Après la guerre à Benghazi : rentrer chez soi, coûte que coûte

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Le cen­tre-ville du berceau de la révo­lu­tion libyenne a été forte­ment détru­it par les com­bats de 2014 à 2017. En l’ab­sence d’au­torité effi­ciente, les pro­prié­taires met­tent la main à la pâte pour répar­er les dégâts et ren­tr­er chez eux au plus vite.

Des bâti­ments troués d’im­pacts de balles menaçant de s’ef­fon­dr­er ou por­tant l’in­scrip­tion « Dan­ger mines ». La rue Al-Ageeb, au cœur du cen­tre his­torique de Beng­hazi, cap­i­tale de l’est libyen, sem­ble morte. Pour­tant, le rythme sourd d’un marteau se fait enten­dre. Au troisième étage d’un immeu­ble, sans vit­re et rongé par les traces des com­bats qui ont ryth­mé Beng­hazi de 2014 à 2017, Ahmed Ellouni a décidé de remet­tre en état son loge­ment. Comme tous les habi­tants de son quarti­er, il ne compte que sur lui-même – et sur son fils aîné — pour se réin­staller au plus vite dans son apparte­ment : « J’e­spère revenir dans 6 mois. Je fais les travaux petit à petit, lorsque j’ai de l’ar­gent. » L’ingénieur qui tra­vaille dans une com­pag­nie pétrolière ne le cache pas : s’il souhaite ren­tr­er chez lui au plus vite, c’est pour une ques­tion d’ar­gent : « Cela fait qua­tre ans que je loue un loge­ment à 700 LYD (437 €, au taux offi­ciel). J’au­rais pu rénover deux fois mon apparte­ment avec cette somme. Les travaux vont me coûter env­i­ron 14 000 dinars (8 750 €). »

Ce père de six enfants a dû quit­ter son loge­ment à l’au­tomne 2014 sous les bom­barde­ments. Quelques mois plus tôt, en mai, Khal­i­fa Haf­tar avait lancé son opéra­tion « Kara­ma » (Dig­nité) con­tre une coali­tion hétéro­clite de groupes révo­lu­tion­naires et dji­hadistes, comme l’E­tat islamique ou Ansar al-Charia. Devenu maréchal, l’homme fort de l’est libyen a annon­cé sa vic­toire totale à Beng­hazi en juil­let 2017. Le cen­tre-ville de la sec­onde ville du pays, où vivait Ahmed Ellouni, a été le dernier quarti­er à tomber. Un an et demi plus tard, ses habi­tants ten­tent de repren­dre leur vie nor­male. Une source sécu­ri­taire estime que 200 des 1 000 familles du quarti­er seraient ren­trées chez elles. La mairie, elle, se mon­tre plus opti­miste, indi­quant que 80 % de la pop­u­la­tion a réin­té­gré son loge­ment.

La munic­i­pal­ité a demandé aux vic­times des com­bats de dépos­er un dossier pour obtenir un dédom­mage­ment estimé à 1 000 LYD (625 €) le mètre car­ré. Mais quand sera-t-il ver­sé ? Nidal Al Kadi­ki, respon­s­able de la com­mu­ni­ca­tion à la munic­i­pal­ité, reste pru­dent : « Le coût total de la recon­struc­tion de Beng­hazi est éval­ué à 50 mil­liards de dinars. Un tel pro­jet n’est pas du ressort de la munic­i­pal­ité, mais du gou­verne­ment. » Or, la Libye est divisée en deux gou­verne­ments depuis des années. Le Gou­verne­ment d’U­nion nationale, recon­nu par la com­mu­nauté inter­na­tionale, est basé à Tripoli et n’a aucun pou­voir à Beng­hazi, située 1 000 km plus à l’est. Le gou­verne­ment de Bei­da (200 km à l’est de Beng­hazi) con­trôle la Cyré­naïque (est libyen) et une par­tie du sud grâce à Khal­i­fa Haf­tar, son bras armé. Mais cette autorité peine à tra­vailler, en l’ab­sence d’une recon­nais­sance inter­na­tionale et d’ar­gent.

Une équipe d’ex­perts ingénieurs a mal­gré tout inspec­té le cen­tre de Beng­hazi. Ils ont estimé que 20 % des bâti­ments doivent être démo­lis. Cepen­dant, la pop­u­la­tion n’a tou­jours pas reçu les con­clu­sions. « Nous avons vu ces hommes vis­iter le quarti­er. Ils n’ont rien dit à part rem­plir des dossiers à la mairie. Ils ne nous ont don­né aucune instruc­tion con­cer­nant les bâti­ments », se plaint Adel Cherif, un habi­tant. Nom­breux sont donc ceux, comme Ahmed Ellouni, qui com­men­cent les travaux sans savoir si les fon­da­tions de leur immeu­ble ont été touchées ou non. « Le bâti­ment est en bon état », assure Ahmed Ellouni. Pour­tant, le rez-de-chaussée, ouvert à tous les vents, mon­tre un pla­fond béant, des pylônes effon­drés ou lais­sant appa­raître des tiges de fer que cer­tains n’hési­tent pas à récupér­er pour les reven­dre. « De toute façon, je ne pou­vais plus atten­dre. J’ai la chance d’avoir encore les murs de mon apparte­ment, alors que d’autres n’ont plus rien. Dieu est avec moi et il m’aidera. »

Le Beng­haziote compte égale­ment sur l’aide de la munic­i­pal­ité qui a remis en état les réseaux d’eau et d’élec­tric­ité dans 80 % du quarti­er. Mais à 500 mètres de là, les habi­tants n’ont pas eu la patience d’at­ten­dre. Ils se sont rac­cordés au réseau élec­trique par leurs pro­pres moyens. En cette après-midi plu­vieuse de décem­bre, Abdel­rah­man Arbar et ses voisins ont for­mé un attroupe­ment autour du comp­teur élec­trique de leur immeu­ble. De la fumée s’en échappe, avec quelques grésille­ments. Pas de quoi les inquiéter : « ce n’est rien, nous allons répar­er cela. » Un des hommes rigole : « nous sommes Libyens, nous sommes des aven­turi­ers, nous pou­vons tout faire. » Abdel­rah­man Arbar renchérit : « J’é­tais l’un des pre­miers à ren­tr­er chez moi, en 2017. Nous avons tout fait nous-mêmes dans cette rue : l’eau, l’élec­tric­ité, le démi­nage… »

Un sys­tème D qui n’est pas sans con­séquence. Les mines cachées par les dji­hadistes con­tin­u­ent de faire des dégâts. En novem­bre, un homme est mort dans le quarti­er en pas­sant devant une école.
L’ab­sence d’État prof­ite à d’autres. En périphérie de Beng­hazi où les ter­rains vides étaient nom­breux, les con­struc­tions anar­chiques fleuris­sent, alors que le ser­vice du cadas­tre ne fonc­tionne qua­si­ment plus depuis la révo­lu­tion de 2011. « Les entre­pre­neurs mis­ent sur le fait que le jour où il y aura un vrai État, il sera devant le fait accom­pli et actu­alis­era le cadas­tre avec ces nou­veaux bâti­ments », explique un pro­mo­teur immo­bili­er sous cou­vert d’anony­mat. Pour le cen­tre de Beng­hazi, il fau­dra d’abord répon­dre à la ques­tion du style archi­tec­tur­al : doit-on recon­stru­ire à l’i­den­tique les bâti­ments ital­iens datant de la coloni­sa­tion ou faire un trait sur ce passé avec des bâti­ments mod­ernes ? Les habi­tants sont partagés. Mais les entre­pris­es, elles, planchent déjà sur des pro­jets. Une com­pag­nie libanaise ayant par­ticipé à la recon­struc­tion de Bey­routh, dans les années 1990, a déjà ren­con­tré les autorités pour pro­pos­er sa vision du nou­veau Beng­hazi.

Reportage à Benghazi Maryline Dumas et Mathieu Galtier (texte et photos)

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