Le pays du Cèdre et, DEMAIN, des femmes

Au Liban, les asso­ci­a­tions de défense du droit des femmes font bouger la société. Lois et décrets con­cer­nant le statut des femmes évolu­ent, grâce à la mobil­i­sa­tion active...

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Au Liban, les asso­ci­a­tions de défense du droit des femmes font bouger la société. Lois et décrets con­cer­nant le statut des femmes évolu­ent, grâce à la mobil­i­sa­tion active de la société civile.

Un arti­cle pub­lié en parte­nar­i­at avec le men­su­el satirique en PACA Le Ravi, à retrou­ver dans le numéro 152 de juin 2017.

Clips vidéos, accrochages de posters grandeur nature dans les rues de la cap­i­tale, pièces de théâtre inter­ac­tives, spec­ta­cles de mar­i­on­nettes, instal­la­tions artis­tiques, péti­tions… La société civile a fait preuve d’imagination ces dernières années pour faire avancer l’égalité entre les sex­es au Liban, où la femme est tou­jours privée de cer­tains de ses droits fon­da­men­taux. Bien que les Libanais­es soient con­sid­érées comme les citoyennes ayant le plus de droits et de lib­erté dans le monde arabe, la femme est tou­jours soumise, au pays du Cèdre, aux dic­tats d’une société patri­ar­cale, con­ser­va­trice et régie par la reli­gion. « La plus grave atteinte à nos droits est notre nation­al­ité man­quante, estime l’activiste et avo­cate Nadine Mous­sa. Nous sommes con­sid­érées comme des citoyennes de sec­onde zone qui ne peu­vent ni trans­met­tre la nation­al­ité à leur mari quand il est étranger ni à leur enfant ». La con­sti­tu­tion libanaise ne régit pas le droit de la famille. Le statut de la femme est lais­sé au libre arbi­tre des dix-huit com­mu­nautés con­fes­sion­nelles du pays, qui s’interposent entre l’Etat et le citoyen. Chaque Libanaise dis­pose donc, en fonc­tion de sa reli­gion, de droits dif­férents en matière de mariage, divorce, pen­sions ali­men­taires et gardes des enfants. « Cet état des faits reste très dis­crim­i­na­toire et entre­tient les iné­gal­ités », regrette Nadine Mous­sa. Car les réper­cus­sions de ce statut per­son­nel se retrou­vent dans toutes les strates de la société.

Un rap­port sur les écarts d’égalité entre les sex­es du Forum économique mon­di­al de 2016 classe ain­si le Liban au 135eme rang sur 144 pays. Le pays enreg­istre un des taux mon­di­aux les plus faibles en matière de par­tic­i­pa­tion de la femme à la vie économique et poli­tique. Sur 128 députés, la Cham­bre ne compte effec­tive­ment que qua­tre élues. « La con­sti­tu­tion affirme pour­tant l’égalité de tous les Libanais, quant aux droits civils et poli­tiques », rap­pelle Soulay­ma Mar­dam, de l’association de défense des droits des femmes Abaad. Le Liban a, qui plus est, signé plusieurs traités inter­na­tionaux visant à amélior­er la sit­u­a­tion de la femme, comme la Con­ven­tion sur l’élimination de toutes les formes de dis­crim­i­na­tion en 1996. « Pour faire avancer notre cause, il faut faire évoluer la men­tal­ité patri­ar­cale de notre pays et se bat­tre pour chang­er les lois, con­tin­ue l’avocate Nadine Mous­sa. Comme dis­ait le prési­dent tunisien Bour­gui­ba, il faut libér­er la femme par les men­tal­ités et l’éducation mais surtout par les lois. Or il y a un chantier de réformes lég­isla­tives colos­sal au Liban pour rétablir l’égalité entre les sex­es ».

#undress522
Face à ce con­stat, les asso­ci­a­tions féminines du pays du Cèdre ont changé de ton ces dernières années. Elles ont adop­té des méth­odes inno­vantes pour faire bouger la société. « Il est néces­saire de sen­si­bilis­er l’opinion publique en ren­dant audi­ble et vis­i­ble les dif­fi­cultés que sont en train de tra­vers­er de nom­breuses femmes pour faire pres­sion sur nos politi­ciens », souligne Soulay­ma Mar­dam. Depuis près d’un an, Abaad a engagé plusieurs actions coups de poing dans le cadre de son com­bat pour l’abrogation de la loi 522 du code pénal qui exempte de toute con­damna­tion un vio­leur s’il épouse sa vic­time. En novem­bre, plusieurs activistes ont ain­si par­ticipé au marathon de Bey­routh, vêtues de draps blancs avec une boite en car­ton de forme car­rée sur la tête, en scan­dant le slo­gan « le viol est un crime, abro­gez l’article 522 ». « Elles étaient déguisées comme des robots, pour sig­ni­fi­er qu’en forçant une vic­time à épouser son vio­leur on lui retire sa lib­erté et la soumet à un con­trôle con­tinu », pré­cise Soulay­ma Mar­dam. En décem­bre, Abaad lançait ensuite le hash­tag #undress522 (« deshabillez522 ») accom­pa­g­né de la pub­li­ca­tion d’une péti­tion en ligne et de la dif­fu­sion d’une vidéo choc signée Danielle Rizkallah, dans laque­lle une femme battue est recou­verte de panse­ments et de gaz qui pro­gres­sive­ment pren­nent la forme d’une robe de mar­iée.

Quelques semaines plus tard, un sit-in d’activistes arbo­rant des tenues blanch­es sim­i­laires à celles du clip était organ­isé devant du Par­lement. Le jour-même, sa com­mis­sion d’administration et de jus­tice approu­vait le pro­jet d’abrogation de l’article 522 qui, pour entr­er en appli­ca­tion, doit aus­si être soumis au vote de la Cham­bre. Abaad n’a donc pas cessé la mobil­i­sa­tion et a présen­té, fin avril, une instal­la­tion artis­tique de Mireille Honin sur la cor­niche de Bey­routh. Quelques trente-une robes y ont été accrochées entre les palmiers de la prom­e­nade de bord de mer. « 31 robes pour les 31 jours du mois, pré­cise Soulay­ma Mar­dam. Car chaque jour où cette loi reste en vigueur, la pres­sion con­tin­ue de s’exercer sur les femmes con­traintes d’épouser leur vio­leur ». Per­cu­tante et soutenue, la mobil­i­sa­tion de l’ONG libanaise a per­mis de sen­si­bilis­er la pop­u­la­tion – d’après une étude réal­isée par l’association avant le lance­ment de sa cam­pagne, seul 1% des Libanais était au courant de l’existence de l’article 522 dans le code pénal. Aujourd’hui, Abaad a bon espoir en son abro­ga­tion prochaine par le Par­lement.

Engager l’ensemble des acteurs de la société civile
Mais cette asso­ci­a­tion de défense des droits de la femme n’a pas été la pre­mière à organ­is­er des actions coups de poings. L’impulsion a été don­née avec Kafa qui, au terme d’une mobil­i­sa­tion mul­ti­di­men­sion­nelle de six ans, a réus­si à faire vot­er en 2014 la loi 293 pour la pro­tec­tion de la femme con­tre les vio­lences domes­tiques. Pour la pre­mière fois, cette ONG créée en 2005 est sor­ti du car­can des méth­odes tra­di­tion­nelles du mil­i­tan­tisme en engageant des parte­nar­i­ats avec les médias, en impli­quant des artistes et en met­tant en scène des spec­ta­cles inter­ac­t­ifs au sein desquels le pub­lic pre­nait part aux dis­cus­sions. Kafa a pris le par­ti, notam­ment, de s’adresser frontale­ment à la classe poli­tique. L’association a ain­si ren­con­tre cha­cun des 128 par­lemen­taires et a col­lé les pho­tos des députés en charge de l’examen du pro­jet de loi dans les trans­ports publics. « De nom­breux change­ments s’opèrent, con­state Myr­i­am Sfeir, de l’institut d’études féminines dans le monde arabe. Ces man­i­fes­ta­tions de 2014 ont mar­qué une étape déci­sive. Bien qu’elle ait été beau­coup amendée, la loi 293 a été votée. C’est le signe que les Libanais sont prêts à accepter plus d’égalité entre les hommes et les femmes ».

Une des pri­or­ités de ces organ­i­sa­tions de défense du droit des femmes restent cepen­dant d’engager l’ensemble des acteurs de la société pour par­venir à une prise de con­science col­lec­tive. « On oublie par­fois de penser la ques­tion de la vio­lence de manière sys­témique, en prenant en compte les inter­ac­tions de la struc­ture patri­ar­cale de la société libanaise avec les reli­gions », ajoute Soulay­ma Mar­dam. En 2012, Abaad a ain­si engagé des actions inclu­ant les représen­tants religieux dans leur lutte con­tre les dis­crim­i­na­tions faites aux femmes. Sur d’immenses pan­neaux accrochés à tra­vers les rues de la cap­i­tale, ces derniers ont donc dénon­cé la vio­lence exer­cée à l’égard du sexe féminin. « Cer­tains ont con­testé l’espace que nous avons accordé aux chefs religieux mais du fait de leur impor­tance dans le pays, il est impos­si­ble de rompre le dia­logue avec eux », pré­cise la jeune femme. « Il y a aura tou­jours des résis­tances, c’est incon­testable, recon­naît Myr­i­am Sfeir. Il y a des régions très con­ser­va­tri­ces au Liban où les men­tal­ités patri­ar­cales pré­domi­nent mais la dynamique est enclenchée. La société civile, très active et volon­taire, aide à amélior­er la con­di­tion de la femme. Le chemin reste long à par­courir mais le Liban est en train de chang­er ».

Ce qu’elles en pensent…

Il n’existe pas de sta­tis­tique offi­cielle au Liban sur le nom­bre de femmes vic­times de vio­lence mais d’après une étude menée par le Fonds des Nations Unies pour la pop­u­la­tion, au moins deux tiers des femmes auraient été con­fron­tés une fois dans sa vie à une forme de vio­lence domes­tique, qu’elle soit morale, physique ou sex­uelle. Par­mi elles, Hiba, 42 ans, a été battue et vio­lée par son mari pen­dant plusieurs années avant de trou­ver refuge dans un cen­tre d’hébergement d’urgence d’Abaad. Aujourd’hui plus con­fi­ante et forte, elle a pris con­science de ses droits grâce à l’ONG et tient à se bat­tre pour l’amélioration de la con­di­tion fémi­nine au pays du Cèdre. « Toutes les femmes devraient être con­scientes de leur droits pour se pro­téger des dis­crim­i­na­tions », con­fie-t-elle. « Réalis­er que l’on est une vic­time est une pre­mière étape, com­mente Soulay­ma Mar­dam. Elle est indis­pens­able car la cause fémi­nine au Liban n’a­vancera pas non plus sans prise de con­science de ces femmes vic­times de vio­lences ».

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