Face aux micro-particules de plastique, la Méditerranée multiplie les micro-initiatives

Si la ques­tion de la prise de con­science de la pol­lu­tion par le plas­tique sem­ble avoir fait son chemin, les actions des sociétés civiles, peu soutenues par les...

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Si la ques­tion de la prise de con­science de la pol­lu­tion par le plas­tique sem­ble avoir fait son chemin, les actions des sociétés civiles, peu soutenues par les pou­voirs publics, sem­blent bien min­imes.

Un matin d’avril, sur la plage de Tigzirt, sur la côte algéri­enne, une trentaine de plongeurs est réu­nie par les autorités. Ils vien­nent des clubs de plongées de la région, mais ce jour là, ils sont invités par le Con­ser­va­toire nation­al du lit­toral, à ramass­er les déchets plas­tiques dans le port de la ville.
En févri­er 2017, Alger a signé en Indonésie, la con­ven­tion des Nations Unies pour l’environnement, sur la lutte con­tre les déchets plas­tiques et micro-plas­tiques en milieu marin. Le min­istre des ressources en eau a donc don­né instruc­tion de faire respecter cette con­ven­tion, et la respon­s­able locale a voulu organ­is­er un net­toy­age avant l’été. «Toutes les ordures que nous jetons dans la nature finis­sent leur périple dans le fonds marin à l’arrivée de la sai­son hiver­nale où les cours d’eau empor­tent tous les déchets sur leur pas­sage pour les dévers­er dans la mer. Ces pol­lu­ants devi­en­nent par la suite une nour­ri­t­ure pour les pois­sons et  délivrent des sub­stances qui désta­bilisent l’équilibre biologique sous-marin et por­tent atteinte aux créa­tures qui y vivent», explique à la presse Kamela Haliche, prési­dente de la sec­tion locale du Con­ser­va­toire nation­al du lit­toral (CNL).

Inter­dic­tion de l’utilisation des sacs plas­tiques

Dans les qua­tre tonnes de déchets ramassés ce matin là dans le port, beau­coup de bouteilles en plas­tique, d’autres en verre, d’an­ciens filets de pêche, des objets métalliques et des pneus. Et les plongeurs n’ont par­cou­ru qu’une cen­taine de mètres car­rés. Cette opéra­tion, en présence des autorités locales et de représen­tants des autorités nationales, est rare, mais peut être le signe du début d’une prise de con­science de l’importance de lut­ter con­tre la pol­lu­tion aux micro-par­tic­ules de plas­tique.
En Algérie, le min­istère de l’Environnement avait annon­cé en grande pompe un pro­jet d’interdiction ou de lim­i­ta­tion de l’usage des sacs plas­tiques. Mais dans le quo­ti­di­en, les com­merçants con­tin­u­ent à fournir un sac noir pour l’achat un paquet de cig­a­rette, ou quelques bon­bons. Si d’autres pays de la Méditer­ranée ont pris des mesures con­tre l’utilisation des sacs plas­tiques, comme la Tunisie qui en a inter­dit la vente aux caiss­es des super­marchés au print­emps 2017, ces mesures restent insuff­isantes, vue l’ampleur de la cat­a­stro­phe. La Méditer­ranée est l’espace mar­itime où le taux de micro-par­tic­ule de plas­tique est le plus élevé au monde : 115 000 par­tic­ules par kilo­mètre car­ré. D’ici 2050, selon les chercheurs, la qua­si-total­ité des oiseaux marins auront ingéré du plas­tique.

Les organ­ismes marins con­t­a­m­inés

Chaque année, 8 mil­lions de tonnes de plas­tique sont déver­sées dans les mers et les océans. Or 80% de la pol­lu­tion qui touche les mers est d’origine ter­restre et issue de l’activité humaine. Les chercheurs sont unanimes : pour pro­téger la mer, il faut réduire l’utilisation de plas­tique par les hommes. En juin 2017, une équipe sci­en­tifique de Malaisie alerte sur la con­t­a­m­i­na­tion des sels marins, util­isés dans l’alimentation. «Nous pen­sons que la plu­part des pro­duits issus de la mer sont con­t­a­m­inés avec des microplas­tiques, estime Ali Kara­mi du lab­o­ra­toire de tox­i­colo­gie marine de l’université de Putra Malaysia. Nous n’en sommes qu’au début du cauchemar! Vien­dra le moment où nous n’oserons plus manger un seul pois­son!» L’équipe sci­en­tifique a pu détecter des par­tic­ules de plas­tique supérieures à 149 μm dans 17 mar­ques de sels de table, venant de huit pays. Les taux con­statés ne sont pas préoc­cu­pants, pour le moment, selon les chercheurs.

A l’origine de cette con­t­a­m­i­na­tion, la présence de plas­tique dans les eaux, qui même lorsqu’il se dégrade et n’est plus vis­i­ble à l’oeil nu, a un impact impor­tant sur les organ­ismes vivants. Les chercheurs recom­man­dent notam­ment d’être vig­i­lant sur l’utilisation de micro­billes de plas­tique par le secteur cos­mé­tique. «Les microplas­tiques ont une durée de vie très longue et peu­vent per­sis­ter dans l’environnement durant des décen­nies, pré­cise Abol­fa­zl Golieskar­di, prin­ci­pal col­lab­o­ra­teur de Ali Kara­mi. Je pense que la pol­lu­tion par les plas­tiques est de nature à éradi­quer toute vie sur la planète. C’est le grand méchant loup du XXIe siè­cle!»

L’initiative de la Fon­da­tion Albert II de Mona­co

Les sociétés civiles ont ten­té de s’emparer de cette prob­lé­ma­tique il y a des années, sans résul­tat spec­tac­u­laire. Pour­tant, en 2015, plusieurs acteurs se sont réu­nis à l’initative de la Fon­da­tion du Prince Albert II de Mona­co, pour une con­férence «Beyond Plas­tic Med». A l’issue de cette réu­nion, plusieurs fon­da­tions dont Mava, Surfrid­er Europe, Véo­lia et la Fon­da­tion de Mona­co se sont engagées à chercher des solu­tions inno­vantes pour lut­ter con­tre la pol­lu­tion aux micro-par­tic­ules de plas­tique. Un an plus tard, onze micro-ini­tia­tives méditer­ranéennes obti­en­nent un finance­ment pour des pro­jets qui poussent à réduire la con­som­ma­tion de plas­tique, dans le cadre du pre­mier appel à pro­jet de la Fon­da­tion.

Sur l’île de Chypre, l’une des ini­tia­tives primée pro­pose de met­tre l’accent sur la pol­lu­tion provo­quée par le tourisme, en inci­tant les touristes à utilis­er moins de matéri­aux plas­tiques pen­dant leur séjour. Au Mon­téné­gro, l’opération Veli­ka Plas­tic Free veut pouss­er les buvettes de plage à utilis­er des cou­verts en bois, à tri­er leurs déchets en plas­tiques et à affich­er des mes­sages de sen­si­bil­i­sa­tion pour les baigneurs. En Tunisie, l’association Jlil pour l’environnement marin pro­pose d’organiser des col­lectes des déchets, de créer des acces­soires de col­lecte de plas­tique et de for­mer 10 pro­fes­sion­nel aux tech­niques de sen­si­bil­i­sa­tion. «Nous tra­vail­lons sur plusieurs pro­jets comme Plas­tistop avec Bemed, Mosta9bali avec la fon­da­tion alle­mande Mitost, GERACIDD avec le PASC, nous tra­vail­lons aus­si avec des acteurs publics comme l’Anged, l’A­pal sur des pro­jets de sen­si­bil­i­sa­tion sur la ges­tion des déchets, la citoyen­neté, et le tri sélec­tif. Mal­heureuse­ment, cette pol­lu­tion n’est pas un sujet qui fait par­tie du débat pub­lic. Les asso­ci­a­tions font beau­coup, mais le prob­lème c’est que l’état ne col­la­bore pas avec nous, et que le citoyen n’a pas encore pris con­science de la ques­tion de la pro­tec­tion de l’environnement . Nous tra­vail­lons désor­mais d’avantage avec les jeunes et les enfants», explique Faiçal Ghzaiel, le respon­s­able du pro­jet Plas­tistop.

Manque de coor­di­na­tion entre acteurs locaux

«En Tunisie, après la révo­lu­tion, la ges­tion des déchets est dev­enue irrégulière. Les protes­ta­tions envi­ron­nemen­tales se sont dévelop­pées à par­tir d’ouvertures poli­tiques sans précé­dent, par lesquelles les acteurs soci­aux et poli­tiques ain­si que les citoyens ordi­naires ont com­mencé à organ­is­er des man­i­fes­ta­tions dans les prin­ci­pales villes tunisi­ennes. Ces formes d’ac­tivisme ont vu des phas­es de protes­ta­tion rad­i­cal­isée évoluer vers des moments paci­fiques de mobil­i­sa­tion, même s’ils ne se sont pas dévelop­pés comme un mou­ve­ment envi­ron­nemen­tal unique», analyse Chiara Loschi, chercheure du CNRS auprès de l’Institut de Recherche sur le Maghreb Con­tem­po­rain. Les ini­tia­tives locales sem­blent pour le moment pas assez coor­don­nées pour avoir un impact plus impor­tant.

Sur les côtes algéri­ennes, dans les mémoires des asso­ci­a­tions de pro­tec­tion de l’environnement, on se sou­vient de l’opération MED. En 2014, un voili­er mené par un groupe d’experts algériens a par­cou­ru la côte pour étudi­er la pol­lu­tion aux plas­tiques. Pour cha­cune des qua­tre étapes, une ren­con­tre avec le pub­lic et des asso­ci­a­tions avait été organ­isée. Mais les sci­en­tifiques n’ont jamais reçu l’autorisation d’effectuer les prélève­ments néces­saires. «Les autorités nous ont dit à l’époque qu’une telle autori­sa­tion devait pass­er par six min­istères. Depuis, ils ont allégé la procé­dure, et nous avons pu en béné­fici­er lors de notre expédi­tion sur les grands requins l’année suiv­ante», explique Emir Berkane, porte-parole de l’initiative. Là encore, l’initiative n’a pas engen­dré de révo­lu­tion envi­ron­nemen­tale, mais elle peut-être eu un impact, impos­si­ble à quan­ti­fi­er pour le moment. «Nous avons réus­si, grâce à l’implication d’acteurs asso­ci­at­ifs locaux, à organ­is­er des séances de sen­si­bil­i­sa­tion pour des cen­taines d’enfants, ce que d’autres pres­tigieuses opéra­tions envi­ron­nements inter­na­tionales n’avaient pas réus­si à faire», souligne Emir Berkane.

Leïla Berat­to

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