Collège de Méditerranée #3 — L’Europe et l’Islam

Le 18 févri­er au cen­tre social Mer et colline de Mar­seille (8ème) se tenait la troisième con­férence du Col­lège de Méditer­ranée, une ini­tia­tive col­lec­tive portée par une nou­velle...

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Le 18 févri­er au cen­tre social Mer et colline de Mar­seille (8ème) se tenait la troisième con­férence du Col­lège de Méditer­ranée, une ini­tia­tive col­lec­tive portée par une nou­velle généra­tion de chercheurs venus des deux rives de la Méditer­ranée. Au cœur des dis­cus­sions, « L’Europe et l’Islam : his­toire et représen­ta­tions ». L’occasion de revenir sur plusieurs siè­cles de rela­tions, de faire se ren­con­tr­er his­toire et poli­tique afin de mari­er les dis­ci­plines et les regards pour une meilleure com­préhen­sion grâce aux chercheurs Sob­hi Boud­er­bala, his­to­rien des débuts de l’Islam à l’Université de Tunis et Vin­cent Mar­tigny, maître de con­férences en sci­ence poli­tique à l’Ecole Poly­tech­nique et chercheur asso­cié au CEVIPOF (Cen­tre de recherch­es poli­tiques de Sci­ences Po).

Pour les deux chercheurs présents ce jour-là au cen­tre Mer et Colline l’objectif est le même : mon­tr­er que l’essentialisation des blocs ; d’un côté l’Europe, de l’autre l’Islam n’est pas val­able, aujourd’hui comme hier. « Le terme même d’Islam au sin­guli­er peut être ques­tion­né », pré­cise Vin­cent Mar­tigny. « On fait sou­vent par cette for­mule référence au monde arabo-musul­man, qui est loin d’être majori­taire dans l’Islam». Le but est aus­si d’expliquer que la vision de l’Europe sur l’Islam évolue dans le temps au gré des con­textes poli­tiques, intel­lectuels et dans la manière même d’étudier les textes fon­da­teurs.

Pour com­mencer sa présen­ta­tion, Sob­hi Boud­er­bala remonte au 7ème siè­cle et s’appuie sur les écrits des chré­tiens d’Orient pour évo­quer les pre­miers textes pou­vant jus­ti­fi­er des rela­tions entre Europe et Islam. Des textes de Byzan­tins et Chré­tiens vivants dans des régions con­quis­es par l’Islam et les Sar­rasins au milieu du 7ème siè­cle, en Syrie, en Pales­tine et en Égypte.

L’époque est alors à la diffama­tion de la vie de Mahomet et l’image per­dur­era tout en évolu­ant à mesure que sera mis en avant la place que l’Islam accorde à Jésus et Marie dans le texte sacré.

Plus proche de nous, au 19ème siè­cle, nait l’orientalisme académique qui étudie les civil­i­sa­tions ori­en­tales et islamiques et place l’Islam hors de la dynamique du pro­grès.

Pour Vin­cent Mar­tigny qui s’appuie sur les travaux d’Edward Saïd et son ouvrage L’Orientalisme, à cette époque là, l’occident a créé l’orient comme un anti-occi­dent. Il n’est alors pas un sujet mais un objet.

Le dernier con­grès de l’orientalisme en 1973 sonne la mort du mou­ve­ment. Un courant scep­tique appa­raît alors révisant la vision même des débuts de l’Islam. Face à cela, les his­to­riens remet­tent en cause l’héritage ori­en­tal­iste et s’interrogent sur la nais­sance de la pre­mière com­mu­nauté à tra­vers les traces lais­sés par eux (graf­fi­tis, pièces de mon­naie, etc).

Com­ment cette his­toire de l’Islam telle que l’Europe la voit est-elle perçue dans le monde musul­man ? C’est à cette deux­ième ques­tion que répond égale­ment Sob­hi Boud­er­bala. Entre échanges, affron­te­ments et rejets. Une his­toire qui d’un côté comme de l’autre du miroir, ajoute Sob­hi Boud­er­bala, a du mal à être accep­tée. Et c’est bien tout l’enjeu du Col­lège de Méditer­ranée selon lui.

Dans les années 1990, la ques­tion de l’Islam et de sa place dans nos sociétés revient dans les débats iden­ti­taires alors qu’elle n’a pas tou­jours fait par­tie du champ du poli­tique. Mais elle n’est plus vrai­ment religieuse. « Très sou­vent le religieux devient pré­texte. Les réc­its sont mythi­fiés et réin­ter­prétés », avance Vin­cent Mar­tigny.

Après les atten­tats de novem­bre 2015, Vin­cent Mar­tigny note un regain d’intérêt dans l’opinion autour de ces ques­tions, et une volon­té de com­pren­dre qui s’illustre par exem­ple par le suc­cès d’auteurs tels que Gilles Kepel ou Jean-Pierre Fil­iu qui pro­posent d’autres dis­cours sur l’Islam. Un intérêt vis­i­ble ce jour là au cen­tre Mer et Colline. La salle est réac­tive et l’échange s’installe. Les ques­tions fusent, d’abord sur l’Islam ; de sa créa­tion en pas­sant par ses courants. Qui a écrit le Coran ? Qu’est-ce que les hadiths ? L’Hégire ? Face à ces ques­tions, la recherche est poussée à évoluer et « le chercheur à sor­tir de son lab­o­ra­toire », com­plète Vin­cent Mar­tigny. Un com­bat qu’il porte per­son­nelle­ment : « Il y a une vraie appé­tence des gens pour com­pren­dre les ques­tions de base. Le niveau de con­nais­sance sur ces ques­tions est faible. De l’ignorance naît l’angoisse. Il est néces­saire pour les chercheurs d’aller dia­loguer avec le pub­lic et de l’informer. » Mais le poli­tiste est con­scient des faib­less­es des chercheurs, par­fois enfer­més dans un jar­gon peu acces­si­ble, ou trop mod­estes pour met­tre leurs travaux en avant. Lui plaide pour une hor­i­zon­tal­ité plus forte : « Nous devons mul­ti­pli­er les for­mats, d’autant plus en péri­ode élec­torale, pour être des guides et des gardes fous ».

Pour revoir la con­férence dans son inté­gral­ité suiv­ez le lien

https://vimeo.com/205254307

La prochaine conférence du Collège de Méditerranée aura lieu le 21 mars à l’école Centrale de Marseille

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