Pays de tradition soufie, l’Algérie a aujourd’hui du mal à développer la recherche sur le soufisme, alors que les discours inspirés du wahhabisme se développent.
Ils sont quelques dizaines à peine. En Algérie, pays de tradition soufie, les chercheurs qui travaillent sur le soufisme sont peu nombreux et discrets. Si le cheikh Khaled Bentounes, guide de la confrérie Alawiya, né à Mostaganem, est connu dans le monde entier, la pratique du soufisme et son étude sont source d’incompréhension et de critiques dans le pays. Yasmine, 36 ans, de longs cheveux bruns, a été élevée dans une zaouïa : «On nous dit souvent que nous ne sommes pas de vrais musulmans. J’ai compris ma différence la première fois où je suis allée à l’école publique. Chez moi, il n’était pas tabou d’accueillir un chrétien ou un athé, et je n’avais jamais entendu quelqu’un parler de kouffar (mécréant)».
Le soufisme marginalisé sous Boumédiène
«En l’Algérie, de 1965 à 1979, les voix soufies ont été occultées. La décennie noire (la période de terrorisme des années 1990) a permis une prise de conscience et nous sommes désormais plus écoutés», estime un responsable de la zaouia Alawiya. «Les soufis sont discrets, réticents à faire des déclarations, à communiquer sur leurs rencontres et leurs activités car certains salafistes n’hésitent pas à regretter publiquement leur existence», explique Saïd Djebelkheir, le chercheur algérien le plus connu sur la question. Diplômé de Sciences islamiques, il a travaillé comme journaliste et est l’auteur de «Soufisme et référent religieux» (2011).
S’il est souvent interviewé par la presse algérienne, il est parfois violemment attaqué. Lors d’une conférence publique sur la peine de mort organisée par Amnesty Internationale en 2016, il est pris à parti lorsqu’il déclare que le Coran est temporel, c’est à dire, lié à l’époque à laquelle il a été écrit. «Lorsque l’on attaque des propos, les gens se servent d’une argumentation religieuse utilisée par les salafistes. Ce n’est pourtant pas notre culture, ces arguments ont été importés d’Arabie Saoudite», explique le chercheur.
L’Islam officiel, sunnite et malékite
Officiellement, l’Algérie est un pays musulman où l’Islam sunnite est religion d’Etat. Le ministère des Affaires religieuses explique contrôler les cultes pour éviter toute tentative de «déstabilisation». Ainsi, le référent religieux algérien est le rite malékite : «le référant religieux, celui de nos aïeux et des savants, inspiré de l’Ecole de Médine qui a créé la civilisation de l’Andalousie et a préservé les Andalous qui se sont réfugiés au Maghreb, a fait de la société maghrébine une société ouverte et modérée», déclarait Mohamed Aïssa, le ministre des Affaires religieuses à la presse en juin 2016. Si officiellement on fait appel aux zaouias comme aux mosquées pour «lutter contre les invasions sectaires et l’extrémisme religieux», Saïd Djabelkheir déplore un certain laxisme vis à vis du discours salafiste. «On n’essaye pas de les contrôler. On laisse faire le discours rigoriste et violent, qui peut parfois aller jusqu’à l’appel à la violence, comme lorsqu’un salafiste a condamné à mort l’écrivain Kamel Daoud (après une déclaration de l’auteur sur l’Islam sur un plateau de télévision français) », explique-t-il.
A la différence des universités tunisiennes ou marocaines, le soufisme comme domaine de recherche n’existe que depuis une vingtaine d’années en Algérie. «Depuis les années 1980, on étudiait les cultures populaires ou la littérature populaire, et c’est là que l’on parlait de soufisme, résume Said Djabelkheir. Aujourd’hui, nous connaissons très mal notre patrimoine soufi. Il n’est pas complètement recensé. Comme c’est un patrimoine oral, s’il se perd, ce sera irrécupérable. Le plus gros du travail pour la recherche algérienne est désormais d’étudier le soufisme vivant».
Mardi 21 mars à Marseille, le Collège de Méditerranée, dont 15–38 est partenaire, organise à l’école Centrale de Marseille, la conférence «Une spiritualité méditerranéenne ? Islam, soufisme et contact interreligieux dans l’histoire de la Méditerranée» avec Giuseppe Cecere, historien de l’université de Bologne et Sylvie Denoix, historienne du CNRS.