“Il faut connaître les autres directement, pas à travers la fenêtre des médias et d’internet”, nous explique, Walid, l’un des premiers participants au programme Erasmus virtuel dans la ville de Sfax, en Tunisie. Suite au Printemps arabe de 2011 en Tunisie, ce sont les jeunes qui sont finalement les plus engagés dans une participation active, diffusée au sein de la société civile locale dans les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. 1 125 jeunes ont participé à ce programme en Tunisie, pays comptant le plus de participants jusqu’à présent, suivi par l’Italie (877), la Jordanie (779) et le Maroc (572).
L’Erasmus virtuel
Depuis 1987, date de lancement du projet Erasmus, 9 millions de personnes ont participé au programme, selon les chiffres de la Commission européenne. On peut considérer que c’est le projet européen qui a connu le plus grand succès au cours des dernières années. À partir de 2014, Erasmus+ inclue toutes les initiatives d’échanges visant à étudier, enseigner, être bénévole, coopérer et regrouper les jeunes d’Europe et des pays voisins dans le but de les préparer à une réponse collective aux défis mondiaux. Mais le vrai virage est survenu en 2015, lorsque le programme a été étendu hors des frontières européennes.
En 2018, une version virtuelle du programme a été lancée sur le European Youth Portal dans l’objectif de générer de nouvelles possibilités d’échanges et d’ouvrir des opportunités de dialogue interculturel dans la Méditerranée avec l’Algérie, l’Égypte, la Jordanie, le Liban, la Syrie, la Palestine, la Tunisie et la Libye. En 2018, 8 222 personnes (44,5% 18–21 ans; 36,3% 22–25 ans; 12,9% 26–30ans) ont participé aux activités de Virtual Exchanges, avec une majorité de femmes (60,6%) et d’étudiants du supérieur (64,1%). “Cela ouvre de grandes possibilités, c’est très novateur. Cela permet d’effacer les entraves à la liberté de circulation ou les barrières économiques. C’est un espace sûr et confortable qui permet d’intégrer des personnes habituellement exclues, surtout dans les pays en développement”, affirme un participant. “C’est révolutionnaire : une possibilité inédite de partager des visions diverses, d’apprendre les uns des autres et de mieux comprendre des perspectives différentes”, ajoute un autre participant.
En 2011, lors des Printemps arabes qui ont touché plusieurs pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, la Commission Européenne a souligné le besoin de rassembler de nouvelles sources pour Erasmus+. Ainsi, en décembre 2017, l’Association des universités méditerranéennes, qui regroupe 108 institutions issues de 23 pays, a lancé une pétition pour demander à l’Union européenne d’accroître le nombre de bourses pour les échanges Euro-méditerranéens, visant une augmentation à 30 000 entre 2021 et 2027. Cela revêt une importance toute particulière dans le contexte actuel de stigmatisation des flux migratoires par les partis de droite xénophobes qui tentent d’imposer des limites à la mobilité des jeunes entre l’Afrique du Nord et l’Europe.
La Commission européenne a pourtant proposé de doubler les financements pour Erasmus. Pour le programme 2014–2020, le budget est de 14,7 milliards d’euros, et la proposition pour 2021–2027 est d’atteindre 30 milliards. Erasmus+ Virtual Exchange a le potentiel d’augmenter le nombre de participants en réduisant les barrières à la participation et d’impliquer plus de jeunes sur les deux rives de la Méditerranée, notamment pour les plus marginalisés, comme les réfugiés.
L’objectif est d’avoir des partenaires parmi les ONG comme Kiron, qui travaille spécifiquement dans le but de permettre aux réfugiés d’accéder à l’enseignement supérieur, en réalisant des échanges virtuels qui permettent des dialogues entre réfugiés et jeunes non réfugiés, comme le cours Réfugiés en Europe, ou le Newcomers and Nationalism.
Cependant, les barrières politiques et culturelles demeurent, comme l’illustre la décision de la Ligue du Nord, parti politique du ministre de l’Intérieur italien, Matteo Salvini, de s’opposer à l’élargissement du programme Erasmus, virtuel et physique, aux pays d’Afrique du Nord.
Les jeunes pionniers
Nous nous sommes entretenus avec des jeunes participants à Erasmus+ Virtual Exchange dans le cadre d’un projet d’évaluation des expériences de Virtual Exchange que l’Université de Padoue est en train de développer avec d’autres organismes de recherche en Europe. Les répondants ont confirmé qu’ils ont vécu une bonne expérience en termes de construction de relations interculturelles. “Cela a été une belle expérience, nous sommes toujours en contact avec d’autres participants. J’étais le seul réfugié de mon groupe et j’étais très intéressé par le fait de découvrir les expériences des autres : cela a été émouvant”, affirme l’un des participants.
Les personnes interrogées sont les jeunes pionniers du projet. Il proviennent de 42 pays des deux côtés de la Méditerranée, et certains sont des réfugiés qui vivent en Europe ou qui aimeraient y vivre. En accédant à une plateforme en ligne à travers les associations de jeunes et universitaires en Europe et en Afrique du Nord, ils se sont rencontrés à l’occasion de sessions consacrées à divers sujets.
Certains ont ajouté que cette expérience a remis en cause leurs idées reçues. “Cela m’a permis de beaucoup améliorer mes capacités en communication — nous avons appris à ne pas juger les autres et à se mettre dans leur peau. Nous avons acquis des compétences qui seront utiles dans notre vie quotidienne”, déclare un répondant. De plus, les participants ont rencontré des gens, discuté de différents sujets et construit des relations significatives. La majorité des répondants ont eu des contacts et ont tissé des liens d’amitié après la fin du programme, et ils ont prévu de se rencontrer en personne dans un avenir proche.
Toutes les personnes interrogées ont exprimé leur souhait de participer à de futures expériences d’échange virtuel. “Virtual Exchanges, c’est l’avenir ; c’était plus simple et intéressant que ce à quoi je m’attendais avant de participer”, a expliqué un interviewé. Les jeunes qui ont participé à l’étude ont confirmé que cette expérience a renforcé leurs capacités à communiquer, travailler en équipe et résoudre des problèmes.
Se sentir plus proches
Certains ont souligné des problèmes de connexion internet ou pour compléter leur projet vidéo. D’autres ont souligné que le sujet de la crise des migrations en Europe, par exemple, pourrait être davantage approfondi. “Dans mon groupe, il n’y avait qu’un seul participant qui avait été impliqué dans les politiques relatives aux réfugiés”, fait remarquer l’un des répondants. De plus, on note un intérêt spécifique à discuter des politiques migratoires et de la représentation médiatique des événements internationaux de la part des médias locaux.
Les jeunes de la Méditerranée seront plus proches les uns des autres en dépassant la formule traditionnelle du programme Erasmus. Cette initiative ouvre de nouvelles possibilités, qui n’ont pas encore été explorées – comment étudier des sujets d’actualité d’intérêt commun, notamment la crise migratoire qui concerne les deux rives de la Méditerranée. Virtual Exchange est une réalité nouvelle dont l’objectif est de dépasser les barrières économiques et politiques à la mobilité des jeunes d’Europe et d’Afrique du Nord. L’objectif de ce projet pilote est de toucher 16 000 jeunes à la fin 2019 et de développer une stratégie complète pour parvenir à intégrer Virtual Exchange dans l’enseignement du programme Erasmus 2021–2027, de manière formelle et informelle.
Une communauté de facilitateurs est en train de se développer. 265 d’entre eux ont déjà participé à des formations en la matière. Des organisations de jeunes et universitaires sont en train de développer leur programme de Virtual Exchange en partant de la base avec le soutien de facilitateurs Erasmus+. Ils développeront leurs programmes d’enseignement et de mobilité internationale, stimulant le sens de la curiosité chez les jeunes, encourageant leur capacité à entrer en contact avec l’autre et à construire des relations significatives au-delà des frontières entre les sociétés.