment de citoyens européens qui exer­cent leur droit à la libre cir­cu­la­tion, con­fon­dus avec les bohémiens romanesque et les gens du voy­age, imag­inés comme des nomades libres de con­traintes sociales, éthiques, économiques. En prove­nance surtout de Roumanie et de Bul­gar­ie, derniers Pays à rejoin­dre l’Union européenne, ils sont plutôt séden­taires et ten­tent de se débrouiller entre chaque expul­sion, sou­vent effec­tuée sans propo­si­tion de rel­o­ge­ment. Ils sont Jetés vio­lem­ment à la rue dans l’in­dif­férence générale et sont vic­times de l’i­n­ac­tion insti­tu­tion­nelle. Depuis 2017, la Ligue des droits de l’Homme a cal­culé qu’au total 4382 Roms ont été expul­sés de 50 lieux de vie en France.

Aux pieds des stat­ues des Colonies d’Afrique et d’Asie, à la gare cen­trale de la cité phocéenne, ces oubliés se mêlent aux touristes et vivent leur quo­ti­di­en de jour en jour, en se déplaçant inaperçus en ville avec leurs pous­settes et des char­i­ots de course, qu’ils rem­plis­sent de fer­raille et de poubelles, un savoir-faire mécon­nu, une pra­tique de recy­clage au ser­vice de la société qui les refuse sys­té­ma­tique­ment. Ils sont pour la plu­part des adultes. Les sta­tis­tiques les met­traient dans la case “per­son­nes en âge de tra­vailler”. A leur côté les “enfants dans l’âge sco­laire” ‑de 6 à 16 ans en France- ne man­quent pas. Ils passent le pré­sumé temps sco­laire — un droit essen­tiel et une oblig­a­tion pour français et étrangers depuis la loi Jules Fer­ry du 1882 — avec leurs familles, mis­ère oblige.

Selon le recense­ment de la Dihal, Délé­ga­tion inter­min­istérielle à l’héberge­ment et à l’ac­cès au loge­ment, 30% de la pop­u­la­tion vivant en bidonville sont prin­ci­pale­ment des enfants. Les sta­tis­tiques offi­cielles n’en tien­nent pas compte, bien que le Code de l’éducation prévoie un recense­ment à chaque ren­trée de tous les enfants en âge d’aller à l’é­cole, en principe mené par les maires. En jan­vi­er 2016, les recom­man­da­tions du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies demandaient à la France de « respecter ses oblig­a­tions inter­na­tionales en ce qui con­cerne les expul­sions for­cées » et l’encourageaient « dans ses efforts visant à inté­gr­er les enfants roms et leur famille ». Le Comité soulig­nait que cer­tains groupes d’enfants, dont les enfants et ado­les­cents vivant dans les bidonvilles, « ont du mal à entr­er, à rester et à revenir dans le sys­tème édu­catif ». Con­crète­ment, l’étude du Col­lec­tif pour le Droit des Enfants Roms à l’Éducation (CDERE) mon­tre que plus de la moitié des jeunes âgés entre 12 et 18 ans et vivant dans un bidonville n’étudient pas. Une deux­ième étude de l’association Tra­jec­toires, qui a étudié le cas des enfants qui ont entre 6 et 16 ans, fixe à 49% le taux de sco­lar­i­sa­tion. La dés­co­lar­i­sa­tion atteint 96% des 16–18 et tend plutôt vers 67% si on intè­gre les enfants sco­lar­isés mais « non assidus ».

Pho­to issue des ate­liers pho­tographiques menés par Mo Abbas avec de jeunes tsi­ganes de Mar­seille et ses alen­tours @Mo Abbas

Mais com­ment réalis­er un par­cours sco­laire « assidu » dans la pré­car­ité et les évac­u­a­tions à répéti­tion ? C’est une ques­tion que s’est posée Mar­i­anne Cao-Riguet. Elle vient de ter­min­er les 8 mois de son ser­vice civique avec les enfants des bidonvilles d’Aix-en-Provence, au Con­seil départe­men­tal des Bouch­es-du-Rhône. Sa mis­sion allait de l’accompagnement d’une famille en squat au sou­tien et l’animation d’enfants sco­lar­isés, jusqu’à l’alphabétisation des femmes du bidonville Arbois. « Un endroit sans toi­lettes ni élec­tric­ité, et un seul robi­net d’eau pour tous » racon­te-t-elle, « où les besoins pri­maires pri­ment sur le sens de com­mu­nauté ». Sur la dizaine d’en­fants présents, huit ont été sco­lar­isés. « Pour s’inscrire, il est néces­saire de présen­ter une domi­cil­i­a­tion admin­is­tra­tive, que cer­tains maires en France refusent, en toute illé­gal­ité, de don­ner, encore aujourd’hui, au Pays des droits de l’Homme ». Ce sont sou­vent les asso­ci­a­tions, elles-mêmes vis­er par les baiss­es de sub­ven­tions énormes, qui ont l’oblig­a­tion de rem­plir ce vide éta­tique. « Elles aident les par­ents qui ne par­lent pas français à faire les démarch­es, à rem­plir les dossiers de gra­tu­ité des can­tines, à les faire sor­tir des bidonvilles, à trou­ver les four­ni­tures sco­laires néces­saires ». Et lorsqu’il pleut, « les enfants doivent aller à l’école avec des cahiers mouil­lés ».

Cather­ine Rouch, ani­ma­trice de réseaux au sein du Sec­ours catholique à d’Aix-en-Provence, décrit les prin­ci­paux obsta­cles qui freinent le retour à la sco­lar­i­sa­tion : « Tout d’abord ces gens ont du mal à se pro­jeter, ils vivent dans la peur con­stante des expul­sions ». Après, il y a une dis­tance cul­turelle et physique : « la méfi­ance de laiss­er les enfants aller vers des lieux de sco­lar­i­sa­tion éloignés », et on sait bien que les trans­ports en com­mun ne vont pas jusqu’à cer­tains quartiers. « Quand ils com­men­cent à avoir con­fi­ance, ils aiment l’idée que leurs enfants soient sco­lar­isés. Sou­vent les craintes des adultes vien­nent de la stig­ma­ti­sa­tion qu’ils ont vécu dans leur pays d’origine ».

Une fois les dif­fi­cultés pri­maires sur­mon­tées, c’est le par­cours de l’éducation nationale qui reste un obsta­cle. « Les pro­fesseurs sont bien­veil­lants avec ces enfants un peu per­dus dans l’école, mais ils restent mal­gré tout en décalage avec le groupe, avec un prob­lème d’assiduité et de maîtrise de la langue par rap­port aux élèves français. Il y a une vraie dif­fi­culté de ges­tion de ces ques­tions par les enseignants ».

Vers la gare Saint Charles je ren­con­tre C. Elle vient de Tran­syl­vanie. Elle a vécu jusqu’à l’âge de 17 ans à Cluj Napoca sans jamais aller à l’école. « J’aidais ma maman à la mai­son avec mes frères. Je suis par­tie pour une meilleure vie, ici à Mar­seille, parce que mes sœurs étaient déjà là ». Depuis trois ans en France, la jupe col­orée et un dik­lo qui cou­vre ses cheveux comme cer­taines roms mar­iées le porte, elle a appris le français sans aucune for­ma­tion, dans la rue, où elle fait tou­jours la manche. « Je voudrais tra­vailler. Je suis disponible pour faire les ménages mais je ne trou­ve rien ». Elle garde dans ses bras son enfant qui va bien­tôt avoir l’âge de la crèche. « Je veux qu’il aille à l’école ». Et la déter­mi­na­tion dans ses yeux sem­ble plus forte que tous les préjugés et les obsta­cles.

Silvia Ricciardi

Photo de Une : extrait du livret “Des mains, comme au premier jour” réalisé par Mo Abbas, avec les jeunes tsiganes de Marseille et ses alentours : « Depuis ma première visite sur un bidonville, celui de l’Arbois, en 2009, je suis le témoin impuissant de l’errance de dizaines de familles… Errance sans fin qui les oblige à recommencer mille fois le même travail… »

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