Tous consommateurs ? Histoires de drogues en Méditerranée

La France est cham­pi­onne d’Europe. En 2014, 49,8% des garçons et 45,8% des filles de 17 ans avaient déjà fumé du cannabis. Pour­tant, la lég­is­la­tion française est l’une...

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La France est cham­pi­onne d’Europe. En 2014, 49,8% des garçons et 45,8% des filles de 17 ans avaient déjà fumé du cannabis. Pour­tant, la lég­is­la­tion française est l’une des plus strictes d’Europe. Au milieu des débats de la cam­pagne prési­den­tielle, la ques­tion de la légal­i­sa­tion du cannabis et plus large­ment celle de la prise en compte des drogues dans le con­texte social est sur­volée voire absente des débats. A Mar­seille, en 2016, une ving­taine de per­son­nes a été tuée lors de règle­ments de compte en lien avec des trafics de stupé­fi­ants, il s’agit sou­vent de jeunes issus de quartiers pop­u­laires, qui pren­nent des risques impor­tants au sein de réseaux impi­toy­ables : “deal­er, c’est ris­quer sa vie”, résume Paul. Au-delà de son aspect sub­ver­sif, la place de la drogue est un enjeu de société et de san­té publique.

Pourquoi par­ler des drogues en Méditer­ranée aujourd’hui ?
Parce que Mar­seille, ouverte sur la mer, est his­torique­ment une porte d’entrée des drogues et notam­ment du cannabis en France et en Europe. Parce que ces drogues tran­si­tent par la Méditer­ranée, dans des con­teneurs et des embar­ca­tions qui échap­pent sou­vent aux con­trôles des douaniers. Parce que le cannabis que con­somme une par­tie de la Méditer­ranée, en Europe comme au Maghreb, est sou­vent pro­duit au Maroc. Parce que la cocaïne trou­ve une porte d’entrée dans les Balka­ns. Parce que la cir­cu­la­tion des marchan­dis­es per­met à des pro­duits médi­caux, comme le sub­u­tex ou le tra­madol, de devenir des drogues de sub­sti­tu­tion moins onéreuses.

A tra­vers la Méditer­ranée, c’est aus­si la ques­tion de la lég­is­la­tion que nous posons. Madrid et Lis­bonne ont choisi la voie de la dépé­nal­i­sa­tion. Au con­traire, à Chypre, la pos­ses­sion de cannabis peut men­er à la prison à per­pé­tu­ité. A Tunis, la loi 52 qui con­damne à un an de prison min­i­mum les con­som­ma­teurs est con­testée, parce qu’elle favorise la récidive. La France doit-elle, peut-elle, sor­tir du tabou pour traiter de l’enjeu social, économique et san­i­taire que cela représente? Dans toute notre région, la drogue n’est pas seule­ment un usage, c’est aus­si un sys­tème économique. “Les per­son­nes qui acceptent cer­taines mis­sions comme cacher l’argent de la drogue sont sou­vent des per­son­nes choisies pour leur faib­lesse économique, et elles le font pour pou­voir nour­rir leurs enfants”, explique la soci­o­logue française Claire Duport.

Dans des pays où la con­som­ma­tion de drogue est encore un tabou, que dis­ent les dis­posi­tifs de prise en charge de nos sociétés? A Bey­routh, cela ne fait que qua­tre ans que les tox­i­co­manes con­damnés peu­vent béné­fici­er d’une prise en charge dans un cen­tre médi­cal à la place de l’incarcération. A Mar­seille, la psy­chi­a­tre Karine Bar­to­lo estime qu’il faut revoir le cadre légal de l’usage du cannabis afin de per­me­t­tre à l’Etat de con­trôler les taux de con­cen­tra­tion en THC des pro­duits ven­dus. Avant 15 ans, la présence de sub­stances psy­choac­tives peut en effet provo­quer des séquelles, à une péri­ode de la vie où le cerveau n’a pas encore fini de se for­mer.

Dans un monde glob­al­isé, les solu­tions se trou­vent à plusieurs. Inter­roger l’expérience française, en ces temps de cam­pagne, tout en don­nant un éclairage méditer­ranéen, c’est encore une fois mon­tr­er qu’il faut par­fois décen­tr­er le regard, pour réfléchir ensem­ble à une prob­lé­ma­tique qui, si elle n’est pas prise en compte du côté des pays pro­duc­teurs, et con­som­ma­teurs, sous l’angle légal mais aus­si san­i­taire, ne trou­vera pas de vraie solu­tion. Lau­rent Muc­chiel­li, soci­o­logue français, résume : “Le nom­bre de con­som­ma­teurs ne dimin­ue pas. Un traf­ic en rem­place un autre. Il faudrait avoir le courage d’avoir une poli­tique glob­ale”.

Illustration : David Poey

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