A Marseille, former les professionnels pour une meilleure prise en charge

Si cer­taines femmes déci­dent de sor­tir du silence, les inter­locu­teurs à qui elles s’adressent peu­vent être mul­ti­ples et s’avér­er décourageants, notam­ment lors du pre­mier con­tact et face aux...

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Si cer­taines femmes déci­dent de sor­tir du silence, les inter­locu­teurs à qui elles s’adressent peu­vent être mul­ti­ples et s’avér­er décourageants, notam­ment lors du pre­mier con­tact et face aux dif­férentes ques­tions posées. C’est pourquoi de plus en plus de struc­tures publiques et privées font appel à des for­ma­teurs.

Pas­sion­né par son tra­vail, Eric Flo­renti­no est respon­s­able du ser­vice for­ma­tion, au sein SOS Femmes 13 à Mar­seille. «Depuis 4 ans les for­ma­tions explosent, ce sont désor­mais les com­munes et cer­tains respon­s­ables au sein de secteurs pro­fes­sion­nels var­iés comme la san­té, l’é­d­u­ca­tion, la sécu­rité qui vien­nent à nous afin de for­mer leur per­son­nel.» La struc­ture pro­pose aus­si des ren­con­tres entre pro­fes­sion­nels (policiers, psy­cho­logues, tra­vailleurs soci­aux, pro­cureurs) qui reçoivent des femmes vio­len­tées, et sen­si­bilise le grand pub­lic notam­ment lors d’événe­ments organ­isés à l’oc­ca­sion de la journée inter­na­tionale de lutte con­tre les vio­lences faites aux femmes le 25 novem­bre. L’ob­jec­tif prin­ci­pal est la prise en charge à tra­vers des poli­tiques publiques locales. Cer­taines com­munes sont très récep­tives et sont plus faciles d’ac­cès con­traire­ment aux grandes villes comme Mar­seille et Paris où la mul­ti­plic­ité des inter­locu­teurs com­plique les choses. «Les réu­nions d’in­for­ma­tion sont sou­vent pleines avec une forte présence des référents en gen­darmerie, il est impor­tant de tra­vailler avec les ser­vices de police et de gen­darmerie, pour faciliter l’ac­cès à la plainte et je tra­vaille aus­si avec les par­quets d’Aix en Provence et de Mar­seille afin de for­mer les pro­cureurs», ajoute-t-il.

Sen­si­bilis­er les pro­cureurs

Durant ces for­ma­tions de 2 à 3 jours, Eric Flo­renti­no ques­tionne, inter­roge ses inter­locu­teurs sur leurs pro­pres représen­ta­tions vis-à-vis de l’homme et de la femme, ce qui se fait ou pas dans un cou­ple, ce qui est inter­dit ou pas, des ques­tion­nements récur­rents chez les vic­times. Les répons­es durant les for­ma­tions sont un bon indi­ca­teur et traduisent le coté très patri­ar­cal de la société d’après le for­ma­teur. «Une femme vic­time de vio­lence se dit qu’elle est vio­len­tée parce qu’elle est une femme et cela génère une grande frus­tra­tion que les pro­fes­sion­nels que nous for­mons doivent com­pren­dre. Ils doivent aus­si com­pren­dre le sen­ti­ment de cul­pa­bil­ité. Les femmes se sen­tent respon­s­ables, c’est pourquoi elles vont peut-être se présen­ter plusieurs fois au com­mis­sari­at avant de porter plainte. Nous devons aus­si expli­quer aux pro­cureurs qui reçoivent les preuves, que cer­taines d’en­tre elles ne peu­vent plus être apportées du fait de la longueur de la procé­dure.» C’est le cas lors d’un viol, où la péné­tra­tion par sur­prise et sous la con­trainte doit être prou­vée. «Quand une femme se rend au com­mis­sari­at et con­fie qu’elle est vic­time de vio­lences con­ju­gales depuis dix ans, elle vient de dévoil­er entière­ment son intim­ité, elle a fait le max­i­mum et là on lui demande quand, où, com­ment, et cela devient dif­fi­cile de pour­suive. Le polici­er a des con­traintes de procé­dure, de temps et grâce à cette for­ma­tion il pour­ra adapter son lan­gage et son ton», souligne Eric Flo­renti­no. Pour que la plainte soit recon­nue pénale­ment, elle doit être qual­i­fiée avec descrip­tion, explor­er l’in­tim­ité pour savoir ce qu’il s’est passé et pou­voir qual­i­fi­er les faits est le socle de la for­ma­tion. Le for­ma­teur incite les tra­vailleurs soci­aux à ne surtout pas dire : «madame, il faut porter plainte ». Car elles le savent, mais sont dému­nies psy­chologique­ment, surtout quand il n’y a pas d’indépen­dance finan­cière et de solu­tion de rel­o­ge­ment.

Ce tra­vail de for­ma­tion est titanesque car il est impos­si­ble de for­mer tous les pro­fes­sion­nels. «Il y a beau­coup de turn-over dans la police et il est dif­fi­cile de trou­ver des temps de for­ma­tion pour les policiers déjà très sol­lic­ités au quo­ti­di­en par les sit­u­a­tions d’ur­gence», con­fie Abdel Elhom­ri, inter­venant social en com­mis­sari­at au sein de la divi­sion Cen­tre de Mar­seille qui regroupe 6 arrondisse­ments. Il ne se can­tonne pas aux cas de vio­lences faites aux femmes mais aus­si à la pro­tec­tion de l’en­fance, la préven­tion de la délin­quance, aux vio­lences sur ascen­dants, sur les per­son­nes âgées et hand­i­capées. Il écoute, con­seille et prend du temps pour accom­pa­g­n­er toutes ces per­son­nes qui ont été emmenées dans les com­mis­sari­ats ou se présen­tent d’elles mêmes. «Les vio­lences con­ju­gales sont majori­taires con­cer­nant les femmes. Je suis comme une inter­face entre la police, les struc­tures de droit com­mun et le pub­lic. Cela demande de la réac­tiv­ité et de la com­préhen­sion entre les dif­férents mail­lages de la jus­tice et de pou­voir ras­sur­er les vic­times par rap­port à ça», dit-il.

Sen­si­bilis­er les futures généra­tions

Les for­ma­tions s’é­ten­dent depuis quelques années aux pro­fesseurs des écoles en mater­nelle et pri­maire en France, où sont organ­isés des groupes de parole avec les enfants autour du ressen­ti et des émo­tions afin de les aider à décou­vrir qui ils sont, et ain­si dévelop­per leur rap­port aux autres de façon non-vio­lente. Le plan­ning famil­ial à Mar­seille l’ex­péri­mente depuis une dizaine d’an­nées et l’é­tend aux col­lèges et lycées sous la forme d’un «Théâtre-Forum» : des scénettes autour de mul­ti­ples thèmes comme celui des inter­dits imposés par des mem­bres de la famille, ou encore du con­sen­te­ment à l’acte sex­uel. «Dans les groupes d’ado­les­cents, le vocab­u­laire est vio­lent, les rela­tions filles-garçons sont com­pliquées, notre rôle est de regarder la sit­u­a­tion et ce qu’elle provoque en souf­france, pré­cise Claire Ric­cia­r­di, direc­trice de la struc­ture.On essaie de faire bas­culer les opin­ions notam­ment con­cer­nant la ques­tion de l’é­gal­ité homme-femme.» Mais face à toutes ces ques­tions, les struc­tures quelles qu’elles soient sont con­fron­tées à ce que ren­voie la société depuis des décen­nies con­cer­nant le statut de la femme, comme les études de genre le démon­trent. L’en­jeu de la sen­si­bil­i­sa­tion se situe aus­si bien au niveau des nou­velles généra­tions que des anci­ennes qui chaque jour suiv­ent les mod­èles patri­ar­caux trans­mis par la société, des sché­mas de genre bien ancrés qu’il fau­dra décon­stru­ire. Tous respon­s­ables, l’avenir de cette lutte est entre les mains de cha­cun de nous.

Hélène Bourgon

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