En France, les nouvelles lois à l’épreuve de la précarité des femmes

  Au coeur de la famille, dans la rue, au tra­vail, dans les pays en guerre et sur les par­cours migra­toires, les vio­lences faites aux femmes pren­nent dif­férentes...

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Au coeur de la famille, dans la rue, au tra­vail, dans les pays en guerre et sur les par­cours migra­toires, les vio­lences faites aux femmes pren­nent dif­férentes formes, elles peu­vent être physiques, psy­chologiques, économiques, admin­is­tra­tives, ver­bales. Dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, seules des dizaines de places d’héberge­ment sont disponibles pour les femmes vic­times de vio­lences. Les asso­ci­a­tions dénon­cent le manque de moyens.

Les vio­lences con­ju­gales appa­rais­sent en tête de liste des types de vio­lence recen­sés au niveau nation­al. Chaque année, 223 000 femmes sont vic­times de vio­lences physiques et/ou sex­uelles par leur con­joint dans les foy­ers tra­di­tion­nels. Les cou­ples vivants dans la rue ou dans des cen­tres d’héberge­ment spé­ci­fiques comme les CHRS ne sont pas pris en compte. Mal­gré un ressen­ti plutôt posi­tif des asso­ci­a­tions qui notent une légère aug­men­ta­tion de femmes qui se man­i­fes­tent en por­tant plainte ou en les con­sul­tant, le sujet reste encore tabou dans la société française et les moyens de l’ac­cueil et de la prise en charge sont insuff­isants. Ils sont assurés prin­ci­pale­ment par des asso­ci­a­tions agré­men­tées par l’E­tat comme le cen­tre nation­al d’in­for­ma­tion sur les droits des femmes et des familles (CIDFF), par les com­mis­sari­ats et gen­darmerie appuyés par des inter­venants soci­aux et des psy­cho­logues dans leurs locaux et par des asso­ci­a­tions indépen­dantes dont cer­tains pro­grammes reçoivent des finance­ments publics comme l’as­so­ci­a­tion SOS Femmes 13 à Mar­seille.

Dans les locaux de l’as­so­ci­a­tion SOS femmes 13, situés sur la grande avenue du Pra­do à Mar­seille, une fois la porte fer­mée der­rière soi, le calme. Des fau­teuils et des meubles qui rap­pel­lent un apparte­ment sont dis­posés dans l’en­trée en bas de l’escalier qui mène au pre­mier étage. Ici, des tra­vailleurs soci­aux et des psy­cho­logues accueil­lent, écoutent et accom­pa­g­nent les femmes qui vien­nent ou appel­lent pour s’in­former et pren­dre un pre­mier con­tact. Sor­tir du silence et expos­er leur intim­ité est une lourde démarche pour ces femmes. Elles n’ont pas toutes les mêmes besoins, pour celles qui le souhait­ent, la struc­ture dis­pose de places d’héberge­ment situées dans trois villes du départe­ment et elle peut aus­si les rediriger vers d’autres régions si elles souhait­ent être éloignées. Cepen­dant, le nom­bre de lits dont dis­pose SOS Femmes n’a guère évolué en 15 ans pas­sant de 40 à 48 cette année, alors que les femmes vien­nent sou­vent accom­pa­g­nées de leurs enfants. Une carence nationale, seules 1147 places d’héberge­ment ont été crées depuis 2012 mais le plus coû­teux reste l’ac­com­pa­g­ne­ment. Ce dernier s’ef­fectue au niveau social (aide au rel­o­ge­ment), psy­chologique, juridique (droit des femmes), san­i­taire, pro­fes­sion­nel grâce à l’ac­cueil de jour qui assure les entre­tiens indi­vidu­els, des groupes de parole et des ate­lier d’art thérapie (voir les pho­tos des dessins du dossier). Comme le souligne Eric Flo­renti­no, salarié de l’as­so­ci­a­tion depuis une quin­zaine d’an­nées, «La femme vic­time de vio­lence s’isole, développe de graves séquelles psy­chologiques, la perte de con­fi­ance en elle. Elle se déval­orise et elle cul­pa­bilise face à son échec en tant que mère de famille, qui reste le pili­er du foy­er, dans un sys­tème resté pour­tant très patri­ar­cal». Des souf­frances qui néces­si­tent un accom­pa­g­ne­ment indi­vid­u­al­isé. Selon lui, si l’as­so­ci­a­tion obte­nait plus de finance­ments pub­lic, la struc­ture qui reçoit env­i­ron 2500 femmes par an pour dif­férents suiv­is, pour­rait en accueil­lir au moins 3000.L’association a mal­gré tout pu met­tre en place depuis quelques mois la per­ma­nence d’une psy­cho­logue pour les femmes vic­times d’a­gres­sions sex­uelles, et une per­ma­nence juridique assurée par le CIDFF.

La con­nais­sance du droit, un palier indis­pens­able

Quand une femme décide de sor­tir du silence, son des­tin est sou­vent lié à celui de ses enfants. La con­nais­sance de ses droits soci­aux est pri­mor­diale surtout quand elle n’est pas indépen­dante finan­cière­ment et qu’il sera dif­fi­cile de lui trou­ver un loge­ment ou une place en foy­er. Le CIDFF implan­té dans chaque départe­ment français reçoit et con­seille grâce à des tra­vailleurs soci­aux et des juristes. A Mar­seille, dans le 3ème arrondisse­ment, un quarti­er par­mi les plus pau­vres de France, le CIDFF est sou­vent con­fron­té à la prob­lé­ma­tique des mariages mixtes et à une pop­u­la­tion mul­ti­cul­turelle. «Par­tir du foy­er con­ju­gal sans rien n’est pas sim­ple. Nous tra­vail­lons sur l’in­ter­cul­tur­al­ité car la notion de droit est dif­férente quand vous venez des pays de l’Est ou du Maghreb. La per­son­ne doit être bien infor­mée et con­naître les con­séquences de ses déci­sions. Ce tra­vail de sen­si­bil­i­sa­tion est sou­vent omis par les avo­cats qui les reçoivent et qui ne sont pas spé­ci­fique­ment for­més à cette prob­lé­ma­tique», con­fie Marielle Val­lon, direc­trice de l’an­tenne mar­seil­laise. Ici, 20% des femmes qui se présen­tent ont été vic­times de vio­lences. Soit au sein du cou­ple, soit au tra­vail, mais majori­taire­ment au sein du cou­ple. «Les vio­lences peu­vent être physiques mais aus­si psy­chologiques et admin­is­tra­tives, en lien avec la garde des enfants ou l’ab­sence de verse­ment de pen­sion ali­men­taire par le con­joint. Sou­vent, elles veu­lent divorcer», renchérit Char­lotte Lacore, juriste en droit de la famille et en charge du bureau région­al de ressources en droit inter­na­tion­al privé.
L’oc­troi de droits suite à une sépa­ra­tion dû à des vio­lences dépend du droit de la famille en droit civ­il mais ne met pas en cause les actes de l’a­gresseur. En effet, seules 14% des femmes vic­times de vio­lence por­tent plainte en France. La plainte dépend du droit pénal, dans lequel doit s’in­scrire la preuve d’une infrac­tion, suiv­ant les cas, les preuves sont par­fois dif­fi­ciles à apporter, c’est le cas pour les vio­ls quand la per­son­ne se présente quelques jours après ou pour les femmes vic­times de vio­lences con­ju­gales qui por­tent plainte après la sépa­ra­tion. Une con­di­tion pour­tant indis­pens­able afin que la demande soit recev­able auprès du pro­cureur et ne pas aboutir à un classe­ment sans suite. La plainte est une démarche lourde, il faut être fort psy­chologique­ment pour affron­ter à nou­veau son bour­reau et revenir sur les faits et elle peut être coû­teuse. C’est pourquoi les asso­ci­a­tions et les inter­venants soci­aux en com­mis­sari­at sen­si­bilisent les femmes sur l’op­por­tu­nité de la plainte. «Le juge­ment est dif­fi­cile pour la per­son­ne dont la plainte n’aboutit pas car elle doit inté­gr­er que le classe­ment sans suite ne veut pas dire que la vio­lence infligée n’a pas existé. La recon­nais­sance de la vio­lence par la société ne vient pas for­cé­ment de la jus­tice qui est froide, donc la plainte ne doit pas être automa­tique, la pre­mière chose est avant tout la mise en sécu­rité», analyse Marielle Val­lon.

La vul­néra­bil­ité des femmes étrangères

Les femmes étrangères sont par­ti­c­ulière­ment dému­nies lorsqu’il y a des vio­lences au sein du cou­ple et que le renou­velle­ment de leur titre de séjour dépend de leur mariage. Depuis la loi du 7 mars 2016, les pré­fec­tures doivent délivr­er un renou­velle­ment de titre de séjour de plein droit lorsque la preuve de faits de vio­lence est apportée, «Ce qui est dif­fi­cile à prou­ver lorsqu’il s’ag­it de vio­lences psy­chologiques comme c’est la cas pour des femmes algéri­ennes que nous recevons. Arrivées en France, pour un mariage con­sen­ti ou for­cé, elles décou­vrent une autre réal­ité, et sont sou­vent exploitées par la belle famille», pour­suit la juriste du CIDFF. Une fois mise à la porte, elles n’ont d’autre choix que de ren­tr­er au pays, où elles peu­vent être mis­es à l’é­cart par leur pro­pre famille. C’est pourquoi la direc­trice aimerait éten­dre leur réseau : «Nous cher­chons donc à dévelop­per des parte­nar­i­ats avec des asso­ci­a­tions au Maghreb qui pour­raient assur­er le suivi et la prise en charge dans le pays d’o­rig­ine.»

Même con­stat pour l’or­gan­i­sa­tion inter­na­tionale con­tre l’esclavage mod­erne (OICEM). A Mar­seille, 65 à 70% des per­son­nes qu’elle reçoit, la plu­part suite à des sig­nale­ments, sont des femmes. Elles sont vic­times d’ex­ploita­tion domes­tique, sex­uelle (pros­ti­tu­tion), d’ex­ploita­tion au tra­vail ou sont issues de mariages for­cés entre des jeunes femmes orig­i­naires prin­ci­pale­ment du Maroc ou d’Al­gérie et des hommes qui ont la nation­al­ité française. «Ces femmes sont réduites à la servi­tude. La belle famille les prive de leur lib­erté en leur con­fisquant leurs papiers, cer­taines jeunes femmes sont séquestrées. La mal­trai­tance peut-être égale­ment physique, et les blessures psy­chologiques sont impor­tantes. Pour toutes les per­son­nes reçues, nous faisons donc un bilan de san­té, nous prenons en compte toutes les formes de traite humaine et nous essayons de faire en sorte qu’elles se remet­tent à vivre et à être autonomes», con­fie Nagham Hriech Wahabi, direc­trice de la struc­ture et psy­cho­logue clin­i­ci­enne. Mais elle rap­pelle que lorsqu’elles enta­ment une procé­dure de plainte, ce qui est le cas pour 80% des femmes qui sont pris­es en charge par cette struc­ture, elles ne sont pas en posi­tion de force. Pour les mariages for­cés ou les cas de servi­tude, l’en­quête dans le huis-clôt famil­ial est dif­fi­cile à men­er et par­fois la famille les a main­tenu dans l’il­lé­gal­ité admin­is­tra­tive depuis plusieurs années sans qu’elles le sachent. L’OICEM les sou­tient durant 5 ans, le temps de la procé­dure. «L’arse­nal lég­is­latif est très bien doté en France mais il faut main­tenant savoir l’ap­pli­quer, le prob­lème de traite des êtres humains a été inté­gré à dif­férentes lois de lutte con­tre les vio­lences faites aux femmes mais mérit­erait d’être traité de façon à part», pour­suit Nagham Hriech Wahabi.

Au niveau nation­al, la grande part des femmes vic­times de vio­lences qui se présen­tent dans les asso­ci­a­tions sont issues de milieux pop­u­laires alors que les vio­lences con­cer­nent toutes les caté­gories socio-économiques sans dis­tinc­tion. Les femmes issues de milieux plus aisés qui déci­dent de sor­tir du silence vont directe­ment porter plainte en com­mis­sari­at et pren­dre un avo­cat mais un grand nom­bre reste encore dans l’anony­mat. Elles se ren­dent rarement dans les locaux d’une asso­ci­a­tion. Un cap a bel et bien été franchi car la lutte con­tre les vio­lences faites aux femmes devient une préoc­cu­pa­tion insti­tu­tion­nelle. Elle reste cepen­dant frag­ile aux yeux des tra­vailleurs de ter­rain qui dénon­cent le manque de moyens notam­ment dans la prise en charge des enfants, vic­times eux aus­si au sein du foy­er, et celle de l’au­teur qui com­mence à s’in­scrire dans les réflex­ions gou­verne­men­tales.

Hélène Bourgon

Décou­vrez le témoignage sonore d’une femme qui revit après une expéri­ence douloureuse : https://www.1538mediterranee.com/2017/06/01/temoignage-apres-la-separation-on-existe-a-nouveau/

Evolution de la loi

L’évo­lu­tion de la loi ces trois dernières années :

Les mesures phares de la loi du 4 août 2014 visent à inciter les pères à pren­dre un con­gé parental, à con­di­tion­ner l’ac­cès aux marchés publics au respect par les entre­pris­es de l’é­gal­ité pro­fes­sion­nelle, à pro­téger les mères isolées des impayés de pen­sion ali­men­taire, ou encore à éten­dre à tous les champs de respon­s­abil­ité le principe de par­ité. Elle per­met aus­si de mieux lut­ter con­tre les vio­lences faites aux femmes, grâce au ren­force­ment de l’ordonnance de pro­tec­tion et des infrac­tions rel­a­tives au har­cèle­ment.

Les mesures phares de 1994 à 2016 :
http://www.familles-enfance-droitsdesfemmes.gouv.fr/dossiers/lutte-contre-les-violences/la-legislation/

Le dis­posi­tif nation­al d’ap­pel d’ur­gence : http://stop-violences-femmes.gouv.fr/

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