C’est un monstre de 4 à 5 fois la taille de l’Homme qui semble se déployer jusqu’au ciel. Alors que le monde fête les 30 ans de la chute du mur de Berlin, un autre mur continue de s’étendre. Celui qui sépare Israël et la Palestine(1). Ce bloc de béton empiète sur les territoires palestiniens, sépare et isole. Haut de 8 mètres, il parcourt des centaines de kilomètres. Une toile géante pour qui veut y peindre à coups de graffitis. Symbole de l’occupation israélienne, il est devenu un support pour les artistes qui y délivrent leurs espoirs et leurs questionnements sur un conflit qui semble sans issue.
Bien que illégal en droit international, le mur n’a cessé de croître depuis 2002. Au fil des années, les premiers tags, toujours politiques et uniquement du côté palestinien, ont vu le jour. Il n’y a en effet presque pas de tags du côté israélien. Pour beaucoup d’Israéliens, ce mur n’est que sécuritaire, un moyen comme un autre de lutter contre les attentats. Ils ne ressentent pas le besoin d’y taguer des messages politiques. De l’autre côté du mur, les Palestiniens sont partagés sur leurs bienfaits. Les opposants aux graffitis jugent que le mur, “affreux sur le plan politique, doit rester laid”, selon Firas, jeune Palestinien originaire de Jenine et rencontré près du mur à Bethléem. Aucun dessin ne doit l’embellir. Pour les partisans au contraire, “les graffitis sont un moyen de faire passer des messages politiques, de mettre en lumière la cause palestinienne pour les étrangers de passage”, explique par exemple Rami, originaire lui de Naplouse. Un avis partagé par certains artistes. Sur les parois de cette masse de béton, défilent des messages de solidarité dans toutes les langues. “Les graffitis sont surtout réalisés par des taggeurs étrangers” selon le peintre Khaled Hourani.
Symbole des luttes à l’International
La localité palestinienne d’Ar-Ram est devenue un emblème de cette solidarité. Le long du mur qui l’entoure, des graphistes internationaux ont tagué tout un poème de Farid Esack, un activiste sud-africain connu pour son engagement contre l’apartheid. Le texte, qui s’étend à perte de vue, commence par ces mots : “Mes chers frères et sœurs palestiniens, je suis venu sur votre pays et j’ai reconnu les propres ombres qui ont plané sur le mien”(2). Le poète dépeint les similitudes entre le régime d’apartheid sud-africain et la politique israélienne dans les territoires palestiniens. Exprimer sa solidarité est selon lui un devoir, pour ne pas être “complice de la souffrance des autres.”
Au quotidien, le mur reste un symbole du coup de sabre infligé aux libertés des Palestiniens. Mais ces tags de fraternité ont fait de ce bloc de séparation un support d’expression de la convergence des luttes internationales. Les tags qui n’épousent pas le narratif israélien visent à défier l’occupation.
Affronter le mur avec les symboles palestiniens
Au checkpoint de Qalandia (7), sur un pan du mur, le visage de Yasser Arafat s’étend, majestueux, sur plusieurs mètres de tag. Ces références à l’identité palestinienne sont partout sur le bloc massif de séparation, des figures politiques, au drapeau national, en passant par les représentations du Dôme du rocher (4). Une manière de braver les autorités israéliennes.
Se servir du mur comme expression de l’identité palestinienne, Majd Abdel Hamid l’a fait en 2007, à Bethléem. L’artiste palestinien a reproduit de manière originale la Déclaration d’indépendance de la Palestine, écrite par le poète palestinien Mahmoud Darwish et proclamée en 1988 à Alger : “J’ai compté les lettres du document, je les ai découpées, et je les ai toutes taguées sur le mur à l’aide d’un collage.” Ce travail met en valeur un des textes centraux de l’identité palestinienne, tout en interrogeant son sens, à l’heure où l’espoir d’un Etat palestinien s’amoindrit : “Pour moi, déconstruire la déclaration d’indépendance, c’est questionner : qu’en est-il de ce texte aujourd’hui?” Le message de Majd Abdel Hamid est d’autant plus fort qu’il est réalisé sur le mur, symbole du pourrissement de la situation pour les Palestiniens.
C’est l’unique travail réalisé par l’artiste sur la barrière de béton. S’il devait taguer de nouveau, il choisirait l’humour pour défier le mur : “la dérision reste le meilleur moyen de résistance”.
Humour et allégorie : les meilleures armes ?
Exploité par le génie du street art Bansky(5), l’humour est omniprésent sur le mur de séparation. A Bethléem, où les tags sont le plus concentrés, l’artiste Taqi Spateen a revisité Super Mario, version conflit israélo-palestinien. Son tag géant dépeint le héro populaire de jeux vidéos, marchant sur le mur, faisant fi des soldats israéliens et sautant au dessus des tours de contrôles. Pour gagner le jeu, Super Mario doit franchir un ultime obstacle, un bloc de béton géant. L’artiste palestinien suggère que seul un héros aux super-pouvoirs délirants est susceptible de défier le mur, tout en exprimant le rêve fou des Palestiniens de se prendre un jour pour Super Mario.
Dans les sociétés soumises à un contrôle politique et sécuritaire poussés comme la Palestine, les messages abstraits, à double sens, sont souvent les plus pertinents pour exprimer une espérance. Le projet de Sliman Mansour en témoigne. Figure majeure de la peinture palestinienne, il a lui aussi voulu taguer sur le mur il y a quelques années. Du haut de ses 72 ans, il n’a plus la force de mener à bien son projet. Mais il avait préparé son œuvre trait par trait sur un logiciel. Sur le mur, il voulait reproduire la fresque de Michel Ange “La création d’Adam”, deux mains qui tentent de se toucher. Avec cette pièce abstraite, fruit d’un rêve inachevé, il a “voulu montrer, d’une manière imagée, que ce mur sépare des peuples qui pourraient vivre ensemble, en paix”.
Reportage en Palestine Inès Gil (texte et photos)
(1) Initié en 2002 pendant la Seconde Intifada
(2) L’intégralité du poème, en français, disponible ici : https://blogs.mediapart.fr/hazies-mousli/blog/070615/lettre-ouverte-de-farid-esack-aux-palestiniens-un-de-nous-est-blesse
(3) Le plus important checkpoint entre Israël et la Cisjordanie, situé sur la route entre Ramallah et Jérusalem
(4) Situé à Jérusalem Est, dans la vieille ville, le Dôme du rocher abrite le « Rocher de la fondation », endroit où, selon la tradition musulmane, Mahomet serait arrivé depuis La Mecque. Le site où se trouve le Dôme du Rocher comprend aussi la mosquée al-Aqsa, est le troisième lieu saint musulman après La Mecque et Médine. Le Dôme du rocher est souvent utilisé par les Palestiniens, et même l’ensemble des musulmans, pour symboliser Jérusalem.
(5) En 2017, il ouvre même un hôtel avec vue sur le mur, qui propose aux clients des séances de graffitis sur la barrière de séparation.