De plus en plus d’Israéliennes s’emparent de Facebook et des médias pour dénoncer les violences sexuelles dont elles sont victimes. Seule façon de contourner une justice encore indulgente à l’égard des agresseurs.
Des hauts gradés de l’armée, un juge, un célèbre acteur ou encore des rabbins. En Israël, on ne compte plus les scandales sexuels qui ont frappé des personnalités publiques ces dernières années. «On assiste à une révolution. De plus en plus de femmes osent parler des violences dont elles sont victimes», se réjouit Orit Sulitzeanu, directrice de l’Association des centres de crise contre le viol en Israël (ARCCI). «C’est une révolution importante mais encore lente», nuance-t-elle toutefois. «La façon dont les institutions et l’opinion publique perçoivent et traitent les victimes doit encore évoluer», précise Noga Shahar, actrice israélienne et co-fondatrice* du groupe Facebook Tzedek tzedek rodfot (Les poursuivants de la justice). Le groupe milite pour «éradiquer les accords de plaider coupable» proposés aux délinquants sexuels — une pratique courante en Israël. En permettant aux agresseurs de s’en tirer avec des peines de travaux d’intérêt général ou de simples amendes, «les institutions contribuent à la perpétuation des violences sexuelles», s’indigne-t-elle.
Une vidéo qui frappe les consciences
En 2016, l’affaire Ofek Buchris, du nom d’un général de l’armée israélienne inculpé pour viol, créé une onde de choc dans la société israélienne. Ses victimes font l’objet d’une campagne de dénigrement. Quant au militaire, il échappe à la prison après avoir accepté de plaider coupable. Pour faire réagir l’opinion publique, les associations organisent alors des manifestations. A Jérusalem, plusieurs centaines de femmes défilent dans les rues, certaines simplement vêtues de soutiens-gorge. «C’est une façon de reprendre le pouvoir, c’est revendiquer le fait de pouvoir s’habiller comme on veut, sans que les hommes puissent l’interpréter comme une volonté d’être violée», explique Noga Shahar. Tzedek tzedek rodfot organise également un rassemblement devant le quartier général de l’armée à Tel-Aviv.
Mais c’est une vidéo postée sur YouTube et abondamment partagée sur les réseaux sociaux, qui va frapper les consciences. On y découvre quatre jeunes femmes israéliennes vêtues de l’uniforme de l’armée reprendre la mélodie d’une célèbre chanson rendant hommage aux soldats de la guerre du Kippour. Les paroles sont modifiées pour dénoncer le machisme et les comportements rétrogrades qui perdurent au sein de l’institution. «Nous ne sommes que de la viande pour officiers», dénoncent-elles notamment, avant d’adresser un doigt d’honneur face caméra à ces derniers. «C’était très important pour moi de participer à ce clip», confie Dorin Mendel, l’une d’entre elles. «Comment peut-on blâmer les victimes? Cela m’a rendu si furieuse», raconte l’Israélienne de 25 ans. «Les autorités doivent tout mettre en oeuvre pour dissuader les hommes de se croire autorisés à faire ce que bon leur semble», poursuit-elle. Pour Dorin Mendel, l’ancien président d’Israël, Moshe Katzav, condamné pour viol à sept ans de prison ferme en 2011, n’aurait par exemple jamais dû bénéficier d’une remise de peine et être libéré en 2016. «C’est une trahison envers toutes les femmes qui ont été victimes de son comportement et ont perdu leur emploi et leur anonymat en osant révéler leur histoire», juge-t-elle.
«Le combat ne se passe plus au tribunal, mais sur Facebook»
Difficile de connaître le nombre exact de femmes victimes de violences sexuelles en Israël. L’année dernière, l’ARCCI a reçu 43 000 appels, dont 14% ont débouché sur le dépôt d’une plainte. Selon les chiffres d’une unité spéciale mise en place par l’armée israélienne pour soutenir les victimes, 802 incidents ont été rapportés en 2016 au sein de l’institution, dont 10% ont conduit à une enquête ou à une action en justice. «Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il y a beaucoup de cas mineurs», précise Orit Sulitzeanu. Parfois, les soldates qui s’adressent à l’ARCCI n’ont reçu que des SMS. Ces messages ne sont pas forcément à caractère sexuel. Mais les jeunes femmes veulent savoir comment réagir. «Ce qu’il faut comprendre aussi, c’est que la plupart des femmes ne veulent pas confronter leur agresseur ni avoir à raconter encore et encore leur histoire devant un tribunal, elles souhaitent seulement que le harcèlement ou les abus cessent», ajoute-t-elle.
«Aujourd’hui, le combat ne se passe plus nécessairement au tribunal, mais sur Facebook ou dans les médias. C’est le reflet d’un changement social», constate Orit Sulitzeanu. La militante cite plusieurs exemples. En décembre 2016, une députée du parti HaBayit HaYehudi (Le Foyer Juif), Chagit Moriah-Gibor, poste un message sur Facebook dénonçant les agressions subies par plusieurs femmes «depuis des années» de la part d’un «député en exercice». «Les histoires s’accumulent et le silence est assourdissant (…) Le problème : le prix que ces femmes paieront est trop grand et elles ne sont pas prêtes à parler», écrit-elle. Le nom de l’élu en question, Nissan Slomiansky, 70 ans, ne tarde pas à fuiter. Lui dément les faits, mais il est tout de même poussé à la démission. Autre cas emblématique, celui du célèbre journaliste Ari Shavit, accusé d’harcèlement sexuel par une consoeur américaine dans un article publié en octobre 2016. «L’enquête policière a été close faute de preuves suffisantes, mais cela a ruiné sa carrière», souligne Orit Sulitzeanu.
* Le groupe Tzedek Tzedek rodfot a été lancé en décembre 2015 par Noga Shahar, Adi Eruz, Or Seri, Lilly Pergamenikov et Adi Noked-Weizman.
Chloé Demoulin