En Grèce, “malgré les désillusions le combat continue”

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« Il y a trois ans jour pour jour le peu­ple a don­né l’ordre de met­tre fin à l’esclavage de notre pays par la dette. Cet ordre a été vio­lé. Mais une défaite n’est pas la fin, de la même manière qu’il n’y a pas de vic­toire finale. Ren­dez-vous dans deux mois pour un nou­veau départ. » C’est par ces quelques mots (en grec) sur son compte twit­ter que Yanis Varo­ufakis a choisi ce 25 Jan­vi­er 2018 de com­mé­mor­er les 3 ans de Syriza au pou­voir et d’annoncer la créa­tion d’un nou­veau par­ti, son par­ti. Pour chang­er la Grèce et ses rap­ports avec l’Europe.

Par nature, Yanis Varo­ufakis fait par­tie de ceux qui con­tin­u­ent de lut­ter. Moins d’un an après sa démis­sion du gou­verne­ment de Tsipras, en 2016, il fonde DiEM 25 à Berlin ( !), un « mou­ve­ment paneu­ropéen » pour refonder l’Europe de manière démoc­ra­tique et trans­par­ente. Il s’inscrit dans la ligne directe des pères fon­da­teurs du pro­jet européen. Par­mi ses sou­tiens de la pre­mière heure, d’éminents intel­lectuels tels que Noam Chom­sky et Sla­vo Jizek, ain­si que des hommes poli­tiques-relais dans tous les pays de l’Union. A ses débuts, DiEM 25 fonc­tionne comme un think-tank. L’annonce de la fon­da­tion d’un par­ti poli­tique en Grèce mar­que la deux­ième étape de l’opération : présen­ter des listes DiEM 25 dans toute l’Europe avec un pro­gramme com­mun pour les élec­tions européennes de Mai 2019. En France par exem­ple, l’idée prend forme après l’alliance annon­cée fin jan­vi­er lors d’une con­férence de presse com­mune avec Benoit Hamon.

Dans les petits bureaux grecs du mou­ve­ment au cœur du quarti­er pop­u­laire d’Omonia au cen­tre d’Athènes, des mil­i­tants se pré­par­ent pour le con­grès fon­da­teur du nou­veau par­ti. La plu­part ont la trentaine, cer­tains sont plus vieux, d’autres très jeunes. Par­mi eux, Thomas Achtaridis 19 ans et un vis­age qua­si enfan­tin mal­gré sa barbe nais­sante. Mal­gré son jeune âge, il n’est pas novice en poli­tique. Comme Varo­ufakis, il est passé par Syriza. « A 16 ans j’ai adhéré aux jeuness­es du Syriza de Corinthe, ma ville natale». Pourquoi ? « Mon pre­mier sou­venir poli­tique c’est le dis­cours de Georges Papan­dreou (pre­mier min­istre grec de 2009 à 2012) annonçant en direct à la télé que la Grèce aurait besoin d’un plan d’aide pour éviter la fail­lite. » C’était le 23 Avril 2010 et il avait 12 ans.

La crise c’est toute son ado­les­cence et toute sa vie de jeune adulte. Il se sou­vient avec émo­tion de la triste fin des efforts de 2015 pour met­tre fin à l’austérité. « Quelques semaines après la capit­u­la­tion de Tsipras, l’ensemble des mem­bres des jeuness­es du par­ti dans la région ont claqué la porte. Au niveau nation­al, 70% des jeunes sont par­tis » Depuis deux ans il milite avec DiEM25. « Le dis­cours de Yanis me touche. Il m’a con­va­in­cu qu’il faut rester dans l’UE pour la chang­er ». Cela est-il vrai­ment pos­si­ble ? « C’est une utopie néces­saire comme dit Yanis. Sinon, elle explosera d’elle-même… »

Pour com­pren­dre la capit­u­la­tion de Tsipras et les désil­lu­sions occa­sion­nées, retour en 2015. Le 25 Jan­vi­er de cette année, pour la toute pre­mière fois « la gauche de la gauche » arrivait au pou­voir dans un pays de l’Union Européenne. Par une rhé­torique aux accents révo­lu­tion­naires, Syriza, la Coali­tion de la Gauche Rad­i­cale, emmenée par le jeune et charis­ma­tique Alex­is Tsipras pre­nait le pou­voir en refu­sant l’austérité. Surtout, Syriza et les Grecs refu­saient la logique puni­tive des pays du nord (emmenés par l’Allemagne) face aux pays du Sud touchés par la crise. En Espagne, Podemos, par­ti à la rhé­torique qua­si iden­tique à celle Syriza n’arrêtait pas de mon­ter dans les sondages. C’était le grand soir…

Quelques jours plus tard, les négo­ci­a­tions mus­clées entre le nou­veau gou­verne­ment grec et les Européens com­men­cent. Yanis Varo­ufakis, alors min­istre des finances d’Alexis Tsipras, défie ouverte­ment les Européens par des déc­la­ra­tions tapageuses. Il devient très rapi­de­ment le min­istre des finances le plus con­tro­ver­sé que la Grèce, et peut être aus­si l’Union Européenne, aient jamais con­nu. Adulé par les uns, haï par les autres, il ne laisse per­son­ne indif­férent. Les réseaux soci­aux se rem­plis­sent des mèmes le présen­tant comme un héros ou comme un zéro, selon les sen­si­bil­ités de cha­cun.

L’apogée de cette logique fut le ref­er­en­dum du 5 Juil­let 2015. Mal­gré des ban­ques fer­mées suite à la déci­sion de la BCE de couper le robi­net des liq­uid­ités qui les soute­naient jusque-là, mal­gré l’ensemble des dirigeants européens qui men­a­cent la Grèce d’une expul­sion pure et sim­ple de la zone euro et de l’UE, les Grecs votent «OXI» (Non en Grec) à 61% à la propo­si­tion faite par les crédi­teurs du pays.

En ce soir de vic­toire, Fidel Cas­tro, encore en vie à l’époque, envoie un télé­gramme de félic­i­ta­tions à Alex­is Tsipras. Mais, dans une volte­face his­torique qui mar­quera à jamais son héritage poli­tique, quelques jours plus tard Tsipras décide de sign­er un troisième « plan d’aide » pour le pays. Yanis Varo­ufakis démis­sionne et devient un des cri­tiques les plus acerbes du gou­verne­ment. Il faut dire que, pour la qua­si-total­ité des ana­lystes, les ter­mes de ce troisième « plan d’aide » sont encore pires que ce qui avait été fait jusque-là. En cinq ans d’austérité, la Grèce a déjà per­du plus d’un tiers de son PIB… Qu’importe.

Deux ans et demi plus tard, mal­gré un timide retour à la crois­sance en 2017 (+1.6%), et après huit ans de réces­sion (la plus longue jamais enreg­istrée dans un pays en temps de paix), le lien entre le par­ti et le peu­ple grec sem­ble défini­tive­ment rompu. Les derniers sondages don­nent Syriza aux alen­tours de 20%, relégué à plus de douze points de Nou­velle Démoc­ra­tie (droite). Aujourd’hui les dig­ni­taires européens félici­tent Alex­is Tsipras pour l’application avec laque­lle il impose les mesures d’austérité aux citoyens. Les temps ont bien changé.

Après la capit­u­la­tion de Juil­let 2015, nom­bre de mou­ve­ments poli­tiques et soci­aux proches de Syriza ont explosé comme s’ils avaient per­du leur bous­sole. Cha­cun est par­ti de son côté pour panser les plaies émo­tion­nelles de l’immense désil­lu­sion. Heureuse­ment, cer­tains, ont aus­si choisi de con­tin­uer leur tra­vail, social ou poli­tique.

Gior­gos Vichas, car­di­o­logue, fait par­tie de ceux-là. Nous le retrou­vons dans un petit hangar de la ban­lieue d’Elliniko à Athènes. A l’intérieur, le terme sol­i­dar­ité prend toute son ampleur. Nous sommes dans une clin­ique sociale où tout le monde accède aux soins gra­tu­ite­ment. Ouverte en 2012 et comp­tant aujourd’hui plus de 150 médecins bénév­oles ain­si que 320 citoyens volon­taires qui font fonc­tion­ner la clin­ique au quo­ti­di­en. En 5 ans d’opération la clin­ique a accueil­li plus de 8 000 patients pour un total de plus de 60 000 vis­ites médi­cales.

Quand on ques­tionne Gior­gos Vichas sur le gou­verne­ment Syriza il soupire, comme nom­bre de ceux qui l’ont soutenu. Pour­tant il essaie de faire la part des choses : « Dire que Syriza n’a rien fait pour les plus dému­nis serait men­tir. Les trois mil­lions de Grecs ne béné­fi­ciant plus d’une cou­ver­ture de san­té peu­vent désor­mais se faire soign­er gra­tu­ite­ment dans les hôpi­taux publics. Mais les poli­tiques d’austérité font que le sys­tème de san­té grec est com­plète­ment exsangue. Son bud­get a dimin­ué de 45% depuis le début de la crise. Les médecins ne suff­isent pas pour traiter les patients, le matériel néces­saire manque. En accep­tant de pour­suiv­re l’austérité, Syriza a trahi ceux-là même qu’il essaie d’aider. Aus­si, les phar­ma­ciens à qui l’État doit des sommes colos­sales deman­dent à tous les patients de régler la total­ité du prix des médica­ments, et plus seule­ment leur par­tic­i­pa­tion comme le prévoit la loi. ». Pour faire face à cela, Gior­gos et la clin­ique organ­isent aus­si des col­lectes de médica­ments tant en Grèce qu’à tra­vers l’Europe.

Car, l’exemple de Gior­gos et de la clin­ique sociale est con­nu aux qua­tre coins du con­ti­nent. En 2015, le car­di­o­logue fut nom­mé citoyen européen de l’année par le par­lement européen. Il refusa le prix. «Ce sont les poli­tiques européennes d’austérité imposées à la Grèce depuis 2010 qui sont à l’origine de l’effondrement du sys­tème de san­té hel­lénique. Je ne pou­vais pas accepter». De quoi rêve-t-il aujourd’hui ? : « J’espère qu’un jour, l’existence de notre clin­ique ne sera plus néces­saire ». Dans ses paroles, l’espoir se mêle à l’amertume : « Ce n’est pas pour demain »…

Pavlos Kapantais

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