Syrie, six ans après

Peut-on s’habituer à l’horreur ? De loin, peut-être. Mais, au quo­ti­di­en, les habi­tants de Syrie ont d’autres préoc­cu­pa­tions. Com­ment sur­vivre au siège à Alep, com­ment con­va­in­cre les jeunes...

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Peut-on s’habituer à l’horreur ? De loin, peut-être. Mais, au quo­ti­di­en, les habi­tants de Syrie ont d’autres préoc­cu­pa­tions. Com­ment sur­vivre au siège à Alep, com­ment con­va­in­cre les jeunes de ne pas quit­ter la zone kurde de Amou­da, com­ment acheter son mazout alors que les mafias ont gag­né en influ­ence à Masayaf et que les prix aug­mentent, com­ment per­me­t­tre aux enfants d’Idleb de pour­suiv­re leur sco­lar­ité, com­ment soign­er les blessés des bom­barde­ments de Der­aa blo­qués à la fron­tière jor­dani­enne? Il y a une force de vie, mais pour­tant, Rana résume : “Notre vie, c’est la peur”.

Car depuis six ans, c’est la guerre. La répres­sion des ser­vices de ren­seigne­ment et de l’armée syri­enne, mais aus­si les bombes russ­es, la logis­tique turque et le sou­tien d’autres pays de la Méditer­ranée. Le Monde arabe, entité poli­tique, a implosé. La Ligue Arabe a mon­tré ses lim­ites. La ques­tion pales­tini­enne, qui ser­vait de ciment aux nations arabes depuis les années 1960, est passée au sec­ond plan. Les diplo­maties ont prou­vé que leurs intérêts nationaux seuls comp­taient. Les idéaux de la Société des Nations se sont fra­cassés sur ces six années de con­flit.

Si la région vit au rythme des négo­ci­a­tions de Genève et de la crainte du retour des dji­hadistes dans leurs pays d’origine, les Syriens qui ont trou­vé refuge en Europe con­tin­u­ent de témoign­er de leur quo­ti­di­en, comme ces anci­ennes pris­on­nières qui racon­tent le sys­tème de tor­ture dans les geôles du régime al Assad à tra­vers le théâtre.

Aujourd’hui, la Syrie est une fab­rique indus­trielle de la bar­barie. Les prémices de cette crise syri­enne pren­nent racine il y a cinquante ans. Hafez al Assad instau­re alors le sys­tème d’une répres­sion général­isée repris ensuite par son fils Bachar al Assad. Au sein de la pop­u­la­tion, le réflexe de défense pousse à réprimer à l’intérieur-même de la famille pour ne pas être réprimé par le régime.

A l’horreur du sys­tème, il faut ajouter l’horreur du ter­ror­isme. Les exac­tions de l’organisation de l’Etat islamique ont pesé dans cette crise, et retourné cer­taines opin­ions. C’est le cas en Algérie, où les exé­cu­tions ont fait remon­ter les sou­venirs des mas­sacres col­lec­tifs du GIA dans les années 1990. Comme en Algérie, ces années de guerre forg­eront les mémoires des Syriens. Comme en Algérie, il fau­dra penser à la réc­on­cil­i­a­tion.

Le con­flit syrien et ses con­séquences sont désor­mais un défi pour toutes nos sociétés méditer­ranéennes. Serons-nous capa­bles de recréer les bases de la paix, comme nos grands-par­ents l’ont fait après 1945?

La trans­for­ma­tion de la société civile syri­enne, elle, pour­rait pass­er par l’Europe. Car pour la pre­mière fois, des Syriens sont sor­tis de la peur de la répres­sion et investis­sent des espaces où ils peu­vent exprimer leur cul­ture.

Il est de notre respon­s­abil­ité, à nous, sociétés voisines, d’offrir les fenêtres néces­saires aux Syriens pour qu’ils par­lent de leur passé et envis­agent leur futur, notre futur.

Pho­to: Ville de Ma’ar­rat al Numan, dans le nord-ouest de la Syrie. Mars 2013
Crédit: Hélène Bour­gon

Rédaction 15–38

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