Judi Kaya est journaliste photographe, originaire de Qamichili, elle est allée à la rencontre des enfants cordonniers d’Alep réfugiés dans cette capitale kurde au Nord Est de la Syrie. Ses photos sont disponibles dans le livre SOURYA (ICI) qui rassemble les clichés de 27 Syriens et Syriennes photographes. Ils retracent dans les différentes villes du pays le quotidien des Syriens des sept dernières années.
15–38 : Quand avez-vous commencé le travail de photographe ?
J’ai commencé il n’y a si longtemps, en 2015. Depuis deux ans et demi, j’ai arrêté la fac et j’ai commencé à apprendre le métier de photographe.
15–38 : Pourquoi avez-vous commencé ce travail ?
Je prenais des photos depuis le début de la révolution, j’aimais prendre en photo tout ce qu’il se passait. Mes photos étaient appréciées. Et puis il y a eu des événements vraiment difficiles. Et je vivais au milieu de tout ça, je voyais beaucoup de choses. Je devais construire une mémoire. Les photos sont comme un guide afin de comprendre l’Histoire et chaque événement qui est en train de se passer en Syrie. Donc je prends beaucoup de photos, et j’en ai envoyées à l’ASML (Association syrienne des médias libres). Ces photos sont destinées à l’ASML et également à un autre journal. Je photographiais tous les jours, le quotidien des gens, la vie, la mort, pour montrer ce qu’il se passe ici.
15–38 : Où avez-vous commencé à photographier ?
A Hassaké, à Qamichili dans le Rojava (nouvelle province kurde), je suis originaire de Qamichili (Nord-Est de la Syrie).
15–38 : Que faisiez-vous au début de la révolution ?
J’ai vu beaucoup de choses, des morts, des assassinats, je photographiais, je parlais avec les gens. J’ai vu l’explosion qui a eu lieu près de Amouda (proche de Quamichili) il y a un an. J’ai vu les morts, les corps, les enfants à terre, les gens sortir des rues et des maisons et se rassembler. C’est une région où vivent des chrétiens, des kurdes, des Arabes, et chaque personne à l’intérieur même de ces communautés a elle-même des divergences et ou des convergences politiques, idéologiques. Et tous ont toujours vécu et vivent encore ensemble, même si certains sont pour le régime, d’autres pour le chef des Kurdes, ou d’autres encore pour la révolution. La mort en ces temps les rassemble, ils vivent les mêmes tragédies. Et à la fin ce sont des gens innocents qui meurent. L’explosion qui a eu lieu sur la route à Amouda l’an dernier, a fait 180 morts. Il y a des divergences d’opinion dans les médias, il y a ceux pour tel parti, d’autres pour telle autre idéologie. Il n’y a pas un média général.
Donc on essaie de montrer la situation par les photos, les images.
15–38 : Comment se passe votre travail de reporter ?
C’est très difficile avec la présence dans ma région des forces kurdes syriennes rattachées au PKK turc (parti des travailleurs kurdes). Ils contrôlent la région. J’ai eu un problème avec un membre syrien du PKK. Il y avait eu une explosion, j’ai photographié comme d’habitude mais il est venu vers moi, m’a interdit de photographier et m’a demandé pour qui je travaillais et si j’avais des papiers qui le prouvaient. Je lui ai dit que je travaillais pour SMART (agence de média syrienne) mais il m’a re-demandé si je travaillais pour le régime syrien et il a pris mon appareil des mains. J’étais coincée dans la lanière cela me faisait mal. J’avais demandé à quelqu’un d’aller chercher mes papiers. Mais cet homme continuait à tirer la lanière et à me faire mal et à m’insulter. Ils veulent nous faire peur, et personne ne peut nous défendre. Le problème est qu’il n’y a plus du tout d’État, de lois. Donc c’est la loi de la jungle et chacun fait sa loi. Si les gens ont un peu de pouvoir, ils en profitent. Cet homme m’a menacée, j’avais peur.
A Qamichili il y a un centre pour les médias, j’y suis allée mais ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient rien faire. Donc je continue d’avoir peur de lui. Il n’y a plus de centres, d’organisation ou d’administrations fiables. Sans loi de protection de toute façon c’est difficile. Donc c’est compliqué d’interviewer les gens et de photographier ce qui se passe dans la rue. Nous ne sommes pas libres de pratiquer le journalisme où que l’on soit en Syrie. Il faudrait une loi qui protège les journalistes. De plus sur le terrain, quand une bombe explose une deuxième peut exploser juste après. Nous sommes constamment exposés, sans compter les zones où Daech est présent (quartier de Chaddade). Tout est dangereux, c’est un métier très difficile. Les gens parlaient mais après sept ans de conflit ils ne veulent plus parler aux médias. Ils ont peur car c’est devenu très dangereux de s’exprimer.
15–38 : Pourquoi avez-vous photographié le travail des enfants que l’on découvre dans l’ouvrage SOURYA ?
Ces enfants ont une situation particulière. Ils ne viennent pas de Qamichili mais d’Alep. Ils ont tout laissé derrière eux ; leurs maisons souvent détruites et leur vie.
Je les ai prises à Qamichili mais ces enfants viennent d’Alep, ils sont réfugiés à Qamichili.
Ils n’ont plus accès à l’école depuis des années et vivent dans ces petits ateliers de cordonnerie où ils travaillent aussi, dans des conditions difficiles. Ils travaillent dans la cordonnerie de père en fils, c’est un métier qui se transmet de génération en génération. Mais le problème c’est que sans école, sans éducation, ils commencent désormais à travailler très jeunes. Certains commencent à l’âge de 6 ans ! Ils ont beaucoup de responsabilités pour leur âge, vivre d’un métier à 6 ans, et ils ne font que ça. A Alep, leurs familles avaient des petites entreprises familiales dans les cordonneries mais avec la guerre ils ont dû tout quitter. Ils ont tout perdu et doivent tout recommencer de zéro.
Là ils louent une petite maison, très vieille et vétuste, il y a seulement deux ou trois pièces pour toute une famille.
Ils ne vont pas à l’école car ils n’ont pas le temps. Et ils aiment faire ce métier. Ils ne peuvent pas aller à l’école à Quamichili car selon eux, ils n’en tireront aucun profit. Toutes les écoles à Qamichili sont désormais kurdes et les enfants arabes comme eux n’ont pas envie de devoir apprendre le kurde. Ils pensent qu’il est préférable de travailler, d’apprendre un métier dès maintenant pour assurer leur avenir. Ils n’ont pas besoin du kurde.
Il y a quelques écoles arabes dans le Rojava (nouvelle province kurde au Nord Est) mais il y en a seulement deux ou trois et elles sont surpeuplées. Les élèves ne peuvent pas apprendre dans de bonnes conditions.
15–38 : Et vous maintenant qu’allez-vous faire ?
Maintenant, je vis en Turquie. Je travaille pour l’UOSSM (organisation médicale). Une galerie prépare une exposition de la situation médicale en Syrie. Pour l’instant, je suis en formation. J’espère ensuite repartir en Syrie. Je pense que tous les photographes et journalistes doivent aller en Syrie. Il y a énormément de sujets intéressants à reporter ! Faire des documentaires, c’est notre travail. J’irai travailler à Qamichili et reviendrai parfois en Turquie. Là je travaille pour le centre des médias syriens pour la liberté d’expression qui existait déjà en Syrie avant la révolution. C’est maintenant basé à Gazientep au sud de la Turquie.
Hélène Bourgon
Photo Une : Des membres des Défense Civile Syrienne (“Casques Blancs”) éteignant un feu causé par les bombes à fragmentation russes sur un marché de carburant à Maarat al-Naasan @Radwan el-Homsi
Livre SOURYA en vente ici : https://asmlsyria.com/product/sourya-photo-album/